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Forum de l’académie politique / Colloque international : Comment mettre de l’ordre dans la maison maghrébine ? 

 

La stratégie prônée par de grandes puissances et qui consiste à semer la discorde entre certains pays du Maghreb arabe est l’une des causes qui ont contribué à l’affaiblissement de cette région.

« Dans un modèle multipolaire, le Maghreb reste la région la moins intégrée au monde : sans intégration économique régionale, sans politique commune et sans cohérence régionale dans leurs choix, les pays du Maghreb se fragilisent ainsi eux-mêmes et hypothèquent leur avenir ». C’est la question sur laquelle ont planché d’anciens ministres et diplomates arabes, ainsi que des experts internationaux, réunis dans le cadre d’un colloque international tenu dans un hôtel à La Marsa, les 27 et 28 juin 2024, sur le thème : «Modèles de développement et monde multipolaire : quel avenir pour les pays du Maghreb ? » et sous l’égide du Forum de l’académie politique, en collaboration avec le Konrad-Adenauer-Stitung (KAS Tunisie).

Les puissances mondiales et la politique du « diviser pour régner »

A cet effet, l’ancien ministre des Affaires étrangères Habib Ben Yahia, qui fut aussi durant dix ans secrétaire général de l’Union du Maghreb Arabe (UMA), a donné un aperçu géographique et historique sur la région du Maghreb et les causes historiques qui ont conduit à son sous-développement. En fin connaisseur des politiques étrangères des grandes puissances mondiales qui faisaient la pluie et le beau temps, Ben Yahia pointe l’attitude des cinq membres permanents du Conseil de sécurité marquée par la nonchalance pour ne pas résoudre le problème du Sahara Occidental. Selon lui, derrière cette attitude se dissimule la stratégie prônée par ces grandes puissances qui consiste à semer la discorde entre les pays du Maghreb arabe. « Diviser pour régner ». C’est en ces termes que l’ancien SG de l’UMA a qualifié cette stratégie.

« Il n’existe pas malheureusement de baguette magique du côté tunisien pour résoudre ce problème, mais on espère que la nomination d’un nouveau secrétaire général à la tête de l’UMA pourrait contribuer à consolider les relations intermaghrébines et contrer les manœuvres de division », a encore souligné l’ancien SG de l’UMA, insistant à la fin sur des solutions intermaghrébines sous l’égide de l’ONU pour dépasser la situation d’affaiblissement causée essentiellement par le problème du Sahara Occidental.

Intervenant dans le cadre de la séance scientifique du colloque sur le thème « La coopération maghrébine avec les blocs régionaux à l’échelle mondiale, quelle coopération avec l’UE, avec les grandes puissances, les Brics et les pays africains ? », l’ancien vice-président des Affaires étrangères en Egypte Houssem Eddine El-Hefny adopte lui aussi la même position pronée par Habib Ben Yahia concernant la stratégie adoptée par le monde occidental visant à créer des tensions dans le monde arabe. Il a évoqué à ce titre les grandes pertes économiques subies par l’Egypte suite au génocide perpétré à Gaza. « On n’a pas été à l’origine de cette guerre, ni des changements climatiques, ni de l’épidémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, mais on en subit les conséquences. L’impact sur les pays arabes se fait lourdement sentir sans que ces derniers ne soient à l’origine des guerres et du réchauffement planétaire ».

« Je suis d’accord avec les propos de l’ancien ministre Habib Ben Yahia.  Certains pays ne veulent pas que nos peuples réalisent leurs aspirations et tentent de diviser nos rangs », ajoute l’ancien ministre égyptien, avant de conclure que le salut est dans l’union, la diversification des partenariats pour ouvrir plus de perspectives économiques, tout en gardant le cap sur les partenariats classiques. 

Où se trouve le salut ?

Dans sa déclaration à notre journal, le professeur Mohamed El-Aziz Ben Achour, ancien ministre de la Culture, a insisté sur la volonté des peuples et des dirigeants de remettre sur les rails l’union du Maghreb, sauf que de nos jours, les plus jeunes ont d’autres visions en raison d’un fort sentiment de précarité qui les pousse vers la porte du départ à l’étranger.  C’est là un problème très grave. Pour ce qui est de la volonté des dirigeants, il faut aller vers la réalisation de l’unité intermaghrébine selon des étapes, comme ce fut le cas pour l’Union européenne après la Seconde Guerre mondiale. A cet effet, il faut commencer par mettre en place des facilitations douanières, l’intégration économique, le développement des échanges dans divers domaines (économique, éducation, sciences, culture…). Il faut persévérer et se mettre à l’évidence que l’Union du Maghreb ne se fera que par étapes qui n’impliquent pas des choix politiques, mais plutôt économiques.   

