Les amateurs d’œuvres lyriques ont pu découvrir, le 11 juillet au théâtre des régions, l’opérette Sayed Darwich, écrite et réalisée par l’écrivain et journaliste Sofiane Ben Farhat, sur un arrangement musical de Noureddine Ben Aicha. Un spectacle captivant qui mêle musique, chant, théâtre et chorégraphies, en hommage au grand artiste considéré comme le père de la musique égyptienne populaire.
Sayed Darwich (1892-1923) est un chanteur et compositeur qui a permis de grandes évolutions dans la musique arabe. Son grand héritage compte plus de 250 chansons et 26 opérettes.
Son art a reflété les turbulences politiques de son époque et se veut une expression de son dévouement envers son pays et des luttes de ses contemporains. D’ailleurs, il a aussi donné à l’Egypte son hymne national « Biladi Biladi », en plus d’autres chansons patriotiques connues à l’échelle internationale, dont « Salma ya Salâma » enregistrée par Dalida. Pionnier en matière de comédies musicales, il a fait, à partir de simples thèmes folkloriques égyptiens, de grands chef-d’œuvres bien retenus.
L’opérette de Sofiane Ben Farhat a été conçue pour raviver sa mémoire un siècle après sa mort.
Une pièce de qualité et un message puissant
Le spectacle qui porte le nom de « Sayed Darwich, al nabdh al khaled » (la pulsion immortelle) puise son inspiration dans le parcours de cet artiste et ses revendications politiques et sociales. C’est une tragi-comédie satirique caractérisée par l’alternance des airs chantés et des dialogues parlés, dans une atmosphère particulière qui a charmé le public. Différents évènements historiques ont été racontés en musique, jusqu’à sa disparition dans des circonstances floues à 31 ans. Avec 22 chansons en tout et des scènes axées sur l’œuvre comme sur la biographie, les douze artistes, entre comédiens et musiciens, ont exposé les revendications politiques et sociales de Sayed Darwich. Ils ont interprété des personnages emblématiques de l’Alexandrie aux années 1920 : la danseuse de cabaret, les soldats anglais, les militants.. Bayrem Tounsi, qui a côtoyé Sayed Darwich et qui est toujours considéré comme un trait d’union entre la Tunisie et l’Egypte, a été brillamment joué par le jeune étudiant en arts dramatiques, Ali Gsibi.
Entre chansons nationalistes et déplorations d’amour malheureux, cette opérette de deux heures environ a su créer un lien indéfectible avec le public présent en grand nombre. Une expérience immersive où chaque spectateur a repris en chœur les chansons connues et a applaudi les scènes poignantes de militance et de torture. La distribution, fondée pour l’essentiel sur des étudiants mais également sur de grands noms et des docteurs en musique, est exempte de routine. L’engagement vocal et scénique de chacun est manifeste. Une planification méticuleuse, esthétique et acoustique peut être perçue dans ce spectacle vivant et enchanteur à travers le décor astucieusement articulé, la chorégraphie, le choix des costumes qui traduisent le style vestimentaire des années 20. Dans une prestation grandiose, les quatre chanteurs ont repris des classiques de Sayed Darwich qui continuent d’inspirer et d’émerveiller les passionnés de bonne musique. Ces mêmes titres sont connus dans leur version originale ainsi qu’à travers des adaptations de Fayrouz, Cheikh Imam et bien d’autres artistes de renommée. Servie par des voix remarquables et des interprètes engagés, cette opérette, qui apporte un souffle de renouveau, captive, émeut et provoque une réflexion profonde chez le spectateur. L’objectif de cette ambiance qui élève les sens auditifs à des hauteurs inégalées était double : créer un lien émotionnel qui perdure après la fin du spectacle et offrir un évènement qui met en valeur de façon optimale l’art. Il ambitionne également aussi un certain regain d’intérêt pour l’opérette, un genre musical qui a eu son heure de gloire il y a plusieurs décennies et qui est injustement oublié aujourd’hui malgré l’évidente qualité des ouvrages. De plus, le spectacle est en parfaite symbiose avec le contexte actuel, en répondant aux attentes d’un public irrésistiblement attiré par les œuvres artistiques de bonne qualité. D’ailleurs, le créateur de l’opérette, Sofiane Ben Farhat, a intervenu en fin du spectacle pour saluer les spectateurs et insister sur le rôle de l’art engagé et porteur de messages, afin de réduire l’impact des représentations parfois osées dans certains spectacles, qui vont à l’encontre du bon goût et des mœurs. En renouant avec l’héritage de Sayed Darwich, à l’occasion de cette nouvelle production, il s’adresse aux responsables dans le domaine de la culture pour soutenir cette œuvre digne de figurer dans les grandes manifestations culturelles.