Le dernier sondage du Baromètre arabe sur la situation en Tunisie révèle les opinions des Tunisiens et des Tunisiennes sur un large éventail de questions, notamment l’économie, la confiance dans le gouvernement et son rendement, les relations internationales, l’égalité des genres, la condition de la femme et l’environnement dans un contexte régional marqué par de grandes mutations. La Presse publie des extraits de cet article.
Tunisie — Selon le sondage du baromètre politique en Tunisie effectué sur un échantillon de plus de 2.400 personnes à fin 2023 par le réseau le plus influent pour mesurer l’opinion publique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les Tunisiens demeurent beaucoup plus optimistes qu’avant l’élection du Président Kaïs Saïed…
Dans ce sondage, certains estiment que les promesses d’amélioration de la situation économique n’ont pas été tenues. De ce fait, une personne sur dix estime que la situation économique est bonne, un résultat qui n’a pas beaucoup changé depuis 2013. Les taux d’optimisme économique ont également chuté de 14 points depuis 2021. Au cours de cette période, la faim a considérablement augmenté, les deux tiers des Tunisiens déclarant qu’ils n’ont pas eu de nourriture, au moins une fois au cours du dernier mois, alors que la perception la plus répandue de la cause de l’insécurité alimentaire est la mauvaise gestion de cette question par le gouvernement.
L’enquête révèle aussi que la perception vis-à-vis de la plupart des institutions politiques était relativement négative, avec un peu plus d’un tiers exprimant sa confiance dans le gouvernement, tandis que moins d’un quart accordait sa confiance au Parlement. Mais la confiance envers le Président Saïed reste forte. Les trois quarts des personnes interrogées ont exprimé leur confiance en leur leader.
Malgré le haut niveau de confiance en le Président, seule la moitié évalue positivement la performance du gouvernement, un pourcentage qui a chuté de huit points depuis 2021. Le plus haut niveau des satisfaction à l’égard du gouvernement est enregistré dans la gestion des dossiers de la défense nationale et l’infrastructure. Cependant, seulement un tiers des personnes interrogées exprime sa satisfaction du niveau des soins de santé ou de l’éducation.
A cet effet, les performances de l’action gouvernementale sur le plan économique sont jugées insuffisantes avec moins d’un quart des personnes interrogées qui sont satisfaites des efforts déployés pour réduire l’écart de richesse, créer des opportunités d’emploi et lutter contre l’inflation.
La corruption reste aussi un problème majeur aux yeux des citoyens, hommes et femmes. Plus de 90% ont déclaré qu’elle était largement ou modérément répandue dans les institutions publiques, un pourcentage qui n’a pas changé au cours des huit dernières années. Cependant, on croit désormais beaucoup plus que par le passé que le gouvernement fait des efforts pour lutter contre ce phénomène.
En effet, les deux tiers des Tunisiens estiment que depuis 2021, le gouvernement s’attaque sérieusement à ce problème, un score beaucoup plus élevé qu’en 2016 et en 2019. Compte tenu des problèmes auxquels sont confrontés les citoyens tunisiens, il n’est pas surprenant que beaucoup cherchent à quitter le pays. Ainsi, près de la moitié ont déclaré qu’ils envisageaient d’émigrer, en particulier parmi les personnes les plus jeunes et les plus instruites. Parmi la catégorie qui envisage d’émigrer, un peu moins de la moitié ont déclaré qu’ils avaient commencé à planifier dans ce sens, et 4 personnes sur 10 ont déclaré qu’elles envisageaient de quitter la Tunisie même si les visas n’étaient pas accordés pour s’installer dans un autre pays.
Sur le plan politique, les Tunisiens ne constatent pas de dégradation significative de leurs droits. A cet égard, 7 personnes sur 10 estiment jouir du droit à la liberté d’expression, ce qui représente un pourcentage plus élevé qu’en 2019. Dans le même sillage, 56% des sondés ont déclaré que la liberté d’association est garantie, un pourcentage qui a légèrement diminué depuis 2021, mais nettement supérieur à celui de 2019.
