Accueil A la une Transport terrestre : Les taxis collectifs, utiles mais dangereux !

Transport terrestre : Les taxis collectifs, utiles mais dangereux !

 

Le Chef de l’Etat a récemment levé le voile sur les maux dont souffre ce secteur. Est-ce le prélude à son assainissement ?

D’emblée, plantons le décor : pour prendre un taxi individuel, on le hèle, bien sûr. Mais, avec un taxi collectif (Ennakl errifi, pour ses fidèles usagers), on n’en a pas besoin. Car ce grand taxi s’arrête de son propre gré pour vous embarquer, après qu’il vous a guetté de loin sur le trottoir ou au bord de la route. Vous voilà maintenant à bord du bolide et le calvaire commence.

En guise de hors-d’œuvre, et dans la plupart des cas, vous êtes condamné à vous taper le trajet debout. Cela veut dire prendre son mal en patience, suer et surtout jouer des coudes, quitte à s’accrocher aux habits du voisin pour éviter la chute, tellement le chauffeur roule à tombeau ouvert. Arrivé à destination, fin de l’odyssée, ouf de soulagement pour avoir quitté la fournaise sinon sain et sauf, du moins avec quelques bobos ! «Ce qui est encore plus grave, c’est que certains de ces conducteurs sans foi ni loi n’hésitent pas, en cours de route, à ouvrir… une boîte de bière et à pousser à fond le volume de la radio-cassette pour mieux savourer sa petite bacchanale» ironise Hassen Mili, habitant à Ben Arous et serveur dans un café de la capitale, qui concède qu’il a fini par s’habituer à ce cirque quotidien, étant donné, explique-t-il, que «les taxis collectifs sont plus disponibles que les bus et le métro et moins coûteux». Hedia Smaali, secrétaire dans un cabinet médical situé aux Berges du Lac, en a fait, elle aussi, l’amère expérience. «Je n’ai pris Ennakl errifi que deux fois dans ma vie pour aller de La Marsa où je réside à mon travail», indique-t-elle, avant d’ajouter : «La première, j’ai eu une vive altercation avec le chauffeur et la seconde s’est achevée en queue de poisson, sur un accident de la circulation qui m’a causé cinq points de suture sur le front. Depuis, j’ai juré de ne plus y mettre le pied».

De Charybde en Scylla 

Et puis, surtout pas question pour un gentil client de se plaindre auprès du «pilote de la Lamborghini», en lui reprochant d’avoir violé la loi, pour n’avoir pas respecté le nombre indiqué de clients, pour avoir grillé le feu rouge et dépassé les limitations de vitesse prescrites. Si vous avez eu la malchance de lui faire ces réclamations tout à fait légitimes, vous n’aurez qu’à le regretter, car vous avez affaire, le plus souvent, à un type vulgaire, arrogant, c’est-à-dire un «bad boy» pour qui l’aventure, la bagarre et, bien sûr, la prison ne font nullement peur.

En effet, aujourd’hui, il n’est plus un secret pour personne que la majorité des propriétaires de ces engins sont de grandes gueules que rien n’effraie. Le comble, selon des sources policières, «beaucoup d’entre eux sont des repris de justice loin d’être assagis». Cela nous pousse inéluctablement à mettre sur la table les questions suivantes : selon quelles conditions leur délivre-t-on l’autorisation d’exercer cette fonction ? Les antécédents judiciaires sont-ils pris en compte ? Et puis, ces deux autres interrogations non moins énigmatiques : premièrement, force est de constater que deux véhicules sur trois utilisés par les taxis collectifs sont dans un piteux état et ne répondent pas aux normes de sécurité, mais continuent de sillonner les villes et les cités ! Au point de s’interroger, seraient-ils, par hasard, exempts de la pourtant obligatoire visite technique ? Deuxièmement, l’on sait qu’au lendemain de la révolution, ce secteur, déjà en crise depuis les années 90, s’est davantage enlisé dans l’anarchie, avec l’émergence d’une nouvelle génération d’envahisseurs qui allaient créer et exploiter de nouveaux circuits desservant pratiquement tout le Grand Tunis, d’où la guerre de tranchées provoquée par ceux qui, outre leurs propres périmètres, osent s’aventurer dans ceux des autres.

