Accueil A la une La voix de la Tunisie résonne à la CIJ – Plaidoirie de Slim Laghmani à la Cour internationale de Justice : « Toutes les preuves affirment un crime de génocide contre les Palestiniens »

La voix de la Tunisie résonne à la CIJ – Plaidoirie de Slim Laghmani à la Cour internationale de Justice : « Toutes les preuves affirment un crime de génocide contre les Palestiniens »

Plaidoirie de Slim Laghmani à la Cour internationale de Justice

 

La Tunisie s’est prononcée hier devant la Cour internationale de justice dans une plaidoirie préparée et présentée par le professeur de droit international, M. Slim Laghmani, mandaté par Son Excellence le Président de la République, dans le cadre de l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale des Nations unies à la Cour sur les conséquences juridiques découlant de la violation permanente de l’entité occupante du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et l’impact des politiques et pratiques de cette entité usurpatrice sur le statut juridique de l’occupation et les implications juridiques résultant de ce statut pour tous les pays ainsi que pour les Nations unies. La Presse publie ci-après in extenso le discours du Pr Slim Laghmani.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les juges de la Cour, c’est pour moi un honneur que de me présenter devant votre haute juridiction afin d’exposer le point de vue de l’Etat tunisien sur la demande d’avis consultatif dont la Cour est actuellement saisie, demande d’avis qui a trait à la plus ancienne et la plus insupportable injustice dont est victime un peuple, le Peuple palestinien.

1. En décembre 2022, la Tunisie avait voté pour la résolution 77/247 parce qu’elle était — et elle est encore — convaincue que l’avis juridique, impartial et éclairé de la Cour, donné en réponse aux questions posées par l’Assemblée générale, est nécessaire non seulement à l’Assemblée générale et aux Nations unies, mais plus, il l’est à la communauté internationale dans son ensemble.

2. S’agissant des questions relatives à la compétence et au pouvoir discrétionnaire, nous considérons que les arguments qui ont amené la Cour, dans son avis consultatif, conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, à conclure que « non seulement […] elle a compétence pour donner un avis sur la question qui lui a été posée par l’Assemblée générale …, mais encore qu’il n’existe aucune raison décisive pour qu’elle use de son pouvoir discrétionnaire de ne pas donner cet avis », que ces arguments donc valent pour la présente demande d’avis. Il est toutefois un argument spécifique qui milite pour le caractère éminemment juridique des questions posées dans la présente demande d’avis et qui mérite d’être développé.

3. La référence par l’Assemblée générale, successivement, à l’occupation, à la colonisation et à l’annexion montre que c’est bien le Droit qui est au centre de la question posée. En effet, au vu des politiques et des pratiques d’Israël dans les territoires occupés, il s’agit de répondre à la question suivante : Pouvons-nous encore parler uniquement d’une occupation entendue comme le fait de placer un territoire « sous l’autorité de l’armée ennemie » ? N’est-ce plus, désormais, un euphémisme ? Israël n’est-il pas allé bien au-delà en annexant de jure ou de facto les territoires palestiniens, en adoptant des lois et mesures discriminatoires, en assiégeant Gaza depuis 2007 et en menant, depuis le 7 octobre 2023, une guerre d’anéantissement ? Et en allant au-delà, dans quelles catégories juridiques la présence illégale d’Israël dans les territoires palestiniens doit-elle être classée ? Contrairement à ce que l’on a pu prétendre, la réponse de la Cour, donnée à titre consultatif, à une telle interrogation ne ferait en aucune manière obstacle à un règlement politique négocié du conflit israélo-palestinien, bien au contraire, il est utile aux négociations que les négociateurs soient éclairés par un tiers impartial sur ce que, en Droit, ils sont en mesure d’exiger et sur ce à quoi, en Droit, ils peuvent ou doivent renoncer. Mais voyons d’abord de quelles violations il est question, nous verrons, ensuite, leurs conséquences juridiques.

I. Les violations de normes fondamentales du droit international

4. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les juges de la Cour, vous disposez de tous les éléments qui établissent la violation continue par Israël du droit du Peuple palestinien à disposer de lui-même, de la mise hors-la-loi de l’agression, de l’interdiction de l’acquisition des territoires par la force, des violations à la fois graves et persistantes des droits humains des Palestiniens ainsi que des règles « intransgressibles » du droit international humanitaire. Parmi ces éléments, nous réfèrerons, en particulier, à ceux établis par les décisions du Conseil de sécurité, qu’on ne peut accuser d’avoir un parti pris contre Israël, et par la Cour, dont il serait incongru de douter de l’indépendance, dans son Avis du 9 juillet 2004.

