Accueil A la une Ouvrages hydrauliques d’origine romaine : Le génie créatif des Romains de Carthage

Ouvrages hydrauliques d’origine romaine : Le génie créatif des Romains de Carthage

 

En ces temps de changements climatiques qui obligent les populations à s’adapter à l’impact et aux conséquences désastreuses qui en découlent (catastrophes environnementales, phénomènes météorologiques extrêmes, vagues de chaleur intenses, irrégularité des pluies et épisodes de sécheresse de plus en plus étalées dans le temps… notamment dans le pourtour de la Méditerranée), il faut revenir à des centaines d’années en arrière pour se rendre compte que les Romains qui ont pris possession de Carthage en 149 av. J.-C. ont déjà été confrontés au facteur climatique et s’y étaient adaptés en faisant appel à leur génie innovant et créatif afin de pallier le manque de pluie et la sécheresse, en mettant en place des dispositifs hydrauliques ingénieux dans plusieurs régions de Tunisie afin de collecter et stocker l’eau de pluie.

Les ouvrages hydrauliques d’origine romaine, dont les vestiges sont encore visibles aujourd’hui dans plusieurs régions de la Tunisie, illustrent la place cruciale qu’occupait l’eau dans la vie des Romains. Ces derniers, qui ont compris que cette ressource précieuse est fondamentale pour leur survie et le développement social et économique de leur communauté, ont commencé très tôt à réfléchir aux moyens de l’exploiter pour leurs besoins quotidiens notamment dans le domaine agricole, tout en veillant à la préserver et éviter de la gaspiller. Ils ont, ainsi, mis en place des systèmes ingénieux pour le captage, l’acheminement et le stockage de l’eau de source et de pluie, en ayant recours à des procédés innovants pour cette époque afin de la rendre salubre.

Aqueduc de Zaghouan : un dispositif unique en son genre

Le complexe hydraulique de Zaghouan (ancien aqueduc de Carthage) qui a été construit au début du IIe siècle ap. J.-C. témoigne de l’intelligence et du génie créatif des Romains qui ont construit un ouvrage qui, non seulement, sur le plan architectural est un modèle unique dans son genre en Afrique du Nord, qui frise la perfection mais qui, par ailleurs, sur le plan de la technicité, dénote, à cette période, d’une parfaite maîtrise des connaissances et des principes de base en hydraulique ainsi que du calcul des fondations des ouvrages et des dispositifs de collecte et de stockage des ressources en eau qui sont aujourd’hui enseignées dans la discipline du génie civil.

C’est un facteur d’origine climatique qui est à l’origine de la construction de cet ouvrage impressionnant qui sera également suivi par la réalisation d’autres ouvrages hydrauliques romains en Tunisie. Une sévère sécheresse qui s’étend sur cinq ans (de 123 ap. J.-C. à 128 ap. J.-C.) conduit l’empereur Hadrien à s’intéresser aux sources d’eau de la montagne de Zaghouan. Il faut alors trouver le moyen de ramener cette eau jusqu’aux thermes d’Antonin qui se trouvent à Carthage en bord de mer afin d’éviter aux romains de mourir de soif et ne pas les priver surtout du plaisir des bains. Ouvrage hydraulique à la structure complexe, l’acqueduc, qui relie Zaghouan à Carthage et qui figure parmi les ouvrages les plus impressionnants réalisés par les Romains, assure plusieurs fonctions dont celle du captage des eaux provenant des quatre sources principales des montagnes de Zaghouan et Jouggar. Celle-ci est acheminée sur un tronçon soutenu par des arcades de plus de trente mètres de hauteur et qui s’étend sur une longueur de 132 kilomètres. Subdivisé en plusieurs branches, l’ouvrage enjambe l’oued Meliene et traverse la dépression de la Manouba, permettant ainsi d’acheminer l’eau jusqu’aux thermes d’Antonin et aux citernes de la Maâlga situées sur les hauteurs de la colline de Carthage.