Ils squattent illégalement des espaces au cœur même de la capitale

Et comme il suffit d’une étincelle pour qu’un feu s’emballe, ce n’est pas un hasard si les belligérants, pour un oui ou pour un non, en viennent aux mains sur la voie publique, sous une salve d’échanges de propos orduriers, sans se soucier des bouchons qu’ils provoquent.

Un trafic routier qu’ils ont d’ailleurs rendu asphyxiant, à cause également des nombreux périmètres de stationnement qu’ils squattent illégalement au cœur même de la capitale (Le Passage, TGM, avenue de Carthage…).

Et pourtant, que n’a-t-on pas fait pour les sensibiliser et sanctionner les contrevenants par la saisie de leurs papiers et l’interdiction de circuler durant des périodes qui varient d’un cas à un autre. Rien n’y fit. «C’est très simple», note Ali Testouri, instituteur, qui estime que «non seulement ils ont en majorité des os durs, mais aussi ils ont leurs propres pistons pour les protéger». En 2021, par exemple, n’ont-ils pas osé choisir le pont de l’avenue de la République pour organiser leur sit-in en solidarité avec un des leurs sanctionné par un policier qui lui a retiré les papiers pour avoir commis une infraction routière ?

Et pas plus tard que la semaine dernière, nous avons eu droit à un remake à Sousse, avec la petite différence que la sanction était «pour mauvais comportement avec un client». A l’Ariana, leurs coups de gueule sont encore plus fréquents, au point d’aller dresser des tentes de protestations devant le siège du gouvernorat, au nom de «la défense de nos droits».

Démantèlement d’un réseau de trafic de fausses autorisations

En avril 2019, faut-il le rappeler, ils ont essuyé un énième revers avec le démantèlement à La Manouba d’un dangereux réseau de trafic de fausses autorisations d’exploitation de taxis collectifs, qui écoulait le fameux sésame contre la bagatelle de quinze mille dinars !

Ébranlés mais toujours étonnamment debout, ils ont le verbe facile pour se disculper. «On nous tape dessus abusivement et on oublie les autres» s’enflamme Salah Ghodhbène dont le taxi fait la navette quotidienne entre l’Ariana et Raoued. Visiblement mécontent, il fait état d’injustices «qui ne cessent de s’abattre sur notre secteur, outre la hausse continue des prix d’achat du véhicule, des pièces détachées, du carburant et des dépenses d’entretien».

A la question de savoir pourquoi leurs revendications sont restées sans suite, Ghodhbène répond, crispé : «Cela fait maintenant deux ans que les autorités régionales et locales, ainsi que le groupement professionnel des taxis individuels et collectifs affiliés à la Conect, nous promettent de répondre à nos demandes, y compris l’augmentation du tarif de transport des usagers. Hélas, peine perdue et on ne sait pas comment ça va finir».

La ministre du Transport par intérim a, entre autres propositions, appelé récemment au renforcement du parc roulant dont disposent les taxis collectifs et individuels. L’idée est à creuser, surtout que les sociétés de leasing continuent de multiplier les offensives de charme à l’adresse de ce secteur, et cela avec la mise en vente, par le biais d’offres tentantes, de véhicules flambant neufs. «Nous proposons de payer une avance de 10% qui ne dépasse pas les 6.500 dinars et le début de versement des échéances à partir du quatrième mois», nous indique Slim Farhat, chargé de marketing au sein d’une société de leasing de la place.

En définitive, ce ne sont pas les idées qui manquent pour espérer sortir cette profession du marasme. 

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