5. L’ensemble des principes et règles violés figurent dans la liste non exhaustive de normes impératives du droit international général annexée par la Commission du droit international à son Projet de Conclusions relatives à la détermination et aux conséquences juridiques des normes de jus cogens.

La Cour, quant à elle, a qualifié certaines des normes violées de règles de jus cogens, il en a été ainsi de l’interdiction de la torture et des crimes constituant des infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 et aux protocoles additionnels à ces Conventions. D’autres ont été qualifiées de droits ou d’obligations erga omnes, de « principes cardinaux », de « principes intransgressibles », de « principes essentiels du droit international contemporain » ou encore de règles dictées par des « considérations élémentaires d’humanité ».

Nous ne pouvons, dans les limites imparties à cet exposé oral, analyser l’ensemble de ces violations. Il nous suffira de montrer que l’occupation des territoires palestiniens, considérée dans la durée et comme un tout, a pour finalité ultime la négation du droit du Peuple palestinien à disposer de lui-même, l’acquisition de son territoire par la force et, pour réaliser cette fin, Israël n’a pas hésité à choisir le pire des moyens : le génocide du Peuple palestinien.

La négation du droit du Peuple palestinien à disposer de lui-même

6. A l’issue de la Première Guerre mondiale, la Palestine a été placée sous mandat «A» britannique. En vertu de l’article 22, Par. 4 du Pacte de la Société des Nations, ce mandat concerne « [c]ertaines communautés, qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman », ce qui est le cas de la Palestine. Ces communautés, poursuit l’article, « ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement ». La SDN considérait donc la Palestine comme une nation et le mandat devait, à son terme, déboucher sur l’indépendance définitive de la Palestine et ce, sur la totalité du territoire du mandat.

7. Tout au long de ce mandat, le Royaume-Uni a mis en œuvre la « Déclaration Balfour ». Intégrée dans le mandat britannique sur la Palestine, la Déclaration prévoyait non pas la création d’un Etat juif, mais « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour les Juifs ». Ce processus aboutit à la résolution 181 (II) de l’Assemblée générale du 29 novembre 1947 qui recommandait de placer la Ville de Jérusalem sous un régime international spécial ainsi qu’un plan de partage accordant à l’Etat juif 56,47 % du territoire de la Palestine mandataire. Cette recommandation, qui méconnaissait la raison d’être du mandat, mener la Palestine vers son indépendance définitive sur la totalité du territoire du mandat, devait, pour produire des effets juridiques, être acceptée par les deux parties. La partie juive l’accepta, mais les Palestiniens et les Etats arabes de la région la refusèrent. La partie juive s’empressa, pourtant, de proclamer son Etat. Il s’ensuivit la guerre de 1948-1949 qui aboutit à un amoindrissement de l’ordre de 23% de l’espace concédé à l’Etat palestinien par la résolution 181 (II) et à l’exil de 750 000 Palestiniens.

8. L’effet de cette guerre et des rapports de force qui se sont établis sur sa base, furent, dans un premier temps, une régression. La reconnaissance de l’existence d’un Peuple palestinien et de son droit à disposer de lui-même par les organes politiques des Nations unies a, en effet, été lente à venir.

Dans un premier temps, les Palestiniens ne furent considérés que comme des réfugiés et il faudra attendre le 10 décembre 1969 pour que l’Assemblée générale reconnaisse « les droits inaliénables du peuple de Palestine ». Le 30 novembre 1970, elle condamnera « les gouvernements qui refusent le droit à l’autodétermination aux peuples auxquels on a reconnu ce droit, notamment les peuples d’Afrique australe et de Palestine », et reconnaîtra « la légitimité de la lutte que mènent les peuples assujettis à une domination coloniale et étrangère et auxquels on a reconnu le droit à disposer d’eux-mêmes pour recouvrer ce droit par tous les moyens dont ils disposent ». La reconnaissance solennelle du Peuple palestinien interviendra le 22 novembre 1974, l’Assemblée générale affirmera « les droits inaliénables du peuple palestinien en Palestine, y compris : a- Le droit à l’autodétermination sans ingérence extérieure et, b- Le droit à l’indépendance et à la souveraineté ».

