Accueil Panorama Travail du jonc, de l’alfa, du palmier… : La vannerie et la sparterie font de la résistance

Travail du jonc, de l’alfa, du palmier… : La vannerie et la sparterie font de la résistance

 

Du Nord au Sud, en passant par le Cap Bon, une catégorie bien particulière d’artisans partage une passion commune pour un savoir-faire ancestral ; le tressage des fibres végétales qu’ils transforment en une farandole d’objets à usage autant utilitaire que décoratif.

La nature des fibres végétales diffère selon la région dont elles sont originaires. Si le jonc, qui croît le long des berges humides et des cours d’eau, règne en maître dans la région du Cap Bon, relève Alia Hamza dans son livre «Savoir-faire des territoires», la fibre d’alfa pousse, elle, à l’état sauvage et se déploie en touffes denses sur les vastes plateaux des régions de Kasserine, Sidi Bouzid, Kef,… Dans le Sud, c’est incontestablement les fibres de palmier qui servent de matière végétale principale utilisée par les artisans vanniers pour fabriquer éventails, couffins, chapeaux, corbeilles… Le tressage des fibres végétales naturelles, qui varient en fonction de la nature de la matière végétale, s’appuie sur la parfaite maîtrise d’un savoir-faire transmis de génération en génération et qui nécessite de la patience, une grande endurance ainsi que de la précision et de la minutie dans la réalisation des gestes qu’effectuent les artisans penchés, dans un silence sépulcral, sur leur métier à tresser.

Un travail d’endurance

En effet, derrière les immenses nattes de jonc qui recouvrent le sol des mosquées et les banquettes des cafés, des hammams… et dont la région du Cap Bon est le principal producteur et pourvoyeur, se cache un travail titanesque, faisant appel à plusieurs activités annexes, en plus du tressage de la fibre végétale. Prenons le cas du jonc vert ou du «smar». Cueilli pendant les mois de juin et de juillet sur les berges des cours d’eau, le jonc fait l’objet d’un processus de traitement et de transformation en amont avant de finir sur le métier à tresser. De petites mains s’activent à le rassembler en bottes pour, par la suite, les entreposer dans un endroit pour qu’il sèche. Ensuite, la fibre végétale est triée en fonction de sa taille et de sa grosseur et elle est teinte soit avec des colorants naturels (argance, écorce de grenade…) ou chimiques. Ensuite, c’est au tour du vannier d’intervenir. Ce dernier va lui aussi travailler minutieusement le jonc en le posant sur le noul, un métier à tisser horizontal sur lequel il va, pendant de longues heures, manipuler et travailler avec dextérité cette matière végétale, seul ou avec l’aide d’ouvriers afin de fabriquer les fameuses nattes qui ont pendant longtemps, et jusqu’à maintenant, été un accessoire indispensable dans les maisons traditionnelles… Outre le fait qu’elles sont fabriquées avec une matière biodégradable et écologique, ces nattes possèdent des propriétés bénéfiques, permettant notamment d’éviter le mal de dos lorsqu’on est étendu sur celles-ci. Ce serait pour cette raison d’ailleurs que l’armée allemande a commandé en 1942 de grandes quantités de nattes pour le couchage de ses soldats, peut-on lire dans le livre «Savoir-faire des territoires». Une autre matière végétale, à partir de laquelle on fabrique également des nattes mais aussi les disques qui servent à presser les olives, les couffins, les corbeilles et autres articles utilitaires et surtout de la pâte de papier, exige un travail aussi minutieux que celle du jonc: c’est la fameuse fibre d’alfa.

Si une majeure partie de cette graminée, qui pousse, sous forme de touffes denses, sur les hauts plateaux et les steppes de l’ouest et du centre de la Tunisie, est essentiellement utilisée pour la fabrication de papier, la fibre de Sparte, c’est ainsi qu’on l’appelle également, passe elle aussi par un long processus de transformation avant d’être déclinée en de multiples objets qui traduisent encore une fois la capacité de l’homme à exploiter ingénieusement ce que lui offre la nature pour fabriquer des accessoires qui satisfont aussi bien ses besoins que ceux de sa famille et de sa communauté. On retrouve, en effet, l’alfa partout : dans les nasses utilisées par les pêcheurs, les paniers dans lesquels on range toutes sortes d’objets et de produits… Le dur travail de cueillette de l’alfa est effectué par les femmes. Dans la région de Kef el Agueb dans le Nord-Ouest de la Tunisie, on peut voir ces ouvrières agricoles, la tête recouverte d’un chapeau de paille ou d’un fichu et courbées sur les touffes d’alfa qu’elles arrachent d’une main agile et experte, en les enroulant autour d’une tige pour ne pas les endommager et qu’elles rassemblent ensuite en bottes pour les mettre à sécher à l’abri.

Insuffler un vent de modernité à la profession

Bien que l’alfa possède de nombreuses propriétés aussi bénéfiques et avantageuses que le jonc —la fibre de Sparte est, en effet, plus fine, plus souple et, par conséquent, plus facile à manier que le jonc ce qui rend plus facile la réalisation de motifs sur les nattes d’alfa en plus de la possibilité de les rembourrer plus aisément afin de les rendre plus confortable— son travail a failli être abandonné, déserté par des jeunes qui préfèrent se tourner vers un travail moins manuel et moins pénible. Mais c’est sans compter sur le courage et l’abnégation d’une poignée de jeunes artisans de la région de Oussia-Guaret Agueb du gouvernorat de Kasserine qui ont décidé de tenir bon et protéger ce savoir-faire ancestral en maintenant la chaîne de transmission tout en insufflant un vent de modernité à cette profession.

Dans le Sud, le palmier est roi. La fibre qui en est extraite sert à fabriquer aussi de nombreux objets utilitaires : cages de pêche, chapeaux ainsi que le fameux couffin de Tozeur. Le processus de transformation de la fibre de palmier fait intervenir des artisans et des artisanes qui se relaient pour fabriquer des articles simples, rustiques, utilitaires et décoratifs à la fois. Après avoir tressé de leurs mains agiles les feuilles vertes des palmiers, les ouvrières passent le relais aux hommes qui se chargent de les assembler pour en faire des chapeaux, des éventails, des paniers, des sets de table… Elles apportent ensuite une petite touche de fantaisie, en rajoutant des pompons et autres accessoires décoratifs.

Bien que le plastique ait fini, progressivement, pour se substituer aux matières végétales dans la fabrication de nombreux articles et accessoires, les métiers de la vannerie et de la sparterie continuent à faire de la résistance grâce à des artisans et des artisanes qui, profitant de l’engouement actuel pour tout ce qui est écologique et éco-responsable, déploient des trésors de créativité et d’ingéniosité pour préserver jalousement un savoir-faire ancestral, en fabriquant des articles qui plaisent au plus grand nombre.

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