1.500 milliards d’euros… ce sont les prévisions, en valeur, des dépenses de produits alimentaires «Halal» dans le monde pour 2025. Un montant extrêmement alléchant certes, pour beaucoup d’industriels intéressés par la production de produits destinés aux musulmans. Ce marché de l’alimentation «Halal» est une mine d’or avec un immense potentiel de croissance. Comme le bio avant lui, ce marché de niche a su trouver sa cible grâce à la publicité, à une bonne place dans les rayons des surfaces de vente et au développement de marques bien repérables pour les consommateurs. Le «Halal» est-il donc encore simplement une niche, ou représente-t-il plus que cela ?
Comme beaucoup de pays dans le monde, la Tunisie s’intéresse de plus en plus aux produits «Halal». L’essor du halal, loin de simplement répondre à une aspiration religieuse, est devenu un marqueur identitaire, avec la complicité des industriels de l’agroalimentaire, mais pas que ! Présentée comme l’organisation commerciale d’une pratique ancestrale, l’économie du «Halal» est en réalité le fruit d’une démarche lancée, il y a moins de cinquante ans, par des industriels principalement occidentaux, en lien avec des instances islamiques. Le phénomène est devenu si massif qu’il se répercute sur la population non musulmane, consommant, souvent sans le savoir, de plus en plus de produits censés être uniquement destinés à un marché «de niche».
Pour la Tunisie, et selon les derniers chiffres disponibles, entre 2018 et 2024, la demande de ces denrées a augmenté de 6,5%. Cette mention s’est largement élargie pour toucher divers produits. Il s’agit principalement des viandes, des volailles, des produits de la mer, des fruits et légumes, des produits laitiers, des céréales, des huiles et des graisses, des confiseries.
100 entreprises industrielles
Ce marché est en train de gagner du terrain pour toucher encore plus de produits, à savoir les produits cosmétiques, les produits pharmaceutiques, le tourisme, la mode, le secteur des finances. Sont également concernés plusieurs services comme le transport, le tourisme, l’assurance, l’emballage, le stockage, le logistique…
Il est à mentionner que plus de 100 entreprises industrielles et nationales ont obtenu un certificat «Halal», depuis 2013, dans plus de 20 secteurs. Ce marché recèle d’importantes opportunités pour les entreprises industrielles tunisiennes opérant dans le secteur des industries agroalimentaires pour adapter leurs produits, attirer cette catégorie de consommateurs, et conquérir de nouveaux marchés, leur permettant de relancer les exportations et d’en diversifier les destinations ; en engrangeant une plus grande plus-value.
En Afrique, le marché du business «Halal» est un secteur très porteur avec une manne financière estimée à environ 150 milliards de dollars en 2023. Ce marché comprend les produits alimentaires «Halal» et ceux non alimentaires. Dans ce business, l’agrobusiness et l’économie du tourisme ont été identifiés comme des secteurs très prolifiques.
A travers le monde, et en l’espace de quelques années, ce marché s’est approprié 16% du commerce mondial pour une croissance annuelle à deux chiffres (10%). Les 10 premiers pays exportateurs de produits certifiés «Halal» ne sont pas musulmans. Il s’agit des USA, du Brésil, de l’Argentine, de la France, de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie, de la Thaïlande, de Singapour, de l’Inde et des Philippines. Ces pays accaparent près de 85% du marché mondial du halal.
Soutenir et encourager les professionnels
Il est nécessaire de préciser que chez-nous, les efforts ne manquent pas pour booster et soutenir les exportations vers les marchés de consommation. Une réunion a eu lieu à la fin du mois de janvier dernier au ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Energie, autour du certificat de conformité «des aliments Halal», et leur contribution à la relance des exportations. Le «Mufti» de la République a, également, pris part à cette rencontre qui s’inscrit dans le cadre de la demande grandissante de la consommation des produits «Halal», avec la hausse de la base des consommateurs musulmans, dans les pays et les régions à majorité musulmane.
Afin de soutenir et encourager les professionnels intéressés par ce type de production, la Tunisie a abrité, au mois de juin 2023, la 10e édition du salon «Halal expo» des Etats membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI). 57 pays ont participé à cette expo venant de différents domaines. Il est à rappeler que notre pays est, également, membre de l’Institut de normalisation et de métrologie pour les pays islamiques (Smic), à travers l’Institut national de normalisation et de la propriété industrielle (Innorpi) depuis 2010.
