Au lieu de continuer à procéder à des contrôles menés en aval, avec une logistique coûteuse, la numérisation du système de distribution pourrait sinon éradiquer les fraudes et les fuites, du moins les limiter. Sur chaque marchandise devraient être apposés la nature, la quantité, la date et le nom du destinataire qui l’a réceptionnée.
La lutte contre la spéculation et la contrebande, notamment des produits alimentaires, fait partie des principales batailles engagées par les pouvoirs publics depuis des années. Sous les directives des autorités et même l’adhésion de la majorité écrasante de la population qui a souffert et continue de subir les méfaits des pratiques illicites qui sévissent depuis toujours. Ces pratiques se sont aggravées, entre 2011 à 2021, sur fond d’affaiblissement de l’Etat.
En effet, les opérations de contrôle sont devenues monnaie courante, entraînant des opérations de saisies par dizaines, voire par centaines, tous les jours et partout sur l’ensemble du territoire. Les innombrables descentes des équipes de contrôle conjointes dans les dépôts, les garages et autres caches anarchiques aboutissent à des saisies de marchandises souvent subventionnées et détournées, en infraction flagrante de toutes les lois.
Ces opérations de contrôle assorties de saisies parfois spectaculaires se sont accrues, particulièrement au cours du mois de Ramadan et durant les jours précédant l’Aïd El-Fitr.
D’ailleurs, un simple coup d’œil sur les listes de saisies à la période indiquée nous donne une idée sur l’ampleur du phénomène. Qu’on en juge !
-Pour la seule journée du 18 mars 2024, 8e jour du mois de Ramadan, le ministère du Commerce et du Développement des exportations annonce que 3.304 visites d’inspection ont été menées, et 533 infractions économiques ont été relevées, accompagnées de saisies portant sur 22,7 tonnes de farine, semoule et pâtes alimentaires, 3 tonnes de légumes et fruits, 9,5 tonnes de sucre, 972 litres de lait, 1,5 tonne de son de blé (sédari), et 8.125 paquets de cigarettes.
Le 21e jour du mois sacré, le ministère du Commerce et du développement des exportations annonce avoir mené 3.143 visites de contrôle permettant d’enregistrer pas moins de 462 infractions économiques qui ont conduit à la saisie de 2,1 tonnes de légumes et fruits, 16,7 tonnes de farine et semoule, 129 litres d’huile subventionnée et 770 kg de sucre.
Des équipes de contrôle conjointes
Ces opérations de contrôle, organisées tout le long de l’année, laissent voir l’ampleur du phénomène. En février 2023, le ministère de l’Intérieur annonçait la saisie d’une importante quantité de trois tonnes de café et huit tonnes de sucre, alors que les services de contrôle mettaient la main sur trente tonnes de pommes de terre et quatre tonnes d’oignons.
Le même département, précise que ces opérations couvrent l’ensemble des régions du pays afin que les spéculateurs comprennent et réalisent que les autorités sont déterminées à sévir contre ceux qui veulent «affamer» le peuple.
Les deux départements de l’Intérieur et du Commerce ont mis ainsi en place des équipes conjointes dans un souci d’efficacité.
Il est utile de rappeler que le Président de la République, Kaïs Saïed, avait soutenu, lors d’une visite inopinée à la Cité Ettadhamen, Cité El Intilaka, Douar Hicher et à l’Office du commerce de Tunisie, «qu’il est grand temps d’assainir l’Office du commerce tunisien (OCT) et les circuits de distribution pour mettre fin aux souffrances des citoyens».
Le Chef de l’Etat avait pointé du doigt certaines parties soupçonnées d’être de mèche avec «les barons de la distribution» qui seraient responsables des pénuries de certains produits de base tels que le riz, le sucre et le café, malgré la disponibilité des moyens financiers.
Anticiper pour agir en amont
L’ensemble de ces interventions ont pour finalité de mieux contrôler, dissuader et si besoin, sanctionner les coupables. Une fois que c’est fait, il serait de bon augure maintenant d’installer un système de contrôle en amont. Les circuits de distribution sont défaillants à la source même du fonctionnement, il serait plus judicieux d’agir plus efficacement sur ce créneau mais en amont.
La digitalisation étant dans l’air du temps, il est temps de numériser ces circuits en rendant obligatoire pour les commerçant et les grossistes de tenir un état informatisé de leurs achats ainsi que des listes des détaillants approvisionnés, avec un état rigoureux des quantités, des dates, des lieux des transactions et des identités des fournisseurs en gros ou détaillants.
Au lieu de continuer à procéder à des contrôles menés en aval, avec une logistique coûteuse, la numérisation du système de distribution pourrait sinon éradiquer les fraudes et les fuites, du moins les limiter. Sur chaque marchandise devraient être apposés la nature, la quantité, la date et le nom du destinataire qui l’a réceptionnée.
Si on devait donner un exemple qui a fonctionné, les médicaments dangereux délivrés su ordonnance et classés sont désormais numérisés. Un moyen qui a permis de mieux contrôler les fuites aussi bien au niveau des officines privées que des établissements publics.
Les autorités devraient penser à un moyen d’anticipation pour ne pas être tout le temps à courir derrière les fraudeurs en pompiers, mais de les empêcher de commettre leurs impairs par le biais d’un système numérisé et bien verrouillé.