Sortir par la grande porte, enter dans l’Histoire…Ou simplement créer sa légende. Chacun de ceux qui l’ont connu aura une version propre .C’est peut-être cette bonhomie, jamais sans arrière-pensées, ou cet air de fausse légèreté face aux déboires du monde, ou parfois cette obsession de l’Etat…
Son air de grand-père pour certains, ou son éloquence diplomatique pour d’autres, Mohamed Beji Caid Essebssi, El Béji, Bajbouj…
l‘éternel président de tous les tunisiens, puisque premier à être élu démocratiquement..
Mort dans l’exercice de ses fonctions le 25 juillet, jour de la fête de la République…tout est là pour que la trace soit particulière, positive pour certains, ambivalente pour d’autres, nuancée toujours mais présente, incontournable. Il a été un Homme d’Etat, dans une Tunisie qu’il a rêvée, forte, qu’il a certainement aimée, parfois trop parfois mal, parfois autant qu’une mère parfois moins qu’un fils. L’heure du bilan n’a pas sonné et l’histoire a ses raisons et son propre filet.
Une voix de jeune fille résonne dans une foule “ Bajbouj il love you, Bajbouj :”Met too », répondit-il comme un éternel message d’humour et d’amour à ce pays aimé profondément et sans relâche jusqu’ ‘au dernier souffle.
Loin des communiqués plus ou moins froids des partis politiques, loin des déclarations de peines subites…
C’est aux artistes que nous nous sommes adressés, aux intellectuels pour sonder au-delà de la surface, l’impact de cette disparition, pour un ultime adieu.
Ali Bannour -comédien et député
En tant que citoyen artiste et député. Je dis avant toute chose que BCE repose en paix. Toute sa vie durant, il était là, présent pendant les tournants politiques du pays : 2011, 2014, 2019… Ses positions face aux avancements de la loi électorale par exemple, sont claires. Il a agi en tant que chef de l’Etat, juriste, président de parti. Face à sa disparition, personne ne peut lui rapprocher quoi que ce soit de mauvais, à mon avis, c’est un moment de recueillement. Je suis contre toutes celles et ceux qui font des spéculations, qui insultent ou qui dénigrent. Ce n’est pas le moment. M.BCE a fait un passage extraordinaire, après la révolution jusqu’à nos jours. C’est un monsieur qui a été tout le temps présent, comme un vrai chef d’Etat. Il a pu avoir le consensus de tout le monde et a sauvé le pays en 2011, en 2014, et il le sauve maintenant après son décès : le plus important à retenir de tout cela, c’est cette transition, cette Tunisie qui vit sa transition démocratique, doucement mais sûrement. C’est son peuple, sa mentalité, sa politique qui restent exceptionnelles. Un peuple qui avance en ayant derrière lui l’effigie de Béji Caied Essebsi qui reste, sans doute, un symbole. J’ai beaucoup de respect pour ce monsieur. On peut ne peut pas être d’accord avec ses choix, mais c’est cela la démocratie. Les âmes malades sont à esquiver. Et il faut tenir bon. Ça continue, les institutions de l’Etat sont là, l’Etat aussi. Il faut avancer en acceptant le processus démocratique qui n’est pas facile à vivre.
Syhem Belkhodja -chorégraphe
Qu’il repose en paix ! On est toutes et tous très émus. C’est un grand monsieur et on comprendra plus tard ce qu’il a fait pour l’Histoire. Beaucoup de gens étaient malheureusement très négatifs par rapport à tout ce qu’il a entrepris. Mais maintenant il est mort et ils ont déjà commencé à crier ses louanges. Mais ce n’est pas cela le plus important : sa mort va réunir les Tunisiens autour de leur destin. Aujourd’hui, on va être les modernistes et on est en train de vivre les aventures d’une Tunisie démocratique. Je pense qu’il est sorti par la grande porte, le jour du 25 juillet. C’est symbolique ! Cette Tunisie est décidément bénie par tous les Dieux. Il y a une leçon à tirer : ce petit pays qui monte est encore clairement démocratique. C’est un appel à la jeunesse aujourd’hui car c’est le dernier papa qui part. Les Jeunes doivent prendre la relève et doivent être capables de diriger le pays avec le soutien de la société civile.Les grands Messieurs nous ont accompagnés, nous ont protégés, nous –mêmes on disait du mal de nos pères comme tous les complexes d’Œdipe et d’Electra qu’on peut avoir, ça arrive.Mais aujourd’hui, il faut avancer et on a qu’un mois et demi pour continuer à écrire l’Histoire de la Tunisie et de sa 3e République, dirigée par les jeunes avec un regard sur les jeunes, pour les jeunes.
Abdelhamid Bouchnak- cinéaste
Jeune réalisateur,qui avec mélancolie raconte
une génération qui a pu découvrir le sens de l‘Etat sous la présidence de Béji caïd Essebssi. A y voir de plus près,c’est certainement le premier président pour la génération d’Abdel Hamid,le premier élu,le plus réel ,et le plus proche “ j’avais l’impression de perdre une personne proche, je crois que c’était une figure du pouvoir de la proximité.Il a su gouverner ,mais il a surtout su toucher les coeurs des Tunisiens. Beji Caid Essbssi est également pour moi une figure de ce bourguibisme fantasmé. Personnellement c’est une époque qui me fascinait. Je me suis toujours demandé si cette politique de Béji Caid Essebssi est un reflet du Bourguibisme alors qu’est-ce que la version originale aurait donné?Un âge d’or manqué certainement. Je pense que ce qui reste aujourd’hui de lui, c ‘est cette sublime leçon de persévérance, de foi en soi…
Ne jamais baisser les bras c‘est la plus belle leçon que je retiens de lui qui à 92 ans devient et meurt en éternel président.
Un personnage presque de fiction pourtant vrai et tellement ancré dans la réalité.
Hier sa mort a de nouveau réuni les incompatibles, autour d’une idée plus grande que les hommes, celle de la Tunisie. Paix à son âme”.
Adnen Chaouachi -chanteur compositeur
La voix tendre et douce, un artiste à fleur de peau, discret généreux, avec émotion vraie, sans emphase, la voix voilée nous a accueillis dans sa peine de citoyen,.
”Ce n’est pas l’artiste qui parle, je suis face à cette perte comme tous les Tunisiens peinés. C’est une grande perte. Tristesse et émotion. Le peuple et la Nation Tunisienne perdent un homme d’Etat, exceptionnel, qui a travaillé jusqu’à la fin et donné ce qu’il a pu au pays. Je garde de lui le souvenir de celui qui a essayé de réconcilier et d’unir.
Difficile de le dissocier de la Tunisie aujourd’hui, je pense que tous ceux qui aiment la Tunisie partagent la peine de sa perte, mais ce pays est riche d ‘hommes et de femmes qui prendront le relais.
Il nous aura laissé quelques belles leçons, la persévérance, et le sens de l‘Etat”.
Propos recuillis par Amel Douja Dhaouadi et Haithem Haouel