Malgré les changements politiques, les Tunisiens restent prudemment attachés à la démocratie. Ainsi, 8 personnes sur 10 ont souligné que malgré les problèmes, la démocratie reste leur système politique préféré. Mais 7 personnes sur 10 associent l’état de la démocratie aux mauvais résultats économiques, à l’instabilité et à l’indécision. Bref, cela reste un système imparfait mais souhaitable. Cependant, cette perception de la démocratie est peut-être due à la façon dont les Tunisiens définissent la démocratie : ils la considèrent davantage liée à la réalisation des objectifs économiques, à l’égalité devant la loi et à l’absence de corruption, qu’à une démocratie dont le seul souci serait de parvenir à des élections libres et équitables.
En fait, les Tunisiens ne font pas de différence entre démocratie et dignité, et cette dernière était une revendication fondamentale lors des manifestations de 2011 qui ont conduit à la chute du régime du feu président Zine El Abidine Ben Ali. Par conséquent, les Tunisiens sont plus susceptibles de soutenir un régime capable de produire des résultats et non pas de se contenter d’une démocratie qui leur permet de choisir leurs dirigeants lors d’élections périodiques. Les Tunisiens privilégient aussi l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’espace privé et public. Une très large majorité affirme la nécessité pour les femmes d’avoir les mêmes droits que les hommes, avec une tendance qui privilégie des quotas pour les femmes dans les portefeuilles ministériels et les sièges parlementaires. Mais malgré cette propension aux droits des femmes, il n’en demeure pas moins que la participation des femmes à la force active reste inférieure à celle des hommes.
Pour saisir ce contraste, les Tunisiens voient de nombreux obstacles auxquels sont confrontées les femmes, notamment le manque d’opportunités d’emploi et le manque de services de garde d’enfants. Mais il y a d’autres facteurs qui peuvent expliquer cette position tels que le fait que les femmes sont confrontées à des niveaux importants de harcèlement sur le lieu de travail.
Les Tunisiens ont également exprimé leur profonde préoccupation concernant leur environnement naturel et le changement climatique. Mais la plus grande préoccupation des citoyens, hommes et femmes, concerne les ressources en eau. Une nette majorité s’inquiète des effets plus larges du changement climatique, y compris sur la santé physique et mentale. Ils ont également exprimé leur grande inquiétude quant à l’impact du changement climatique sur leur vie quotidienne. En ce qui concerne les acteurs contribuant au changement climatique, la plupart des gens considèrent l’activité des entreprises comme une cause majeure, qu’il s’agisse d’entreprises internationales ou locales. Mais la plupart affirment également que les gouvernements et les citoyens du monde entier et en Tunisie jouent un rôle.
Peut-être plus important encore, les citoyens, hommes et femmes, soulignent la nécessité pour les entreprises, les gouvernements et les individus d’assumer leurs responsabilités dans la lutte contre le changement climatique. La plupart des citoyens sont favorables à la prise de mesures pour améliorer leur environnement et lutter contre le changement climatique, notamment en sanctionnant les pollueurs et en réduisant progressivement l’utilisation des carburants.
Sur le plan des relations internationales, la guerre à Gaza a grandement affecté l’opinion des Tunisiens. Avant l’attaque du Hamas du 7 octobre, quatre Tunisiens sur dix avaient une opinion positive des États-Unis. Puis, après seulement trois semaines du début de l’agression sioniste contre Gaza, seuls 10% soutenaient les États-Unis.
La popularité des alliés des États-Unis a également diminué. Celle de la France et de l’Arabie saoudite, par exemple, a chuté de 14 points. En revanche, un soutien accru à l’Iran au cours de la même période de ces trois semaines de guerre, émerge. Dans le même temps, le Tunisien ne semble pas avoir beaucoup changé d’avis sur la Chine ou la Russie dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre.