Accueil A la une Dynasthie husseinite – Ahmed Pacha Bey : Un monarque avant-gardiste

Dynasthie husseinite – Ahmed Pacha Bey : Un monarque avant-gardiste

 

Ahmed Pacha Bey était un souverain humaniste qui avait aboli l’esclavage avant la France et les Etats-Unis. Il s’était, par ailleurs, distingué en voulant donner une autre dimension à la politique étrangère du royaume. Il s’était rendu en France en novembre 1846 et a été le hôte privilégié de Louis Philippe, le roi de France, qui l’avait reçu dans son palais à Paris avec tous les honneurs.

La dynastie beylicale en Tunisie a connu moult rebondissements à travers l’histoire. Mahmoud Bey (1814-1824) avait accaparé le pouvoir par la force le 20 décembre 1814 alors qu’il a été victime à deux reprises (en l’intervalle de 37 ans) de la non application de la règle successorale régissant l’héritage du trône…

La femme de ce souverain a mandé ses deux fils Houssine et Mustapha pour prêter serment sur le Coran afin de veiller dans le futur au respect absolu de la règle successorale.

Cette règle est claire et doit être applicable sans ambiguïté : le bey du trône aura toujours son successeur immédiat, appelé communément bey de camp  (bey Lamhal), et ce, quelque soit le degré de parenté (fère, fils ou neveu…)

Après le décès de Mahmoud Bey le 28 mars 1824, le trône revenait de droit à son fils Houssine. Après le bey Houssine (1824-1835), ce fut le tour de Mustapha bey, son frère cadet, qui accéda au trône le 20 mai 1835. Ce dernier décéda le 10 octobre 1837 pour être remplacé par son fils Ahmed intronisé 10e bey de la dynastie après avoir reçu le serment d’allégeance des dignitaires de la cour, des vizirs, les ouléma, les notables de Tunis ainsi  que les commandants de l’armée et les tribus.

Cérémonie d’intronisation

Au cours de cette cérémonie, le nouveau monarque avait déclaré à l’assistance qu’il assumera son entière responsabilité en tant que protecteur du royaume et qu’il sera un digne successeur de son père Mustapha et de ses prédécesseurs.

Il avait aussi sollicité d’œuvrer en commun dans le respect mutuel pour la bonne marche du royaume et d’être constamment à l’écoute de ses sujets (Erraïa).

Cette cérémonie datant du 14 mai 1838 était grandiose et avait un cachet spécial qui différait des cérémonies précédentes. Une fois informé de l’intronisation du souverain Ahmed en tant que bey de la régence de Tunisie, le sultan ottoman avait envoyé à Tunis son délégué-émissaire qui, accueilli par Ahmed Pacha bey, lui avait remis le fameux décret de régence (Elfaramène Essoltani), l’insigne d’honneur ainsi qu’une épée dorée en guise de reconnaissance de l’approbation de sa souveraineté. Le cachet spécial de cette fête réside en l’arrivée d’une dizaine de cannes agrémentées de tous les accessoires symbolisant la force beylicale de Tunis

Toute la capitale était en fête … une foule en liesse célébrait l’arrivée au  pouvoir de son nouveau souverain. Ce fut donc la journée mémorable du 14 mai 1838.

Un bey jeune et dynamique

Lorsqu’il fut intronisé bey de Tunis, quelques mois auparavant, le 10 octobre 1837, le souverain Ahmed avait à peine trente et un ans. Il était jeune et dynamique.

Entre début mai et fin août 1840, il avait visité plusieurs régions de l’intérieur du pays, du nord au sud, dans le souci de suivre de près les problèmes relevant de l’économie du royaume et surtout ceux liés à l’agriculture, aux oliveraies et à la céréaliculture. Il avait fait des escales à Sousse, Kairouan, Sfax, Gabès, Djerba et au Cap-Bon. Durant ce périple, il était tout le temps à l’écoute des responsables régionaux et de ses différents sujets.

