L’enjeu majeur pour l’année 2024 et les années à venir demeure toujours la stimulation de l’investissement, principal moteur de la croissance et des créations d’emplois. Ceci requiert la mise en œuvre de grandes réformes dont notamment celle de l’administration, la restructuration des entreprises publiques et l’amélioration du climat politique et social pour rétablir la confiance et favoriser l’anticipation et améliorer l’attractivité du pays.
Le Forum Ibn Khaldoun pour le développement (Fikd) vient de publier sa dernière note conjoncturelle pour le troisième trimestre de 2023 consacrée à l’évolution des indicateurs économiques à l’échelle nationale et mondiale. En Tunisie, la persistance de la sécheresse pour la quatrième année consécutive et le ralentissement de l’économie mondiale ont marqué les réalisations des huit premiers mois avec notamment une croissance limitée du PIB, la poursuite de la baisse de l’investissement et une augmentation du chômage. L’équilibre de la balance des paiements enregistre une certaine détente sous l’effet de l’amélioration de la situation de la balance commerciale et la forte augmentation des recettes touristiques mais aux prix du ralentissement de la croissance et de la baisse de l’investissement. Le budget de l’Etat a connu une amélioration temporaire puisque l’équilibre du Budget pour l’ensemble de l’année 2023 a nécessité l’adoption d’une loi de finances rectificative. Les difficultés de mobilisation des ressources extérieures constituent un foyer de préoccupation pour le financement de la balance des paiements et du budget de l’Etat eu égard au niveau élevé atteint par l’endettement.
Repli de la croissance
Selon le Fikd, «les estimations préliminaires des comptes nationaux trimestriels montrent un repli de la croissance du produit intérieur brut en volume de -0,2% au cours du troisième trimestre de l’année en cours par rapport au même trimestre de 2022». En termes de variations trimestrielles, par rapport au deuxième trimestre de 2023, le PIB en volume a augmenté légèrement de +0,1%, alors qu’il avait baissé de- 1,1 % en variation trimestrielle au cours du trimestre précédent. Au total, compte tenu de cette évolution, la croissance du PIB en volume sur l’ensemble des neuf premiers mois 2023 se situerait à +0,7%.
Dans ce contexte, «la demande intérieure en volume a marqué un fléchissement de -0,4% en affichant une contribution négative de 0,4 points de pourcentage à la croissance économique du troisième trimestre (-0,2). Tandis que le solde des échanges extérieurs a contribué positivement à hauteur de 0,2 point du fait de la hausse du volume des exportations de biens et services de (8,6%), qui a dépassé légèrement celle des importations (6,8%)».
Cette évolution du PIB s’explique notamment par la consolidation du rythme de croissance du secteur du tourisme (10.8), la résilience du secteur des industries mécaniques et électriques (5.6%,) à l’effet du fléchissement de l’activité observé dans la zone Euro, contrairement au secteur du textile, habillement et cuir dont la baisse de la valeur ajoutée s’accentue de 5.7%. En revanche, beaucoup d’autres secteurs enregistrent une croissance négative élevée tels que l’agriculture et la pêche (- 16.5%), le raffinage de pétrole (-41.5%), l’extraction des produits miniers (- 15.0%) et la construction (-5.1%)
La croissance continue à se situer sur un sentier faible qui « s’explique certes par des facteurs conjoncturels, internes et externes (ralentissement de la croissance mondiale, sécheresse) mais aussi par des facteurs structurels dont notamment la baisse de la croissance potentielle résultant du niveau faible de l’investissement».
Pour l’ensemble de l’année 2023, la croissance est révisée, dans le cadre du projet du Budget économique 2024, à 0.9% contre 1.8 % initialement prévu. Toutefois, compte tenu de l’évolution du PIB des neuf premiers mois, ce niveau semble difficile à atteindre.
Le taux de chômage augmente légèrement
Au troisième trimestre de 2023, les demandeurs d’emploi sont de plus en plus découragés par les perspectives d’emplois. Le nombre des occupés recule à 3.394,1 mille contre 3.511.2 au troisième trimestre de 2022, soit une baisse de 117.1 mille. Cette population est répartie inégalement entre les deux sexes : 2.468,3 mille hommes contre 925,6 mille femmes, soit respectivement 72,7 % et 27,3 % de la population active occupée.
Le taux de chômage a augmenté pour atteindre 15,8 % contre 15,3 au troisième trimestre de 2022. Selon l’âge, le taux de chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans a augmenté, atteignant 39,1 % contre 37,8 % au troisième trimestre de 2022. Le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur augmente pour atteindre 24,6 %.
Baisse de l’investissement
Selon la même source, l’investissement connaît une baisse durant les neuf premiers mois de 2023, corroborée par une faible progression de 0.1 % des importations des biens d’équipement aux prix courants correspondant, compte tenu de l’inflation, à une baisse en terme réel (le taux d’inflation annuel de l’Union européenne est de 6.4% en juin 2023).
Cette situation est liée, entre autres, « au niveau limité de la liquidité dans le secteur bancaire, en relation avec l’augmentation des emprunts bancaires de l’Etat sous forme de bons de trésor exerçant un effet d’éviction du secteur privé. Ceci en plus des niveaux élevés des taux d’intérêt en liaison avec la poursuite du resserrement de la politique monétaire pour lutter contre l’inflation».