« N’est-il pas temps pour ces pays de voir la nécessité d’une intégration économique régionale, d’une politique commune et une cohérence régionale dans leurs choix stratégiques ? ». Tentant de répondre à cette question, certains intervenants, dont le Marocain Fouad Ammor, docteur en sciences économiques de l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah de Fès, se demande si le salut ne passe pas plutôt par un Maghreb global à l’aune de la mondialisation, de la révolution numérique et les possibilités de faire fi des contraintes spatiales et géographiques. Il explique à ce titre qu’actuellement, le Maghreb est sur la sellette d’autant que les échanges commerciaux ne dépassent pas dans les meilleures hypothèses 3% de l’ensemble des échanges des pays maghrébins avec d’autres pays. Il a aussi souligné que les obstacles persistent, notamment sur le plan industriel, depuis les années 90. A cela s’ajoute la question de la mobilité des personnes entre d’autres pays. Il n’hésite pas à ce propos à évoquer « l’avenir problématique » de l’UMA selon ses dires.

Le Maghreb soumis à des pressions

De son côté, l’ancien diplomate Hatem Atallah (ancien représentant de la Tunisie auprès de l’Union africaine et d’autres instances onusiennes) n’a pas manqué de mentionner dans son intervention que les bouleversements géopolitiques mondiaux placent aujourd’hui la région du Maghreb dans une situation peu confortable soumise à des pressions internes et autres d’ordre international. Ces changements lui imposent une attitude de prudence et de gestion de crise en raison des tentatives de mainmise des grandes puissances sur ses richesses minières et celles de la région du Sahel. « Dans cette situation de confrontation aux dimensions globales, il paraît important que les pays du Maghreb restent concentrés sur la défense de leurs intérêts dans le cadre des choix souverains, sans se lancer dans un alignement qui pourrait à terme nuire à leurs intérêts ».

Selon lui, cette attitude ne signifie pas un abandon des partenariats traditionnels occidentaux, ni l’absence ou le retrait de la scène internationale, mais une focalisation sur les questions qui les concernent directement pour l’utilisation optimale de leurs moyens et le maintien d’une ligne politique constante indépendamment des crises et des affrontements entre les puissances auxquels les pays de la région n’ont ni les moyens ni les capacités opérationnelles pour y prendre part. « Il s’agit là pour les pays de la région de construire une politique pragmatique fondée sur la diversification des partenariats sans toucher aux fondamentaux de leur politique étrangère. Ils doivent naviguer subtilement entre les pressions d’alignement et l’impératif de la préservation de leur souveraineté tout en protégeant leurs intérêts ».

De son côté, Dr Malte Gaier, représentant résident du Konrad-Adenauer, a évoqué la tentative de rapprochement politique et économique initiée par la création de l’UMA, soulignant à cet effet que plusieurs facteurs ont contrarié les ambitions de rapprochement, dont la création d’un marché commun. Il reconnaît toutefois que le Maghreb reste une région riche d’espoir et se caractérise par son important emplacement stratégique. « Le Maghreb se trouve aujourd’hui dans une situation critique, dans un monde de plus en plus multipolaire avec des défis qui se profilent à l’horizon en matière de stabilité ».

S’il est évident que l’émergence d’un monde multipolaire présageant un nouvel ordre mondial met aujourd’hui les pays du Maghreb face à de nouveaux grands défis, il est vrai aussi que le débat autour de l’union du Maghreb a été ponctué par des divergences d’opinion. En effet, l’UMA, née le vendredi 17 février 1989 à Marrakech, ne fut qu’un mythe pour reprendre les paroles de l’ancien ambassadeur Ezzedine Zayani lors de cette conférence. Et même aujourd’hui, les pays du Maghreb regardent vers la direction qu’ils ont choisie. Ce n’est pas l’avis d’anciens ministres et diplomates, dont Habib Ben Yahia, qui préconisent la persévérance dans le chemin de la consolidation des relations intermaghrébines pour contrer les manœuvres de division émanant des puissances étrangères, alors que d’autres intervenants étaient favorables à la naissance d’un Grand Maghreb. Les participants n’ignorent pas cependant que sur le terrain, la réalité est tout autre.

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