Le Conseil de sécurité sera encore plus lent à intégrer dans ses résolutions l’expression « Peuple palestinien ». C’est dans sa résolution 605 du 22 décembre 1987 que le Conseil affirmera, à notre connaissance, pour la première fois, l’existence d’un Peuple palestinien. Il y déplore vivement les « politiques et pratiques d’Israël, Puissance occupante, qui violent les droits de l’homme du peuple palestinien dans les territoires occupés ». Dans la résolution 672 du 12 octobre 1990, le Conseil de sécurité reconnaîtra les « droits politiques légitimes du peuple palestinien ».

La Cour tirera, dans son avis consultatif du 9 juillet 2004, les conséquences de cette évolution en affirmant : « [L]’existence d’un «peuple palestinien» ne saurait plus faire débat ».

9. La reconnaissance de l’existence d’un peuple emporte la reconnaissance de son droit à l’égalité de droits, à la création d’un Etat souverain et indépendant, à la libération et à l’intégrité de son territoire. Or, à l’évidence, le Peuple palestinien est privé par la force de la jouissance de l’ensemble ces droits. C’est ce à quoi la Cour conclura le 9 juillet 2004 : « [L]’obligation [erga omnes] de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination » est « [violée] par Israël ».

Mais ce n’est pas seulement de son droit à l’autodétermination que le Peuple palestinien est privé, il est atteint dans son existence même !

Le génocide comme moyen de l’acquisition des territoires palestiniens par la force

10. Le génocide est, dit-on, « le crime des crimes » et l’on emploie souvent cette expression pour signifier que c’est le plus grave des crimes internationaux. Nous l’employons, ici, pour signifier que l’établir dispense de l’établissement de la violation des autres principes et règles cités. Nous l’employons également et surtout pour déterminer l’incidence de ces actes illicites sur le « statut juridique de l’occupation », objet de la question 2 que vous a posée l’Assemblée générale. Nous savons que la Cour est saisie, au contentieux, de la question du génocide, mais il est impératif de l’aborder ici également parce que le génocide du Peuple palestinien en vue de l’acquisition de son territoire est le « statut juridique de l’occupation ».

11. L’interdiction du génocide est incontestablement une norme de jus cogens. Le crime de génocide est défini par l’article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide :

« Aux fins du présent Statut, on entend par crime de génocide l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe ;

b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

12. Il ne fait aucun doute que le Peuple palestinien constitue un «groupe national» au sens de l’article II de la Convention. Comment ne le serait-il pas alors qu’il constitue un Peuple et qu’à ce titre, il est titulaire du droit à l’autodétermination ?

13. Il ne fait aucun doute non plus que les actes mentionnés aux paragraphes «a», «b» et «c» et « d » ont eu lieu et ont encore lieu en ce moment. Le monde entier a été et est encore témoin :

14. de la guerre contre Gaza, la cinquième depuis 2007, de la violation systématique et massive des droits humains fondamentaux et des normes du droit international humanitaire dont la Cour a dit qu’elles sont « intransgressibles ». A cet égard, il convient de rappeler que le génocide ne suppose pas l’extermination de la totalité des membres du groupe protégé, la Cour a considéré, dans son arrêt du 26 février 2007, que « l’intention [génocidaire] doit être de détruire au moins une partie substantielle du groupe en question ». Et de fait, la Cour a constaté, dans son Ordonnance du 26 janvier 2024, que « [l]es Palestiniens de la bande de Gaza forment une partie substantielle du groupe protégé ».

Et, auparavant, le monde entier a été témoin :

– du blocus terrestre, maritime et aérien imposé à Gaza depuis 2007 ;

– de l’usage excessif de la force par l’armée et les forces de sécurité dans les territoires occupés occasionnant morts et blessés parmi les civils palestiniens, y compris les enfants, les femmes, ainsi que les journalistes et les membres du personnel médical et humanitaire ;

– des actes de violence et de harcèlement commis par des groupes de colons armés envers des civils palestiniens, en particulier des enfants ;

– de la destruction des biens, y compris des habitations, des sites religieux ou historiques, de la confiscation de terres, notamment en guise de châtiment collectif ;

– des expulsions, des déplacements forcés de civils, et notamment les tentatives de transfert forcé de familles bédouines ;

– du maintien en détention de milliers de Palestiniens, dont un grand nombre de femmes et d’enfants ainsi que de représentants élus ; du recours fréquent à un internement administratif d’une durée excessive sans chef d’inculpation et sans la garantie d’une procédure régulière et des mauvais traitements, qui vont jusqu’à la torture ;

– du bouclage de certaines zones, de la mise en place de centaines d’obstacles à la circulation, de postes de contrôle et d’un régime de permis, qui entravent la liberté de circulation des personnes et des biens, notamment médicaux et humanitaires.

