Accueil Société Dr Neziha Mesbah Saâdaoui, maître-assistante en sociologie de communication à la Presse: «L’hyperconnexion est un nouveau mode de sociabilité»

Dr Neziha Mesbah Saâdaoui, maître-assistante en sociologie de communication à la Presse: «L’hyperconnexion est un nouveau mode de sociabilité»

Récemment, une panne globale a touché les réseaux sociaux. Il n’était pas possible d’accéder durant quelques heures aux différentes plateformes de Meta, notamment Facebook, Messenger et Instagram. Une panique totale ! Les utilisateurs ont réagi comme s’ils avaient perdu un proche ! On n’a jamais imaginé qu’une coupure des réseaux sociaux pouvait provoquer autant de désarroi chez les usagers. Pour mieux comprendre cette réaction, nous avons contacté Dr Neziha Mesbah Saâdaoui, maître-assistante en sociologie de communication à la faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis. Elle a amplement travaillé sur la société post-moderne, les évolutions technologiques et les nouvelles formes de communication. Entretien.

Aujourd’hui, les utilisateurs passent énormément de temps devant leurs écrans, plongeant ainsi dans le virtuel. Des comportements qui favorisent de plus en plus l’isolement social et affectent les liens familiaux. Comment, donc, expliquer cette hyperconnexion et cet attachement aux réseaux sociaux ?

Il est indéniable que le tournant numérique est devenu incontournable et constitue une réalité évidente. Ce tournant entraîne une transformation radicale dans toutes les activités humaines. Selon Manuel Castells, un sociologue américain, l’émergence des sociétés en réseaux transforme notre rapport avec le temps et l’espace, ainsi que notre vision du monde, de soi et des autres.

Dans ce contexte, on ne peut négliger le rôle des dispositifs numériques dans les sociétés contemporaines, car ils constituent une nécessité pour exister. En revanche, nous devons nous adapter aux nouveaux dispositifs de communication qui font partie de l’évolution technologique au service de l’humanité. Ainsi, les structures de la société, ainsi que les expériences collectives et individuelles sont de plus en plus organisées autour des «réseaux» et de la culture numérique. En conséquence, les valeurs traditionnelles liées au temps et à l’espace deviennent moins pertinentes pour la vie sociale. Cela explique l’attachement de l’individu aux réseaux de communication.

Dans ce contexte et vu cet attachement aux réseaux sociaux, est-ce qu’on peut parler d’une addiction ?

Plutôt que d’utiliser le terme «addiction», qui suscite des controverses scientifiques, il s’agit, à vrai dire, d’un comportement excessif et problématique sur internet (Cepi), selon les psychologues. Il s’agit en réalité d’un nouveau mode de sociabilité, un «individualisme en réseaux». Les individus tissent leurs propres réseaux en ligne avec toute la liberté offerte par cet espace virtuel, où disparaissent toutes les formes d’autorité et de contraintes socioculturelles qui étouffent l’individu dans l’espace réel. Les individus cherchent via ces plateformes de communication des centres d’intérêt, des valeurs, des affinités et des objectifs communs.

Est-ce que la forte utilisation des réseaux sociaux favorise l’isolement social ou, au contraire, ces interactions virtuelles peuvent offrir des opportunités de socialisation pour certaines personnes ?

En ce qui concerne les liens sociaux et les interactions sur les réseaux sociaux, il est vrai que, dans certains cas, les conséquences de ces pratiques sont positives. Les personnes se divertissent et communiquent avec les autres. Cependant, dans d’autres cas, surtout à long terme, les résultats sont négatifs. Par exemple, des personnes qui ont une vie sociale pauvre hors ligne pensent à tort pouvoir trouver en ligne ce qui leur manque. Non seulement elles doivent passer beaucoup de temps et d’énergie sur le Web, mais, en outre, elles n’arrivent pas à satisfaire leurs besoins en termes de communication et de vie sociale, ce qui peut entraîner des frustrations.

Le fait d’être exposé à une vie supposée idéaliste d’autrui peut susciter la jalousie, un sentiment décevant de sa propre vie et même une dépression ? On se demande si les réseaux sociaux nous rendent malades ? Nous dépriment-ils ?

Nous assistons à une exposition massive sur les réseaux sociaux, qui est en réalité une tentative de reconstruction identitaire. En d’autres termes, il s’agit d’un acte visant à minimiser ou maximiser l’impact de ses aspects négatifs, afin de favoriser la reconnaissance par autrui.

De nombreux utilisateurs se mettent en avant sur les réseaux sociaux pour mettre en valeur leurs points forts. Ils cherchent également à attirer l’attention des autres. Des recherches récentes ont conclu que l’utilisation des réseaux sociaux, y compris Facebook, est étroitement liée au narcissisme. La raison pour laquelle tant de gens partagent leurs expériences, leurs photos, leurs nouveaux produits, leurs voyages, voire leur intimité, est d’ailleurs de montrer leur meilleur côté.

Cependant, cette tendance à s’exposer pour se comparer aux autres peut engendrer un sentiment de désespoir et de jalousie envers autrui. Les utilisateurs peuvent se retrouver à envier la vie apparemment parfaite de leurs amis et connaissances, ce qui peut conduire à une dégradation de leur estime de soi et à un sentiment de frustration face à leur propre situation. En conséquence, la jalousie peut créer une atmosphère de compétition malsaine sur les réseaux sociaux, où chacun cherche à surpasser les autres en matière de succès, de bonheur ou de richesse affichée.

Nous remarquons que les réseaux sociaux banalisent la violence et les comportements extrêmes. Les contenus violents circulent librement sur le Net. Certains considèrent que la connexion excessive à ces plateformes peut amener des utilisateurs, surtout les enfants et les jeunes, à tomber dans la violence et la délinquance. Est-ce que vous êtes d’accord avec ce point de vue ?

Contrairement à ce qui est parfois avancé, l’introduction massive du numérique dans la vie de la société ne conduit pas systématiquement à des phénomènes de violence, d’addiction ou de comportements agressifs. C’est plutôt l’absence de sensibilisation à la bonne utilisation de ces dispositifs qui peut être à l’origine de ces phénomènes, qui existaient avant même l’émergence du numérique, mais qui ont été révélés et amplifiés par les réseaux sociaux.

Les médias mettent généralement en avant les risques d’aliénation, d’addiction et toutes sortes de dérives associées aux réseaux sociaux et aux technologies. Ces phénomènes peuvent toucher les adolescents qui sont particulièrement vulnérables, exposant leur vie personnelle à travers le partage de photos, de vidéos et de leur quotidien sur des plateformes telles que TikTok, Instagram, Facebook, YouTube, etc. Cette hyperconnexion peut devenir envahissante dans leur vie quotidienne et leur psychisme, générant une sorte d’aliénation et de repli sur soi. Parfois, le désir de partager prend plus d’importance que le moment vécu.

Donc, comment faire pour éviter ce dérapage ?

Pour se protéger contre ces risques, un accompagnement dans la découverte des réseaux sociaux, des discussions avec les nouvelles générations sur la bonne utilisation de ces plateformes et la sensibilisation aux valeurs de l’intimité et à la protection de la vie privée sont nécessaires. Cela peut passer par un enseignement sur les bonnes pratiques dans les écoles, comme une matière à intégrer dans les programmes scolaires, ainsi que par l’utilisation des médias traditionnels qui jouent un rôle primordial dans la socialisation. De plus, des actions de prévention telles que des campagnes de sensibilisation médiatique peuvent être envisagées.

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