Mais qu’est-ce qu’un produit «Halal» ? «Pour être «Halal», le produit doit non seulement être autorisé à la consommation, mais doit être élaboré, durant toute la chaîne de production et de transformation, selon un processus défini (pour la viande par exemple, il faut que l’animal soit d’une espèce bien définie, élevé, abattu, transporté et conservé selon des règles précises) qui garantissent sa salubrité et sa sécurité. Il ne doit pas également contenir ou être contaminé par des ingrédients non permis (haram ou illicites) comme l’alcool, les produits à base de porc, le sang, les oiseaux à serres ou tout produit en provenance d’un animal qui n’a pas été abattu conformément au rite musulman.
Le colorant rouge carmin à base de cochenille, souvent utilisé en agroalimentaire, est également illicite», c’est ce qu’a précisé Ridha Bergaoui, enseignant et chercheur dans le domaine des productions animales, dans une tribune publiée, récemment, sur un site électronique.
Oui, ça nous intéresse !
Selon lui, ce n’est qu’en 2012 que la certification officielle «Halal» a vu le jour en Tunisie. C’est l’Innorpi, après convention avec l’Institution «El Ifta» relevant du Mufti, qui a été chargé d’élaborer les normes tunisiennes de la certification «Halal» pour répondre aux besoins de certaines entreprises exportatrices.
Du côté des consommateurs, le concept est en train de séduire de plus en plus de gens. Beaucoup font leurs courses aux rayons de produits «Halal». «Depuis tout petit, j’ai l’habitude de consommer halal. Mais là où mes parents achetaient uniquement de la viande ou des produits sans alcool, j’ai accès à une gamme élargie de produits : diverses charcuteries, bonbons sans gélatine de porc, boissons sans alcool, plats préparés…», se réjouit un fonctionnaire installé en France depuis quelques années. Son épouse, si elle n’achète pas de façon systématique ces produits, les consomme néanmoins aussi régulièrement. Pour le jeune couple, ces aliments «sont bien présentés et ressemblent aux autres produits».
La mention «Halal» ne concerne pas exclusivement les denrées alimentaires, mais s’étend par exemple aux produits cosmétiques. «Ces derniers ne doivent certainement pas contenir de l’alcool, ni d’autres ingrédients provenant d’animaux interdits aux musulmans comme le porc et tous ses dérivés et sous-produits, les animaux carnivores, les charognards, les oiseaux de proies, les reptiles, les insectes… ou qui ne sont pas abattus selon la loi islamique. Bien que certains ingrédients puissent poser problèmes, tels que les agents colorants dérivés d’insectes, le collagène, l’élastine ou l’acide hyaluronique d’origine animale, il existe un certain nombre d’alternatives à ces ingrédients, telles que celles utilisées dans les cosmétiques végane», explique Aya, chercheuse dans le domaine de la cosmétique.
Du «Halal» à toutes les sauces
Et de poursuivre : «Actuellement et au-delà d’une simple liste d’ingrédients prohibés, la définition d’un cosmétique «Halal» se veut plus large et comprend également l’ensemble des produits développés afin de répondre aux besoins particuliers des femmes musulmanes.
Dans le monde de la finance, on n’en enfreint pas à la règle. Connu sous l’appellation «finance islamique», cette dernière peut se définir comme l’ensemble des acteurs, produits et transactions financières conformes aux principes de la religion musulmane. Les règles de la finance islamique sont basées sur des interdictions et des obligations.
Il est donc interdit tout argent issu de l’usure, également appelé «Riba», que ce soit son paiement, sa perception ou son autorisation. Sont interdites les formes de spéculation excessive et l’incertitude. A titre d’exemple, tout produit dérivé sur le marché financier qui parie sur la baisse ou l’augmentation d’un titre est totalement prohibé. Investir en conformité avec la finance islamique oblige à partager les profits et les pertes entre les parties prenantes, donc à partager le risque global.
Ainsi, les obligations et autres produits à intérêts garantis ne sont pas autorisés en islam en partie à cause de cette règle. La finance islamique prohibe tout investissement dans les secteurs d’activité qui ne sont pas «Halal».
Bref ! Nourriture, vêtements, maquillages, banques… Le «Halal» est partout. L’institutionnalisation de cette norme nécessite une régulation et un contrôle de toute la chaîne de production. Son succès dépendra également du contrôle du marché parallèle et des fausses mentions dont souffrent certains producteurs.