Forum mondial de l’eau à Bali, en Indonésie, précédé d’un autre méditerranéen, en février dernier à Tunis. Entre-temps, une rencontre nationale similaire, tenue au cours du mois écoulé à Hammamet, à l’initiative de l’Association Nomad 08, et dont les préparatifs sont engagés, depuis septembre 2023. Alors que l’état des lieux remonte à 1975 !
Ces trois rendez-vous cruciaux ont eu lieu, en l’espace de quatre mois, sur une même question et pour la même cause : usage raisonné et raisonnable de nos réserves hydriques, avec, en toile de fond, un accès équitable à l’eau potable. Sans pour autant les voir déboucher sur un plan d’action réaliste qui devrait se concrétiser à l’échelle locale pour le bonheur et le bien-être de tout le pays. Sauf qu’un appel à l’action, communément lancé, pour des solutions politiques, à l’aune du stress hydrique provoqué, suite à sept ans de sécheresse due essentiellement aux impacts directs des changements climatiques. Outre l’offre, la gestion de la demande en eau demeure, ainsi, un choix incontournable dicté par une nouvelle stratégie de sobriété désavouée. Pourquoi ?
Cette crise de l’eau, dont souffre, actuellement, le pays, ne date pas d’aujourd’hui. D’autant plus qu’elle n’est pas aussi fatale. «A l’évidence, cette crise n’est pas la conséquence d’une situation inédite. Les premiers signes sont apparus depuis la promulgation du Code des eaux en mars 1975, où l’ensemble des textes portent exclusivement sur les aspects économique, budgétaire et financier de l’eau, sans tenir compte de la dimension sociale de l’être humain», révèle l’Observatoire tunisien de l‘eau, relevant de l’Association Nomad 08. Faute de mieux, l’on n’arrive pas, jusque-là, à sortir de l’auberge. Notre système de gestion de l’eau n’était pas d’aplomb, sous l’effet des politiques publiques aussi improvisées soient-elles, et qui n’ont pas souvent les moyens de leurs objectifs stratégiques. En clair, on a du mal à exploiter, comme il se doit, notre potentiel hydrique.
Nos ressources
en eau s’épuisent..
Aussi, nos barrages touchent-ils le fond, atteignant un taux de remplissage de plus en plus réduit, soit à peine 33%, en raison de l’absence de quantités suffisantes de pluies. Le manque d’entretien de nos ouvrages et infrastructures hydrauliques y est aussi pour beaucoup. Pour autant, une certaine politique de mobilisation des ressources hydriques fut mise en place, sans pour autant être suivie d’une bonne gouvernance.
«La pénurie d’eau que nous vivons actuellement n’est guère une fatalité, mais le résultat de l’échec de nos politiques de gestion de l’eau et des choix économiques des gouvernements successifs depuis 1956», note l’association Nomad dans sa déclaration finale, publiée il y a trois jours, au terme des travaux de sa 1ère rencontre nationale de l’eau, tenue du 25 au 28 avril dernier.
Droit à l’eau, droit à la vie ! Ainsi, ce cogito cartésien a fait loi et a donné lieu à des batailles rangées, en signe de protestation sociale pour avoir accès à une eau de qualité. L’on se demande, alors, si l’eau du robinet, celle que nous distribue la Sonede, est encore potable. Peut-on la boire sans danger ? Faut-il faire vraiment confiance en notre dispositif d’approvisionnement, même si les canalisations d’eau sont vétustes et rouillées, faute de maintenance et suivi requis ? A cela s’ajoutent des fuites d’eau, maintes fois remarquées sur le réseau de la Sonede dont l’intervention implique quasi-généralement des coupures d’eau répétitives et des perturbations au niveau de la distribution. Chiffres à l’appui, quelque 1.893 alertes citoyennes liées à des problèmes d’accès à l’eau ont été recensées, l’année dernière, par l’Observatoire tunisien de l’eau.
Sous le seuil de la pauvreté hydrique
Ce constat en dit long sur les capacités hydriques dont dispose réellement le pays. Selon les statistiques du ministère de l’Agriculture, seulement 450 m3 d’eau pour chacun de nous par an, soit deux fois moins la moyenne mondiale, estimée aujourd’hui à 1.000 m3 par personne. Et par conséquent, la Tunisie se situe, en dépit d’une forte consommation, au bord d’une extrême pauvreté hydrique. Il est bon de rappeler, ici, que moins de 20% de nos réserves nationales sont destinés à l’eau potable, contre plus de 77% à l’usage agricole.
Sous nos cieux, la question de l’eau demeure aussi complexe que compliquée. L’expert en eau et développement durable, Houcine Rhili, n’y va pas par quatre chemins pour dire crûment : «Trop de barrages, et pourtant autant de foyers, en milieu rural, ne sont pas, jusque-là, raccordés au réseau d’eau potable». A titre d’exemple, au bassin minier à Gafsa, 73% des habitants possèdent de l’eau, mais cette eau n’est pas potable. Alors qu’au nord-ouest, reconnu être un château d’eau de la Tunisie, 33% des habitants en sont quasiment privés. Ceci témoigne, selon lui, de l’absence de plans de développement et d’approches justes de gestion de l’eau. L’on parle, ici, d’un stress hydrique bien réel, résultante d’un fiasco politique qui date de dizaines d’années.
Débats fantaisistes..
Et partant d’un tel constat si alarmant, la Tunisie aura-t-elle soif ? Fort probable, si rien n’est fait, à bien des égards. Toutefois, il ne faudrait pas rester les bras croisés. Et pour cause. Un plaidoyer associatif a été, lancé en faveur d’un plan d’action pour le droit à l’eau. Afin d’y parvenir, la première rencontre nationale de l’eau a fini par dégager des recommandations-objectifs visant la souveraineté de l’eau. Il va de soi que cela requiert la conjugaison des efforts et la mobilisation des moyens nécessaires à sa concrétisation. Il s’agit, en effet, de «valoriser la réflexion autour des défis liés à la gestion de l’eau tout en y apportant des solutions fiables et viables, de susciter la participation citoyenne, organisationnelle et institutionnelle, évaluer les politiques de gestion, afin d’élaborer des stratégies efficaces en la matière», lit-on encore dans le «policy paper» de l’Association Nomad 08. Cette dernière semble viser plus loin, allant vers «la conception d’un nouveau projet de Code des eaux qui reflète la réalité de la situation hydrique nationale». L’adapter aux aléas du climat est aussi de mise. La question de l’eau en Tunisie fait mine de guerre froide dont le feu couve sous la cendre. Une vraie stratégie de gestion de la demande n’est-elle pas en mesure de sauver la mise ? A la seule condition de parer à l’urgence et amorcer les solutions durables. Cependant, on en a trop parlé, dans la perspective d’établir une vision de l’eau 2050. Et jusque-là, on ne voit rien venir, sauf des débats fantaisistes, sur fond d’idées stériles et de plans d’action encore figés.
Cela nous amène à dire que les trois forums successifs, ici et ailleurs, auxquels a pris part la Tunisie, n’ont abouti à rien de concret. L’on continue à remâcher les mêmes questions et recommandations d’hier et d’aujourd’hui, sans pour autant passer à l’action. Une bonne politique de gouvernance, loin s’en faut !