Faute de financement, un grand projet au profit des enfants trisomiques est toujours en instance dans la banlieue nord de Tunis.
Ils font partie intégrante de la population, mais ils vivent dans l’exclusion totale et l’oubli. Emmurés dans un silence qui raconte leur souffrance, les parents peinent à trouver les centres spécialisés pour leur assurer une scolarisation doublée d’une formation et d’aide à l’intégration sociale. Qui sont-ils, comment vivent-ils et comment parviennent-ils à dépasser leur handicap? Pour répondre à ces questions, on s’est déplacé à l’un des rares centres spécialisés pour accueillir les enfants trisomiques à déficience légère à Sidi Daoued, La Marsa (banlieue nord de Tunis) géré par une dame qui est passée par cette dure épreuve de la vie et qui a choisi de démissionner de son poste de haut cadre d’une entreprise agroalimentaire privée pour s’occuper de son enfant trisomique. Elle a créé l’association à but non lucratif Arc-en-Ciel en avril 2012 conçue spécialement pour les enfants trisomiques.
La difficile quête d’une éducation appropriée
Arrivé à l’âge de scolarisation, les enfants atteints de handicap mental léger en Tunisie se trouvent devant des choix très limités, nous indique la présidente de l’association Rym Blaiech Ben Hamouda, diplômée en marketing. Parmi ces possibilités, intégrer une école primaire classique après avoir passé un test d’aptitude au niveau de l’URR (Unité de réhabilitation), sauf que cette institution a révélé ses limites en matière d’intégration, à cause des situations d’inadaptation. L’enfant peut aussi rejoindre les structures privées classiques (écoles, jardins d’enfants), mais dans le circuit classique ordinaire, les crèches, jardins d’enfants et écoles primaires ne peuvent pas toujours accueillir un enfant handicapé. La plupart du temps, on les prend juste pour des raisons financières sans la mise en place de structures appropriées.
S’inscrire dans un centre public pour handicapés mentaux est aussi possible, mais malheureusement la plupart de ces centres croulent sous les problèmes administratifs, financiers et organisationnels. Manque de méthodes et de moyens, ce qui démotive en général le personnel et les éducateurs. Le second problème rencontré par les enfants est celui de l’absence d’accompagnement spécifique car on trouve dans une même classe tout type de handicap: trisomie, autisme, déficience légère et profonde.
Pour ce qui est des centres privés, il est vrai qu’ils sont bien structurés et dotés de moyens et méthodes adaptés, sauf que les tarifs sont élevés et ne sont pas à la portée des classes démunies et moyennes (ils varient entre 500 et 1.000 dinars par mois).
C’est dans ce contexte que Rym Blaiech Ben Hamouda, en tant que mère d’un enfant trisomique, a opté pour une solution pragmatique, qui consiste en la création d’une association adaptée aux besoins des enfants trisomiques à déficience mentale légère, d’où la naissance de l’association Arc-en-Ciel.
Les prix sont à la portée de tout le monde. Certains enfants trisomiques y sont accueillis gratuitement compte tenu de la situation financière des parents. Actuellement, plus d’une quarantaine d’enfants sont sur la liste d’attente.
Des cours mathématiques et de langues en plus de la formation
Quatre types de classe ont été aménagés dans le centre de scolarisation, de formation et d’aide à l’intégration sociale : petite section (4 à 6 ans), moyenne section (7 et 10 ans), grande section (11 à 14 ans) et enfant classe étoile pour les enfants intégrables dans les écoles, jusqu’à 20 ans). Le centre dispose actuellement de 8 classes, 8 éducateurs, un psychologue et 60 enfants. Il est aussi doté d’un atelier dédié à l’apprentissage de l’informatique et d’un autre atelier préparant l’insertion professionnelle.
Une ambiance bon enfant emplit l’espace et les classes avec des mômes, le sourire aux lèvres et l’air gai. Ils sont encadrés par de jeunes et dynamiques éducatrices. Les unes sont spécialisées en formation et intégration scolaires et les autres ont de la volonté à revendre. Des enseignants des deux langues (arabe et français) et de mathématiques font preuve aussi bien de patience que de professionnalisme pour inculquer le savoir à ces enfants et les aider à apprendre, pour pouvoir par la suite s’intégrer dans la société. «Non, ils ne sont pas différents de nous et n’ont besoin que d’amour et de compréhension», analyse la présidente de l’association.
Dans un autre coin du centre, une bonne odeur se dégageait de la cuisine. Une dame, la soixantaine bien sonnée, s’active à préparer le repas des enfants. Une autre salle qu’on a visitée était vide. Ou sont passés les enfants ? «Pas de soucis, ils sont allés faire du sport», nous répond Rym.
Arc-en-Ciel ambitionne de former et d’aider à l’insertion professionnelle de 15 à 20 jeunes par an. Les métiers visés sont liés à la cuisine et à la pâtisserie. Pour ce faire, Il existe une cantine interne et une pâtisserie ouverte au public.
Ce modèle a été testé grâce au partenariat avec l’hôtel Sheraton. Des ateliers sont organisés régulièrement dans les cuisines de cet hôtel.
Un mégaprojet pour les enfants trisomiques toujours bloqué
Lors de notre visite, Rym Blaiech nous a parlé d’un nouveau projet en cours pour les enfants trisomiques de l’association. «On a obtenu le local grâce à une contribution de la municipalité du Kram, d’une durée de 99 années. Sauf que le financement fait toujours défaut. L’ensemble occupera un espace couvert de 900m2 (sur deux niveaux)».
Le centre planifié compterait dix salles de classe, une aire de jeux couverte (pour danse, psychomotricité, éveil musical….), une salle d’informatique, une bibliothèque, une médiathèque, un atelier d’arts plastiques, un atelier de pâtisserie, une salle pour l’orthophoniste, une salle pour la psychologue, une infirmerie, une grande cuisine, une cantine d’une capacité de 50 personnes, plusieurs salles d’eau, un jardin pour les jeux d’extérieur, un espace dédié à l’administration, un centre pour le développement des carrières et une pâtisserie ouverte au public pour contribuer à l’autofinancement du centre. La présidente table sur un taux d’accueil de 100 enfants.
La construction et l’aménagement de ce nouveau centre situé au Kram Plage nécessitent un budget estimé à 1.8MD, d’où le blocage actuel.
La présidente compte multiplier les contacts avec les donateurs et les parties prenantes, dont le ministère des Affaires sociales, dans l’espoir de collecter cette importante somme d’argent et venir en aide aux enfants trisomiques.
Selon les statistiques, il y aurait en Tunisie entre 250 et 300 naissances de trisomiques 21 par an. La prévalence totale estimée est de 0.98 pour 1.000 grossesses.