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Pour que la Rachidia ne joue pas sa dernière partition

Editorial La Presse

 

La veille de la célébration de son 90e anniversaire, il est ahurissant d’apprendre que la Rachidia, un temple de la musique tunisienne, est en péril. En effet, faute de subvention et engluée dans une crise fi nancière, la Rachidia joue sa dernière partition. Cette prestigieuse institution culturelle, qui a veillé tout au long de son existence à préserver l’identité authentique de la musique tunisienne, appelle au secours et risque de rendre l’âme si rien n’est fait pour la sauver. Il est à rappeler qu’à une époque où les autorités coloniales cherchaient à installer un courant de dénaturation de la musique tunisienne où les soirées de « malouf » ont été remplacées par les « adwars » et les « mouachahats » d’Egypte et faisaient circuler des chansons sans goût ni couleur créées à la va-vite par des pseudo-chanteurs du type Gaston Bsiri et Maurice Ben Aissa, aidés en cela par la fabrication et la diffusion de disques à Tunis par la société allemande « Baidhaphone » dirigée par Béchir Ressaissi, des jeunes, jaloux de leur identité, ont décidé de dépoussiérer le patrimoine tunisien et d’apprendre les « maqamet » et les « touboua » dans des écoles. Les bonnes volontés étaient constituées de musiciens, d’anciens élèves d’Ahmed el Ouefi mais aussi de personnalités devenues célèbres dans d’autres domaines, telles que Behi Ladgham, Slaheddine Bouchoucha ou Taieb Slim. D’autres personnalités comme le Baron d’Erlanger, Hassen Hosni Abdelwahab, Mannoubi Senoussi, Khémais Tarnane luttèrent contre cette tendance qui voulait imposer l’écoute de disques de musique classique dans les lycées et collèges à la place de la musique arabe et invitèrent d’Alep (Syrie) Cheikh Ali Dérouiche qui, pour contrecarrer cela, donnait des cours de musique arabe à la bibliothèque « El Attarine » dans les souks de Tunis.
C’est donc par la volonté de patriotes, d’intellectuels, d’artistes, de militants que la Rachidia, dont le nom fut emprunté au troisième bey husseinite Mohamed Rachid Bey (1709 -1759) qui gouverna le pays tout en étant un homme de lettres et un artiste ayant protégé notamment la musique arabo-andalouse, vit le jour. Dirigé au début par Mustapha Sfar (1898-1941), maire de la ville de Tunis, puis Mustapha Kaak (1893-1947), elle a rassemblé autour de ses présidents successifs les meilleurs intellectuels, les meilleurs poètes et les compositeurs les plus authentiques. L’objectif était double : rassembler le patrimoine musical pour affi rmer l’identité tunisienne, puis créer des chansons dans le pur style et dans les modes tunisiens pour lutter, d’un côté, contre l’invasion d’une tendance franco-arabe bas de gamme, de l’autre contre la domination de la chanson égyptienne dans notre pays. 90 ans après, le legs de la Rachidia relève du patrimoine tunisien. Sa préservation est un devoir qui incombe non seulement à l’Etat mais aussi aux opérateurs économiques.

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