Quatre ans après l’adhésion de la Tunisie à la zone de libre-échange Comesa, les résultats, bien qu’encore timides, commencent à se faire sentir. Pour les Tunisiens, l’Afrique de l’Est n’est plus un rêve lointain. Désormais, les produits tunisiens commencent à se forger, petit à petit, une réputation dans ces pays non familiarisés avec “le made in Tunisia”. Toutefois, une difficulté de taille subsiste : le transport par voie terrestre.
A court terme, l’impact de l’adhésion de la Tunisie à la zone de libre- échange Comesa semble être, de prime abord, peu significatif. La part des exportations vers les pays membres du Comesa dans le total des exportations à destination du continent africain (à l’exception de l’Egypte et de l’Algérie) est passée de près de 2,9% à environ 6%. Mais cette faible évolution est essentiellement attribuable aux répercussions de la crise Covid qui a impacté le commerce international d’une manière générale. “Le taux ne reflète pas les résultats réels de cette adhésion, et pour avoir des données non biaisées, il faut décortiquer les chiffres. Le Kenya peut être, en ce sens, un exemple édifiant qui traduit les changements qui sont en train de s’opérer au niveau de nos échanges avec les pays subsahariens. En effet, la Tunisie, qui est tournée plutôt vers les pays d’Afrique de l’Ouest qui sont francophones, est en train de tisser des partenariats commerciaux solides avec le Kenya.
‘‘Nos échanges avec ce pays ont beaucoup évolué”, a expliqué, dans une déclaration à La Presse, Mme Noura Ben Mohamed Guesmi, sous- directrice chargée de la coopération avec les pays africains et point focal national du Comesa. La responsable a affirmé que le Kenya est devenu un pays de transit, par lequel les marchandises tunisiennes passent avant d’atterrir en Tanzanie qui n’est pas membre de cette zone de libre-échange. Les produits tunisiens ont réussi même à pénétrer d’autres marchés tels que l’ Ouganda, le Rwanda, l’île de Madagascar et l’ île Maurice. “Nos produits alimentaires tunisiens ont rencontré un franc succès à Madagascar. La pâte alimentaire a inondé le marché malgache au point que les autorités ont décidé d’activer des mesures de protection”, a ajouté Mme Guesmi.
Le Kenya, un partenaire émergent !
A long terme, l’adhésion de la Tunisie au Comesa devrait avoir un impact positif sur la compétitivité de son économie. Car l’importation des matières premières exemptes de droits de douane permet de réduire les coûts de production et renforcent ainsi la compétitivité des produits fabriqués localement. “Cette année, nous avons importé de grandes quantités de café en provenance de l’Ouganda, alors que traditionnellement ce breuvage consommé localement provient de l’Amérique Latine. Nos importations de coton sont également en train de croître. Lorsqu’on parle de libre-échange avec les pays africains c’est du gagnant-gagnant. Et cela contribue à renforcer la compétitivité de nos industries. Savez-vous que les Pays-Bas sont les premiers exportateurs au monde de jus d’orange frais, alors qu’ils ne sont pas réputés pour la culture d’agrumes? C’est dans cette même perspective que nous pouvons importer des mangues avec des droits de douane à 0% pour fabriquer leur jus et l’exporter vers d’autres pays”, a tenu à préciser Mme Guesmi. Elle a ajouté que malgré la dynamique vertueuse qui s’est installée dans cette région d’Afrique, les barrières non tarifaires persistent. Mais le Comesa s’est penché sur la question et œuvre à faire sauter tous les verrous qui entravent le développement des échanges entre les pays membres. Dans ce cadre, une plateforme élaborée par l’Afreximbank pour le compte du Comesa, permettant de signaler les blocages liés aux mesures de protection non tarifaires, a été mise en place. De plus, la commission des barrières non tarifaires relevant du Comesa se réunit chaque année pour étudier et traiter les problèmes non résolus sur le plan bilatéral.
