Leila Belkhiria, présidente à la Chambre nationale des femmes chefs d’entreprise, vient d’être élue vice-présidente de la Fédération des femmes d’affaires (The Comesa Federation of Women in Business, Comfwb) au Marché commun de l’Afrique orientale et australe, plus connu sous l’acronyme Comesa. Une nouvelle reconnaissance pour les compétences de la femme tunisienne. Dans cet entretien, elle revient sur les circonstances de son élection, sur l’état des lieux de l’entrepreneuriat féminin, les mécanismes de coopération au sein de cette fédération, le potentiel du marché commercial africain qui n’a pas encore atteint son apogée. Elle évoque également la situation de la Tunisie par rapport à d’autres pays membres du Comesa quant aux progrès accomplis dans le développement des Tic.
Si vous nous parliez un peu plus du Comesa et du Comfwb ?
Il faut rappeler au début que le Comesa a été lancé en 1994 en remplacement de la Zone d’échanges préférentiels créée depuis 1981. Il est composé actuellement de 21 États africains membres qui ont convenu de « promouvoir l’intégration régionale par le commerce et le développement des ressources naturelles et humaines dans l’intérêt mutuel de toutes les populations de la région ». Il regroupe plusieurs institutions, dont l’Agence pour l’assurance du commerce en Afrique, la Chambre de compensation, la Commission de la concurrence, l’Agence d’investissement régionale, la Banque de commerce et d’investissement, la Cour de Justice qui est l’organe judiciaire de l’organisation et bien évidemment la Fédération des associations nationales des femmes entrepreneures (Comfwb) qui a été créée en 1993.
La mission principale de cette fédération est de « développer l’esprit entrepreneurial chez les femmes des pays membres du Comesa à travers des programmes qui promeuvent, encouragent et servent les besoins des femmes et de leurs entreprises, en collaboration intelligente avec les partenaires concernés ».
Notre pays est devenu membre du Comesa à partir du 18 juillet 2018.
Quelles sont les circonstances de votre élection comme vice-présidente de la Fédération des femmes d’affaires (Comfwb) ?
En 2021, j’ai été élue en tant que membre du bureau exécutif de cette fédération et désignée comme la présidente de la région de l’Afrique du Nord et de l’Egypte. Trois ans plus tard, et en juin 2024, une assemblée générale élective a été organisée à Madagascar en marge de la 5e édition de la conférence et du « Trade Fair » du Comesa et ce fut une occasion pour déposer ma candidature pour la vice-présidence. Il faut souligner que ma candidature a été auparavant validée par le ministère du Commerce. La suite a été bien heureuse pour moi, puisque j’étais élue en tant que vice-présidente du Comesa. Une grande joie au cœur. J’étais émue jusqu’aux larmes et j’étais fière d’appratenir à la Tunisie.
C’est une élection qui dépasse le cadre de mon appartenance à la Chambre nationale des femmes chefs d’entreprise, d’autant qu’au niveau du staff administratif permanent de cette organisation, il n’y avait pas de représentant ni de représentante de notre pays. Je considère donc que c’est la Tunisie qui a décroché ce poste. La particularité et l’avantage des Tunisiens, c’est qu’ils maîtrisent parfaitement les trois langues de travail utilisées par le Comesa, à savoir l’anglais, le français et l’Arabe.
Au-delà de ma personne, le mérite revient à notre pays qui est doté d’institutions, d’associations et des syndicats féminins qui interviennent dans la mise en place de programmes, de plans d’action et de stratégies de travail sur le plan national et en particulier dans le domaine de l’entrepreneuriat féminin.
Le modèle tunisien des femmes entrepreneures semble exercer un attrait sur nos amis africains au point qu’ils tiennent aujourd’hui à s’inspirer de notre expérience. Je crois que ce facteur a joué un rôle déterminant dans ma candidature au poste de vice- présidente. Il est toutefois utile de rappeler qu’il ne faut pas dormir sur ses lauriers puisque d’autres pays africains sont mieux lotis que le nôtre, tel le Zimbabwe qui est aujourd’hui doté d’une banque de crédit totalement dédiée à la gent féminine, et le Rwanda qui a connu une croissance rapide dans les domaines des TIC avec un taux de digitalisation très important.
La force réside dans le partage des expériences et pour résumer tout cela, je dirais qu’il nous reste beaucoup à faire.
Quels sont les mécanismes de travail et de coopération au sein du Comfwb ?
Sur le plan du partage d’expérience et de la formation, nous avons des programmes en commun qui sont financés par le Comesa. Quant aux échanges commerciaux, ils s’effectuent par le biais de personnes physiques. Chaque année, une conférence du Trade Fair du Comfwb est organisée dans un pays africain. Elle offre l’occasion à toutes les associations féminines d’entrepreneuriat des pays membres de se rencontrer et d’avoir des discussions et des concertations dans le cadre de salon Business to business (B2B) se rapportant aux activités commerciales, les programmes futurs et les financements, etc.
Il y a aussi des rencontres virtuelles mensuelles qui sont organisées par les institutions du Comesa dont le Comfwb autour de thèmes choisis (digitalisation des services, certification…). Lors de ces rencontres, on se penche sur les besoins de chaque pays en matière d’échanges commerciaux.
Outre ces mécanismes de coopération, il y a lieu de citer la plateforme de réseautage baptisée « 50 millions de femmes africaines ont la parole ». L’objectif est de contribuer à l’autonomisation économique des femmes en fournissant une plateforme de réseautage qui leur permettrait d’accéder à l’information sur les services financiers et non financiers.
Le projet vise plus spécifiquement à créer une plateforme pour l’amélioration des capacités des femmes entrepreneures à travailler en réseau et à partager des informations, et à accéder aux services financiers. Malheureusement, la plateforme n’est pas opérationnelle à 100% car tout dépend de l’infrastructure de communication dans les pays africains.
Toutefois, il faut reconnaître que tout cela n’est pas suffisant. Par rapport au potentiel du marché et si on tient compte du nombre de la population totale des États membres du Comesa estimé à 583 millions d’habitants, on peut déduire que les échanges entre femmes entrepreneures en Afrique n’ont pas atteint leur point culminant.
D’ailleurs, la mise en place de la Fédération des femmes d’affaires (Comfwb) vise le renforcement du networking et des compétences des femmes entrepreneures et l’accroissement des missions ciblées pour qu’elles puissent gagner en matière d’inclusion et d’échanges.
Pour résumer tout cela, je dirais qu’il nous reste beaucoup d’efforts à déployer.
Un bureau commercial et consulaire a été inauguré à São Paulo à la suite de la visite de travail effectuée par le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, au Brésil. Quel serait votre avis à ce propos ?
La création de ce nouveau bureau est une excellente initiative. Sur le plan diplomatique et économique, il y a plusieurs pays porteurs où notre absence se fait malheureusement remarquer. A ce titre, je rappelle qu’au niveau des pays du Comesa on manque de représentations diplomatiques. Le Brésil pourrait constituer un marché porteur pour les produits tunisiens.
Tant qu’on a les moyens pour ouvrir des bureaux commerciaux, cela ne peut que constituer une excellente démarche. L’impact positif sur le domaine économique est considérable et cela poussera les femmes et hommes d’affaires tunisiens à aller vers ce pays et vice-versa.