15. Mais il ne suffit pas d’établir l’élément matériel pour prouver le génocide. La spécificité de ce crime réside dans son élément intentionnel particulier. L’intention, relevant du for intérieur, est toujours difficile à prouver, mais une telle preuve n’est pas impossible si on établit l’existence d’une politique génocidaire, c’est-à-dire d’une option prise collectivement ou individuellement par des autorités qui ont le pouvoir de décision et d’exécution visant à détruire les Palestiniens en tant que groupe national. Une telle politique existe, elle est attestée par des textes juridiques israéliens, par des déclarations de responsables politiques du plus haut niveau et par le caractère systématique, coordonné des pratiques et des mesures constatées. Rappelons en particulier :

– l’agression de 1967 et, depuis, le refus de se retirer des territoires occupés, qui montre qu’Israël a occupé les territoires pour s’y installer définitivement.

– l’annexion de jure de Jérusalem.

– l’annexion de facto de la Cisjordanie, notamment par sa colonisation, qui vise, à terme, à établir un fait accompli : la Cisjordanie n’est plus palestinienne.

– la Loi fondamentale « Israël en tant qu’Etat national du peuple juif » adoptée le 19 juillet 2018 qui, dans son article 1er, définit « la terre d’Israël » comme étant « la patrie historique du peuple juif, dans laquelle l’Etat d’Israël a été créé » en référant ainsi, en ce qui concerne cette «terre», non pas à la légalité internationale, mais à un récit identitaire qui intègre toute la Palestine mandataire et plus. Le même article 1er dispose que le « droit d’exercer l’autodétermination nationale au sein de l’Etat d’Israël est exclusif au peuple juif », donnant ainsi valeur constitutionnelle à la négation même du droit du Peuple palestinien à l’autodétermination. Notons également l’article 7 qui dispose : « L’Etat considère le développement des colonies juives comme une valeur nationale et agira pour encourager et promouvoir leur création et leur renforcement ».

– les principes directeurs de l’accord de coalition de l’actuel gouvernement israélien qui a prêté serment le 29 décembre 2022. Le premier de ces principes proclame expressément que « le peuple juif a un droit exclusif et incontestable sur toutes les zones de la Terre d’Israël » et engage le Gouvernement à « promouvoir et développer des colonies dans toutes les parties de la Terre d’Israël – en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan, en Judée et en Samarie ». Le onzième principe directeur affirme que « le Gouvernement œuvrera à consolider le statut de Jérusalem ».

– les déclarations des dirigeants d’Israël. Nous nous limiterons à deux, à titre d’exemples. La première est celle du ministre des Finances israélien, en date du 19 mars 2023 : « Il n’y a pas de Palestiniens car il n’y a pas de peuple palestinien ». La seconde est la déclaration du Premier ministre israélien : « Je ne ferai aucun compromis sur le plein contrôle qui devra être conservé par Israël, en ce qui concerne la sécurité, sur tout le territoire situé à l’ouest du fleuve Jourdain ».

Il ressort clairement de ces textes et déclarations qu’Israël considère que tout le territoire de la Palestine mandataire est sien, plus le Golan et qu’il n’y a pas de Peuple palestinien.

16. Tout ce qui précède montre l’existence d’une politique systématique, c’est-à-dire une intention et une volonté claires de détruire les Palestiniens en tant groupe national ayant le droit à l’autodétermination et à l’indépendance de son Etat et de réduire les rescapés à un ensemble de réfugiés apatrides.

II. Les conséquences juridiques

17. Les conséquences juridiques, pour les Etats, de la violation persistante par Israël de ces normes peuvent être classées en deux catégories :

Les conséquences particulières des violations graves des normes impératives du droit international général.

18. La Commission du droit international a attribué des conséquences particulières aux violations « graves » des normes de jus cogens et une violation « est grave si elle dénote de la part de l’Etat responsable un manquement flagrant ou systématique à l’exécution de cette obligation».

Les violations des normes de jus cogens commises par Israël sont à la fois flagrantes et systématiques.

