Nos policières ne se contentent plus d’accomplir des tâches administratives. Elles sont aujourd’hui à la pointe du combat sur le terrain, promptes à museler trafiquants et voyous. Au péril de leur vie…
On ne le dira jamais assez : la femme tunisienne fait indubitablement exception dans les annales et les esprits. Formidablement émancipées et enfin en possession de cet inespéré galon de titulaire à part entière dans la société, nos femmes sont aujourd’hui partout où l’on parle de vie active.
L’ambition et l’application aidant, nos femmes ont fini par supplanter les mâles dans de nombreux hauts postes de responsabilité : air, terre et mer confondus. Et pour en avoir le cœur net, que dites-vous d’un saut au ministère de l’Intérieur ? Un département régalien qu’elles ont réussi à investir, non seulement en s’occupant des tâches administratives, mais aussi en se voyant confier des missions difficiles sur le terrain dans le cadre de la consolidation de la stratégie nationale de lutte contre la criminalité.
Quand force et beauté font bon ménage
Historiquement, c’est en 1976 qu’est lancée la réforme de féminisation de l’appareil sécuritaire du pays dans les corps de la police et de la Garde nationale. Mutée progressivement de l’administration aux commissariats de l’ordre public, la femme a alors fait ses adieux à la bureaucratie pour se retrouver confrontée à la dure réalité du terrain. Habitué jusque-là au vieux portrait du policier moustachu à la carrure impressionnante qui vous interpellait, l’air grave et le sourire en berne, le citoyen lambda allait avoir affaire à un nouveau look en la personne d’un vis-à-vis alliant compétence et… charme !
Et pour un coup d’essai c’en fut un coup de maître, puisque la gent féminine sera mobilisée sur la voie publique pour prêter main-forte aux agents de la circulation, avant d’être carrément lancée dans le bain des brigades et patrouilles d’intervention. «Au départ, se remémore Ameur Dridi, ex-commissaire principal à la retraite, je me sentais franchement gêné par la présence à mes côtés d’une policière au sein de ma brigade exclusivement composée de bulldozers. Tout simplement parce que cette nouvelle recrue était tellement ravissante que, lors de nos descentes musclées dans les fiefs des gangs et au lieu de me concentrer uniquement sur le boulot, j’étais obligé d’avoir un œil sur elle et l’autre sur les délinquants qu’on traquait. Je lui ai alors demandé de rester à l’écart des hostilités qui allaient bientôt commencer, en lui donnant l’ordre de monter la garde dehors. Mais, immense fut ma surprise, lorsqu’elle fusa comme une lionne derrière nous pour participer au raid. Un risque d’autant plus sérieux que, dans une périlleuse opération coup de poing de ce genre, il n’est pas rare qu’un bandit vous lance un baril sur la tête, quand un autre tire son couteau pour préparer sa fuite». Et Ameur de continuer : «Bref, on en est sortis indemnes ce jour-là. Mais ce n’est pas fini, car lorsque je lui ai reproché cet excès de zèle si bête, elle m’a répliqué par ce missile : maak rajel (littéralement : vous avez affaire à un homme). Il est vrai que la loi stipule que les femmes policières ne sont autorisées ni à dégainer leurs armes, ni à prendre part aux descentes nocturnes, sauf dans des situations jugées extrêmement graves pour l’ordre public».
Il n’empêche qu’elles sont, physiquement et mentalement, tout à fait prêtes à relever n’importe quel défi, souligne-t-on dans les coulisses sécuritaires. C’est qu’elles ont fait les grandes écoles de formation de Salammbô (pour la police) et de Foundok Jedid (pour la Garde nationale). Ici et là, elles sont soumises à de longs mois (entre trois et six) d’apprentissage sur les thèmes suivants :maniement des armes, tir, sports de combat, intervention rapide, démontage et remontage des armes. L’une d’entre elles, approchée par notre journal, a souhaité garder l’anonymat ( bien sûr au nom de la sacro-sainte conscience professionnelle). Écoutons-la. «Bien évidemment, raconte-t-elle, notre avènement sur le terrain des opérations a, à ses débuts, fait grincer des dents nos mâles qui prenaient la gestion des affaires de la criminalité pour leur chasse-gardée. Et ce n’est qu’après avoir vérifié de visu combien nous sommes appliquées, courageuses et utiles qu’ils ont fini par nous adopter».
Débordante d’énergie, cheveux longs et dorés et forte d’un beau visage doublé d’un physique de top-model, notre interlocutrice en patrouille dans un grand axe routier de la banlieue nord ne mâche pas ses mots. «En première ligne dans les embuscades tendues aux délinquants, nous confie-t-elle avec une étonnante assurance, je suis prête à y laisser ma vie. C’est que j’aime mon boulot et je n’ai pas froid aux yeux quand je suis en faction. Bref, pour moi, âmes sujettes au vertige s’abstenir».