Le grade honorifique de «Mouchir»

Le Bey s’était aussi illustré par rapport à ses prédécesseurs par son caractère vaniteux, présomptueux et original; il voulait imiter le Pacha de Tripoli qui venait de se distinguer par l’octroi du grade de «Mouchir», un grade honorifique turc. Pour ce faire, il avait sollicité la «Porte Sublime» par le biais du sultan d’Istanbul de lui accorder cette faveur en lui envoyant son émissaire Mustapha Belhaouène. Ce dernier n’avait pas tardé de revenir de la capitale de la Turquie, muni de l’insigne d’honneur d’«El Mouchir» en janvier 1840. Depuis cette date, notre souverain se dénommait «El Mouchir» Ahmed Pacha bey et prenait du plaisir en portant l’insigne d’«El Mouchir» autour du cou lors des cérémonies pompeuses et diplomatiques.

Le séjour en France

Ce Bey s’était aussi distingué en voulant donner une autre dimension à la politique étrangère du royaume. Dans ce cadre, il s’était rendu en France en novembre 1846 et est resté jusqu’à  la fin du mois de décembre, période durant laquelle  il a été le hôte privilégié de Louis Philippe, le roi de France qui l’avait reçu dans son palais à Paris avec tous les honneurs.

El Mouchir Ahmed Pacha bey s’était entretenu à maintes reprises avec sa majesté le roi de France et avec les différents princes (les fils du roi) dans le but de relancer les échanges bilatéraux et créer un climat fraternel et amical entre les deux pays.

Délégation de pouvoir

Il est intéressant  de signaler que ce bey avait délégué ses pouvoirs à son cousin M’hamed (bey de camp) pour assurer son intérim au trône durant son absence et c’était pour la première fois qu’une telle délégation venait d’être décrétée depuis la fondation de la dynastie. A ce propos, l’historien Ahmed Ibn Abi Dhiaf précise que durant l’absence d’El Mouchir Ahmed Pacha bey, (environ 2 mois), les affaires du royaume marchaient convenablement et aucun incident n’avait eu lieu ! Cette délégation était à la hauteur de la bonne entente entre les deux cousins Ahmed et M’hamed.

Insurrection

El Mouchir Ahmed Pacha bey a été l’objet d’une insurrection au courant de l’année 1844 quand un homme issu du Djebel Khémir, et prétendant être un des fils de Othmène bey, allait  constituer une troupe composée d’individus infidèles et cupides pour s’insurger contre  le bey et le renverser. Celui-ci, prévenu à temps, avait envoyé une troupe armée chapeautée par le haut commandant des Spaïhis (police beylicale), Salah Ben Belgacem, qui avait réussi à mater l’insurrection. Le fauteur de trouble, pris en otage, fut condamné à mort et exécuté.

L’abolition de l’esclavage

Un fait saillant a eu lieu  lors du règne de Ahmed Pacha bey (1837-1855), il s’agit de la promulgation des décrets beylicaux relatifs à l’abolition de l’esclavage et l’interdiction du commerce des êtres humains. Ces décrets attestent que tout individu né au royaume de Tunisie est considéré comme un être libre et ne fait, en aucun cas, l’objet d’achat et de vente.

A ce propos, l’historien analyste Med Salah Mzali précise que ces décrets promulgués entre 1841 et 1848 précédent ceux des pays avancés tels que la France ou l’Amérique… Car la France n’avait aboli l’esclavage qu’en 1848 alors que les Etats-Unis d’Amérique et la Russie ne l’ont fait qu’en 1865. Il est intéressant de noter que la Tunisie à l’époque était avant-gardiste en termes d’humanisme.

Généreux,  Ahmed Pacha Bey était de tempérament modeste. Fidèle à ses principes, il aimait son entourage (El Hachia) et ne tenait jamais rancune. Il était également vif et dynamique, lucide et intransigeant. Il traitait les membres de sa cour sur un pied d’égalité et ne faisait pas de ségrégation entre les hommes. Il aimait ses sujets (Erraïa) et disait souvent que «la royauté prend essence de l’amour des sujets, point d’amour le roi s’abaisse à la ségrégation entre ses protégés». Il disait aussi «qu’un roi doit être juste et loyal». Ahmed Pacha Bey décéda subitement suite à un anévrisme cérébral le 30 mai 1855 dans son palais sis à La Goulette. Il fut inhumé au mausolée des Husseïnites à Torbet El Bey à Tunis.

Sources
– «Athaf Ahl Ezzemène, œuvre de Ahmed Ibn Abi Dhiaf
– «L’héritage du trône chez les Husseïnites» de Med Salah Mzali

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