Flagrant se dit de ce qui paraît évident aux yeux de tous, n’est-il pas évident aux yeux de tous qu’Israël occupe les territoires palestiniens, qu’il colonise ce territoire, qu’il a annexé Jérusalem. Que, dans la guerre d’agression qu’il mène contre Gaza, il méconnaît et revendique la méconnaissance des principes de distinction et de proportionnalité, qu’il a volontairement ciblé des lieux et des personnes protégés, etc. ?

Systématique se dit de ce qui est fait avec méthode et sans défaillance, de ce qui procède d’un ordre déterminé à l’avance et de ce qui est délibéré. Ne ressort-il pas des politiques et des pratiques d’Israël qu’il y a un ordre déterminé à l’avance, un plan ourdi dont le but final est de détruire les Palestiniens en tant que Peuple, de les réduire à une poussière d’individus et qu’Israël n’a jamais cessé d’œuvrer pour le réaliser ?

19. Il résulte des violations graves des normes impératives du droit international général les conséquences suivantes :

– L’Etat responsable ne peut pas se prévaloir de circonstances excluant la responsabilité. Israël ne peut se prévaloir ni de la légitime défense ni de la force majeure ni de la détresse ni de l’Etat de nécessité pour exclure sa responsabilité et il n’est pas non plus en droit de recourir aux contre-mesures.

– En ce qui concerne les autres Etats, les normes de jus cogens créent des obligations erga omnes « à l’égard desquelles tous les Etats ont un intérêt juridique », en particulier :

Tous les Etats ont le devoir de coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, aux violations commises par Israël.

Tous les Etats ont le devoir de reconnaître comme illicites les situations créées par l’occupation des territoires palestiniens et de s’abstenir de tous actes qui constitueraient une aide ou une assistance à cet égard.

Tous les Etats, et non pas seulement les Etats lésés, sont en droit d’invoquer la responsabilité d’Israël. Ils peuvent exiger d’Israël la cessation de ces violations et des assurances et garanties de non-répétition ainsi que l’exécution de l’obligation de réparation.

Les conséquences spécifiques de la violation de l’interdiction du génocide

20. La violation de l’interdiction du génocide emporte toutes les conséquences particulières de la violation des normes de jus cogens, elle emporte également les conséquences spécifiques prévues par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et par le Statut de la Cour pénale internationale pour tous les Etats qui sont parties à ces deux instruments. Ces conséquences spécifiques sont les suivantes :

– D’abord, l’établissement d’une compétence universelle, à cette fin, les Etats parties doivent notamment prévoir des sanctions pénales efficaces frappant les personnes coupables de génocide ou de l’un quelconque des autres actes incriminés par l’article III de la Convention de 1948.

– Ensuite, le droit pour toute Partie à la Convention de 1948 de saisir les organes compétents de l’Organisation des Nations unies afin que ceux-ci prennent les mesures appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide.

– En troisième lieu : le droit pour toute Partie à la Convention de 1948 de saisir la Cour, par requête unilatérale, de tout différend relatif à la responsabilité d’Israël en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III. C’est ce qu’a fait l’Etat d’Afrique du Sud.

– En quatrième lieu : le droit, pour tout Etat partie ou pour tout Etat qui a accepté la compétence de la Cour pénale internationale conformément à l’article 12 paragraphe 3 du Statut de Rome, de saisir la Cour s’il a des raisons sérieuses de croire qu’un crime de génocide a été commis sur son territoire. C’est ce qu’a fait l’Etat de Palestine.

– Enfin, le droit pour tout Etat partie au Statut de Rome de déférer au Procureur de la Cour pénale internationale la situation en Palestine et de le prier d’enquêter sur la situation. C’est ce que, le 17 novembre 2023, ont fait cinq Etats parties : l’Afrique du Sud, le Bangladesh, l’Etat plurinational de Bolivie, les Comores et Djibouti.

21. Nous conclurons notre propos par l’exposé des conséquences juridiques qui découlent, pour l’Organisation des Nations unies, du statut juridique de l’occupation tel que nous l’avons déterminé. A cet égard, nous ne pouvons que paraphraser les conséquences dégagées par votre Cour dans son avis consultatif de 2004 : L’Organisation des Nations unies et spécialement l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité doivent examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à l’occupation des territoires palestiniens et aux violations graves et persistantes du droit impératif général qui y sont commises.

22. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les juges de la Cour, je vous remercie de votre attention.

Charger plus d'articles
Charger plus par La Presse
Charger plus dans A la une

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *