La configuration et le style architecturaux des nouveaux quartiers de la ville européenne qui ont vu le jour à la fin du XIXe siècle à l’instar du quartier Lafayette et de la Petite Sicile reflétaient clairement le rang social des communautés qui habitaient ces cités. Si habiter le quartier de Lafayette était un signe de promotion sociale, la petite Sicile qui se trouve au sud de la ville accueille, par contre, les catégories se trouvant en bas de l’échelle sociale et les prolétaires. C’est une ancienne famille génoise du nom de Fasciotti qui est chargée par le bey en 1865 de transformer la zone marécageuse qui se trouve au centre du rectangle formé par les avenues de la Marine, Carthage et la rue de Flandres en zone d’habitation.
Arrivée des dockers et des ouvriers siciliens
C’est ainsi qu’on va assister à la naissance de la petite Sicile. Carlotta Fasciotti procède au remblaiement du terrain et aménage une zone habitable sur près de treize hectares. Plusieurs maisonnettes vont être construites dans la partie basse de l’avenue de la Marine à la fin du XIXe siècle en échange d’un loyer modique versé à Fasciotti. La petite Sicile va par la suite se transformer progressivement en zone ouvrière avec l’aménagement du port qui va voir affluer un grand nombre de dockers et d’ouvriers siciliens. Ils habitent avec leurs familles dans des maisons situées dans les ruelles adjacentes non loin du port. La zone devient un lieu de résidence à l’image de ses occupants italiens et sardes : animée, bruyante… qui se réveille tôt sur les cris des enfants qui courent dans ses ruelles, baragouinant des mots où se mêlent le français, le sicilien, l’arabe… comme le souligne Christophe Guidecie dans sa présentation doctorale sur la construction de Tunis-ville européenne et ses acteurs de 1860 à 1945.
Une urbanisation anarchique
Les Siciliens ouverts et chaleureux se mêlent aux autochtones, participent aux festivités locales et enrichissent de leurs mets le patrimoine culinaire tunisien. Contrairement au quartier nord de la ville européenne où les artères sont bordées d’immeubles majestueux au style architectural sophistiqué, dans la petite Sicile, c’est tout le contraire qu’on voit : les maisonnettes à l’aspect modeste sont construites à la va-vite avec des matériaux rudimentaires sans obéir à un plan d’aménagement urbain précis. L’urbanisation de cette zone se fait de façon anarchique et spontanée et ne se conforme à aucune règle esthétique.
La viabilisation de la zone se fait au fur et à mesure, financée par la taxe locative. La vente des parcelles dans la petite Sicile se poursuit au début du XXe siècle et les terrains vont commencer à acquérir de la valeur avec la construction de l’Hôtel de la municipalité à l’avenue de Carthage. Après avoir passé une partie de leur existence en Tunisie, beaucoup de Siciliens et de Sardes la quitteront après l’Indépendance, désertant la petite Sicile, laissant derrière eux leurs plus beaux souvenirs.
Photo @ copyright Augustin Le Gall