Se connecter pour mieux se rapprocher de l’Afrique de l’Est
La responsable a, par ailleurs, indiqué que dans le domaine des services, la Tunisie dispose de tous les atouts lui permettant de faire son entrée en lice et rivaliser avec d’autres pays concurrents. “Tout d’abord, l’expertise tunisienne est reconnue à l’échelle internationale. Et les responsables africains ont affirmé, à maintes reprises, qu’ils ont besoin de notre savoir-faire. Même le produit tunisien est compétitif. Mais le transport demeure la pierre d’achoppement sur laquelle butent les industriels tunisiens qui visent les marchés subsahariens”, a-t-elle expliqué. En effet, c’est un secret de polichinelle, la Tunisie n’est pas suffisamment connectée ni par voie aérienne ni par voie terrestre avec l’Afrique de l’Est. Les opérateurs recourent au transbordement dans les ports européens pour acheminer les produits à leurs destinations. “Etant donné que les pays d’Afrique de l’Est sont pour la majorité des pays enclavés, le transport terrestre est le moyen de transport privilégié pour la circulation des personnes et des marchandises dans cette région d’Afrique. Il suffit d’avoir la carte jaune, pour voyager d’un pays à l’autre”, a-t-elle poursuivi. Et d’ajouter “D’ailleurs, c’est pour cette raison que la réhabilitation du poste frontalier Ras Jedir, et son adaptation aux standards internationaux revêt une importance capitale. Le ministère du Commerce a établi une approche “Gate” selon laquelle ce poste frontalier joue le rôle de portail vers l’Afrique. Les marchandises devraient transiter par ce poste pour atterrir en Érythrée, Ethiopie.. Car il existe des corridors importants sur la partie Est du continent. Nous avons également, un projet de corridor qui sera élaboré en collaboration avec la Zlecaf”.
Les exportations vers le continent en légère hausse
Une récente étude réalisée par le ministère du Commerce a révélé que la Tunisie recèle un potentiel d’exportation vers l’Afrique inexploité. Il devrait atteindre 527 millions de dollars en 2027, soit un manque à gagner estimé à 25 % de la valeur actuelle des recettes d’exportation vers le continent. Ce chiffre peut dépasser 1 million de dinars si la Tunisie réussit son intégration complète dans les zones de libre-échange africaines, tout en surmontant les difficultés de transport et de logistique, d’autant plus que la Tunisie figure parmi les 8 pays les plus préparés à l’adoption des mécanismes de la Zlecaf. Ce potentiel peut être atteint grâce à l’exportation de 43 catégories de produits, y compris de nouveaux produits qui peuvent pénétrer les divers marchés africains. Rappelons que la valeur des exportations vers l’Afrique au cours des dix premiers mois de l’année 2023 a atteint 1.740 millions de dinars, soit une augmentation de 3,3 % par rapport à la même période en 2022.
Le poste frontalier de Ras Jedir, cheval de bataille pour le commerce en Afrique
Le projet de mise à niveau du poste frontalier Ras Jedir, actuellement en cours, revêt une importance stratégique pour le pays vu les effets positifs qu’il devrait générer surtout en termes d’échanges avec les pays d’Afrique de l’Est. Le poste frontière est le lieu de 3,3 millions de mouvements par an et génère un revenu quotidien de 1,5 million de dinars pour l’Etat. Les travaux de réhabilitation visent, en effet, à l’adapter aux standards internationaux et permettent donc, de tripler les échanges entre la Tunisie et la Libye. Actuellement, les autorités tunisiennes souhaitent développer, en collaboration avec d’autres pays africains et avec le soutien des institutions africaines, un corridor commercial terrestre facilitant les échanges entre ces pays. Son point de départ sera le poste frontalier Ras Jedir qui sera un passage incontournable vers l’Afrique Subsaharienne tant pour les voyageurs que pour les marchandises. Ce couloir de transit devra relier les sept pays africains les plus touchés par l’immigration clandestine. Selon les études menées par les institutions internationales, ce sont ces mêmes pays, qui sont exclus du circuit du commerce international car, étant enclavés, ils manquent cruellement de connectivité avec le reste du continent. Affirmant que la Tunisie ainsi que les pays concernés ont reçu des promesses de financement, le directeur de la coopération internationale au ministère du Commerce, Lazhar Bennour, affirme que ce projet va désenclaver les pays reliés par ce corridor et leur donner accès au commerce international. “On va aller vers l’Afrique par voie terrestre”, assène-t-il.