Nabil Ben Kraiem, commissaire principal de police fraîchement parti à la retraite, en sait quelque chose. Lui qui dirigeait, avec son collègue Ezzeddine Belgaied, aussi bien les séances d’entraînement que les stages de formation et de recyclage auxquels participent les futurs policiers des deux sexes, ne tarit pas d’éloges sur «le sérieux, l’application et la témérité de la gent féminine». Obéissantes, avec de surcroît zéro écart de conduite, note-t-il, elles sont facilement gérables et perfectibles, au point de mettre moins de temps que les hommes pour apprendre, tant en théorie qu’en pratique. C’est comme si on avait un troupeau où on ne compte pas de brebis galeuses. «Ancien champion d’Afrique de lutte, Ben Kraiem est encore plus admiratif lorsqu’il évoque la fougue et la détermination des policières stagiaires durant les intensives et épuisantes séances physiques d’endurance. Ah, qu’est-ce qu’elles sont résistantes, mes aïeux. Alors là, de vraies guerrières».
En face, il nous a été donné de constater que deux de nos concitoyens apprécient: «Ce serait bien de se faire arrêter par de ravissantes policières », jubile Hamdi Bakir, alias «Chagour», un repris de justice aujourd’hui assagi. «La seule fois, se souvient-il, où je n’ai pas fait de résistance sur l’ensemble de mes arrestations, ce fut avec une policière qui m’a menotté, tout sourire. Une douceur qui tranche avec les exactions que commettent les agents de l’autre sexe».
Toujours en pantalon, jamais en jupe !
Dans plusieurs pays occidentaux, les filles et les femmes sont autrement plus omniprésentes dans les départements de la sécurité. Certaines d’entre elles sont même devenues populaires, non seulement parce que chez elles courage et beauté font bon ménage, mais aussi pour leurs parcours chargés d’exploits. La sergente- détective Paule Simard, à titre d’exemple, a fait sensation au Canada grâce à ses belles prouesses professionnelles à répétition et fortement médiatisées. A tel point que sa mort suite à un tragique accident d’hélicoptère lors d’une course-poursuite contre une bande de criminels avait endeuillé tout le pays. La Tunisie, Dieu merci, en compte des sosies parmi lesquels on peut citer l’actuelle directrice générale de la Douane. Celle-ci, avant d’atterrir dans ce département, a fait l’essentiel de sa carrière dans la police. Là où elle est considérée de nos jours comme la plus gradée de tous les temps. C’est ainsi qu’elle fut la première femme à avoir dirigé successivement un commissariat de police, un département de la PJ (police judiciaire) et, pendant dix ans, la très sensible brigade des mœurs, avant d’accéder au grade suprême de commissaire général au MI. Tous ceux qui l’ont côtoyée assurent qu’elle n’a jamais été vue, tout au long de sa carrière, en jupe ou en robe, ne portant que pantalons. Gaie et gentille à ses heures de relaxe, cette licenciée en droit et ancienne gloire du volley-ball tunisien reconvertie en représentante de l’ordre voit rouge dès qu’elle gagne son bureau qu’elle quitte souvent pour aller mener des descentes à la tête d’une troupe composée de commissaires de police et de chefs de brigades. Connue également pour être intraitable au cours des séances d’interrogatoire, si rusé soit le suspect mis en examen, elle est parvenue, le flair et l’intelligence aidant, à démanteler tant de réseaux de braquage, de prostitution et de trafic de drogue. Et, mine de rien, elle a fait école, puisque l’on parle aujourd’hui de la montée d’une nouvelle vague de policières (notamment dans le Grand Tunis) qui s’en sont inspirées.
Touche pas à mes droits
Reste à dire que nos vaillantes policières, tout en continuant de frapper fort sur le terrain de l’insécurité, savent aussi se défendre, dès qu’il s’agit de la préservation de leurs droits. Et ce n’est pas un hasard si elles ont été derrière la création, au lendemain de la révolution, d’organes de défense tels que «La ligue nationale tunisienne de la femme policière» et l’association appelée «Les femmes policières en Tunisie au service de la paix et de la sécurité». Deux structures au sein desquelles tout en bataillant pour la protection de leurs droits professionnels, elles organisent, en partenariat avec des organismes spécialisés comme l’ONU-Femme, séminaires et colloques nationaux et internationaux dans le droit fil des options fondamentales de la fameuse loi 1325 adoptée en 2018 au Conseil de sécurité de l’ONU autour de trois axes principaux, à savoir la femme, la sécurité et la paix.