Par ailleurs, le premier semestre a été marqué par quelques signes d’amélioration qui concernent d’abord les investissements déclarés dans le secteur industriel qui «connaît une dynamique au niveau des secteurs orientés vers l’exportation et plus particulièrement le secteur des industries du textile et habillement et le secteur des industries mécaniques et électriques».
D’après les indicateurs, l’investissement déclaré dans le secteur industriel a atteint le montant de 1.783.4 MD, contre 1.603.4 MD enregistrant ainsi une augmentation de 11.2 % par rapport à la même période de 2022. Les investissements déclarés dans les industries totalement exportatrices ont enregistré une hausse de 11.9% et les industries dont la production est orientée vers le marché local ont enregistré une augmentation de 10.7% d’une période à une autre. « L’autre facteur favorable observé durant les cinq premiers mois se rapporte aux IDE qui augmentent de 5.2%. Etant rappelé que pour le secteur manufacturier, les IDE ont progressé de 28.2 % au cours du premier trimestre de 2023 ».
Détente graduelle de l’inflation
Selon les statistiques de l’INS, l’inflation est repartie à la baisse en septembre s’inscrivant à 9% (contre 9.3% en août). «Ce recul de l’inflation est dû à la décélération du rythme d’augmentation des prix entre septembre et août de cette année comparé à la même période de l’année dernière. En effet, un fléchissement est observé au niveau du rythme annuel d’augmentation des prix du groupe «produits alimentaires » passant de 15,3% à 13,9% .
Augmentation des exportations
Les échanges avec l’extérieur aux prix courants durant les neuf premiers mois de l’année 2023 se caractérisent par une augmentation des exportations de 7,5% et par une baisse des importations de 3,7%. Quant au déficit commercial, il s’est allégé pour s’établir à un niveau de 13,979 milliards de dinars et le taux de couverture a gagné 8 points par rapport à la même période de l’année 2022.
L’augmentation observée au niveau des exportations (+7,5%) concerne les exportations du secteur des industries agroalimentaires (17%), celles des textiles, habillement et cuirs (10,5%) et celles des industries mécaniques et électriques (18,3%). En revanche, les exportations du secteur de l’énergie ont baissé de 38,2% et celles des mines, phosphates et dérivés de 23,9%.
Le repli observé au niveau des importations (-3,7%) provient de la baisse enregistrée au niveau des importations des produits énergétiques (-8,3%) et des matières premières et demi-produits (-6,4%). Tandis que les importations des biens d’équipement et de consommation ont augmenté modérément de 0,1 et 3,4%. Cette évolution des importations reflète notamment le ralentissement de l’activité économique et les perturbations de l’approvisionnement du marché en produits de consommation sensible.
Détente temporaire du Baudet de l’Etat
Le budget de l’Etat connaît une certaine détente temporaire mais les difficultés de mobilisation des ressources de financement extérieures se poursuivent. «Les statistiques disponibles sur l’exécution du budget de l’Etat, pour les huit premiers mois de 2023, font ressortir une évolution des ressources de l’Etat de 7.5% contre 13.2% prévus par la loi de finances de 2023, s’expliquant par un rythme plus faible que prévu de l’évolution des recettes fiscales (9% contre 14.3 % prévu) du fait notamment d’une augmentation faible de l’impôt indirect de 4.6%. Les dépenses enregistrent une hausse de 4.0% % contre 6.7 % prévu. L’on note notamment une évolution des dépenses d’intervention de 2.2% et une augmentation des investissements de l’Etat de 8.2% ».
Cette évolution des recettes et dépenses de l’Etat a entraîné une baisse du déficit budgétaire à 1001 MD durant les huit premiers mois de 2023. Son financement a été réalisé notamment grâce au recours aux crédits intérieurs qui ont totalisé 5.191 MD durant les huit premiers mois de 2023 contre une enveloppe de 9593 MD prévue par la loi de finances
Les crédits extérieurs se sont limités, en revanche, à 3.671 MD contre une prévision initiale de 14.368 MD reflétant les difficultés de mobilisation des ressources extérieures de financement. «L’augmentation des dépenses (4.0%) ne reflète pas toutefois la situation réelle de l’économie du pays, car plusieurs créanciers de l’État ne sont pas encore payés, notamment au niveau de la compensation ».Par ailleurs, l’évolution de la conjoncture mondiale et nationale a nécessité la révision de certains indicateurs tels que la croissance du PIB (O.9% contre 1.8%), le prix du pétrole (89 $ le baril au lieu de 83 $) et l’actualisation des recettes de l’Etat et des dépenses avec un écart de 3.214 MD par rapport aux prévisions initialesDurant les neuf mois de 2023, une certaine détente est observée au niveau du solde courant de la balance des paiements et de l’équilibre du budget de l’Etat ainsi que quelques signes d’amélioration au niveau de l’évolution des déclarations d’investissement dans le secteur des industries manufacturières. Mais cela ne doit pas occulter la persistance de certaines difficultés dont notamment la croissance s’inscrit sur un sentier faible, qui « s’explique certes par des facteurs conjoncturels, internes et externes, mais aussi par des facteurs structurels dont notamment la baisse de la croissance potentielle résultant du niveau faible de l’investissement et l’érosion de la classe moyenne en relation avec l’augmentation excessive et continue du coût de la vie et la baisse du pouvoir d’achat ». Ceci outre l’augmentation du taux de chômage, les difficultés de mobilisation des ressources extérieures de financement qui risquent de poser de sérieux problèmes au niveau de l’équilibre de la balance des paiements et du budget de l’Etat et au niveau du remboursement de la dette extérieure.
(D’après FIKD)