Système d’adduction d’eau d’origine romaine dans le sud

La présence des Romains a été signalée également dans le sud du pays grâce aux découvertes récentes de chercheurs de l’Institut des régions arides de Médenine et de l’Institut national du patrimoine. Le recours à des procédés technologiques modernes a, en effet, permis de mettre au jour, dans la région de Taberguit relevant du gouvernorat de Médenine, des bassins hydrauliques ainsi qu’un système d’adduction d’eau d’origine romaine.

Depuis l’Antiquité, les populations qui ont habité le sud qu’elles soient romaine, berbère… ont dû faire face, en effet, à la rareté des pluies et aux périodes de sécheresse ce qui les a amenées à mettre en place des dispositifs hydrauliques qui s’adaptent à la spécificité géologique des sols de cette région du pays. Dès lors que le pâturage et la céréaliculture ne sont pas des moyens de subsistance pouvant satisfaire les besoins des populations autochtones qui vivent dans cette contrée désertique car elles sont tributaires de la pluie, ces dernières sont contraintes de se déplacer pour s’installer dans des zones plus arrosées notamment dans le Djebel Sidi Labiadh, situé dans la région de Tataouine ainsi que sur les plaines de Djeffara (sud-est de la Tunisie) où des points d’eau sont accessibles.

Bien que les moyens et les procédés auxquels ont recours ces populations soient rudimentaires, l’exemple de la gestion efficiente des ressources en eau dans cette partie du pays depuis l’Antiquité est frappante. Ces populations ont non seulement mis en place des techniques judicieuses pour collecter l’eau mais elles ont également réfléchi aux moyens permettant de protéger les sols montagneux, destinés à l’agriculture, de l’érosion.

Face à la rareté de l’eau, les populations locales ont, en effet, développé des moyens de survie pour pérenniser l’activité agricole qui est leur principale source de subsistance. Romains, berbères…. ont aménagé des bassins sur les ravins et les vallées afin de limiter la vitesse d’écoulement des eaux de ruissellement. Dès l’Antiquité, ils ont mis en place des dispositifs consistant en l’élaboration et l’implantation de petits ouvrages hydrauliques appelés «tabia» ou «jesser» au fond de la vallée et sur les versants afin de freiner l’érosion provoquée par les eaux de ruissellement qui sont collectées en quantités importantes dans ces bassins et qui servent à l’irrigation des cultures arboricoles.

Des vestiges d’énormes «tabias» construits par des habitants de l’époque romaine, faisant jusqu’à dix mètres de haut, découverts dans la région de Beni Khedache (gouvernorat de Médenine) illustrent encore une fois le génie des Romains et des tribus berbères en matière de collecte et de gestion des ressources hydriques dans ces régions très arides.

Majels de Djerba

L’influence romaine est également palpable dans l’île de Djerba. Dans l’ancienne ville de Meninx, située au sud-est et qui signifie «manque d’eau» en latin et qui était un des centres de production de pourpre les plus importants dans le pourtour de la Méditerranée, des citernes souterraines romaines ont été découvertes par une équipe de chercheurs et de spécialistes tunisiens et américains. Ces ouvrages traduisent la capacité qu’avaient les populations qui ont foulé le sol tunisien depuis des millénaires à s’adapter au problème de la sécheresse et du déficit hydrique dont a souffert la Tunisie au cours des siècles passés.

Les populations autochtones se sont d’ailleurs inspirées de ces ouvrages hydrauliques pour construire les fameux «majels» appelés également «feskiya» qui sont des puits creusés dans la terre permettant d’emmagasiner l’eau provenant du toit enduit à la chaux des habitations traditionnelles (houch), mettant ainsi les occupants à l’abri de la pénurie d’eau.

Si ces systèmes et dispositifs d’adduction d’eau potable ont été abandonnés depuis et remplacés par des systèmes de collecte et de gestion d’eau plus modernes, la crise hydrique a encouragé, ces dernières années, les habitants et les agriculteurs dans les régions qui enregistrent une très faible pluviométrie à recourir, à nouveau, à ces dispositifs anciens et traditionnels pour collecter et et stocker l’eau de pluie.

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