Accueil La Bibliothèque de La Presse LE LIVRE DE LA SEMAINE | «L’insoutenable légèreté de l’être», de Milan Kundera : Les fardeaux d’alors et d’aujourd’hui

LE LIVRE DE LA SEMAINE | «L’insoutenable légèreté de l’être», de Milan Kundera : Les fardeaux d’alors et d’aujourd’hui

 

L’invasion de l’Ukraine par la Russie, lancée depuis 2022, nous amène à penser au drame de ces petites nations de l’Europe centrale, dont l’existence historique et politique a été déchirée entre l’Occident et la Russie.

Tel était le cas de l’ancienne Tchécoslovaquie, pays natal du grand écrivain naturalisé français Milan Kundera (1929-2023). Parti en exil, il revient dans ses romans sur l’occupation de Prague par les Soviétiques, en 1968, et en a fait le décor de ses récits. Vu le contexte mondial actuel, il est intéressant de revenir sur les textes de Milan Kundera qui mêlent fiction, biographie et histoire. Son œuvre majeure «L’Insoutenable légèreté de l’être», écrite d’abord en tchèque et publiée en 1984, est une ode aux libertés arrachées et à sa nation déchue. Entre gravité et désinvolture, ce roman captivant explore les thèmes de l’amour et de la condition humaine, afin de traduire sa résistance par les idées et la culture, là où la politique prend une place prégnante dans la vie privée. Milan Kundera nous a quittés il y a un an, mais son chef-d’œuvre, qui l’a fait connaître dans le monde entier, atteindra encore des générations de lecteurs sur tous les continents.

Des existences bouleversées par la guerre

Milan Kundera a choisi un cadre historique puis a étendu le tissu du roman pour appréhender des phénomènes sociaux et culturels plus larges. Dans cette pesanteur de la guerre, on retrouve une histoire d’amour et de légèreté entre Tereza et Tomas qui vit pour ses tentations libertines insurmontables. Ce jeune chirurgien incarne la légèreté de l’existence, sans se soucier des conséquences. Il multiplie les conquêtes et développe une relation particulière avec Sabina, sa maîtresse qui quitte son amant Franz et court après sa liberté. Quand les chars russes entrent à Prague, tous voient leur vie basculer. Les leaders communistes exercent une pression sur des intellectuels qualifiés d’indésirables. Tomas perd alors son poste et passe du statut de médecin de renommée à celui de laveur de vitres. A travers les vies entrelacées des quatre personnages principaux, l’auteur expose des détails de la guerre et ses conséquences sur les Tchèques. Confrontés à des dilemmes moraux et à des choix difficiles qui remettent en question leurs convictions, ils doivent faire des choix qui façonnent leur existence. Le long des pages, les drames se multiplient comme un fardeau. Faut-il quitter le pays ou choisir de rester et de porter le poids du passé sur ses épaules? Faut-il céder à la pression des communistes ? Faut-il se passer de l’amour au profit d’une vie sans attaches ? Entre l’ivresse du vide, la légèreté de la liberté, les conventions sociales et l’atrocité de la guerre, cette œuvre incontournable de la littérature mondiale ne manquera pas de nous faire réfléchir longtemps après avoir tourné la dernière page.

Une forte inspiration autobiographie

Pour comprendre pleinement l’importance de ce roman, il est essentiel de connaître le contexte historique dans lequel Milan Kundera a vécu et écrit. En effet, l’intrigue, qui se situe à Prague en 1968, s’articule autour de la vie des artistes et des intellectuels, lors de l’invasion du pays par l’URSS.

Cependant, c’est la vie de Milan Kundera lui-même qui a été marquée par ces événements politiques tumultueux. Comme la liberté d’expression était sévèrement restreinte, ses œuvres ont été interdites par le régime communiste. Il a été mis à l’index dans son pays et confronté à la censure et à l’oppression politique. Les chars soviétiques ont enterré ses espoirs et il s’est finalement exilé en France en 1975 avec son épouse.

Déchu de sa nationalité et considéré comme un écrivain dissident dans son pays natal, il a continué à publier en France, en évoquant lamentablement dans ses écrits ses souvenirs de Prague quadrillée par les militaires. La transplantation brutale de la paix par la guerre et l’horreur quasi quotidienne décrites dans «L’Insoutenable légèreté de l’être», considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de la littérature contemporaine, relèvent de l’expérience vécue par Kundera. En partant de ses propres souvenirs, l’auteur est allé au-delà de la simple narration historique pour plonger dans une critique acerbe de la société communiste qui régnait en Tchécoslovaquie à l’époque et les conséquences dévastatrices de ce régime totalitaire sur les relations humaines.

Pourquoi faut-il lire ou même relire ce livre?

Au décès de Milan Kundera, le président français Emmanuel Macron a salué sur Twitter son «esprit libre», en indiquant que «son ironie et son génie ont fait de ses œuvres des classiques de notre temps». Ce point de vue est confirmé par le grand succès critique et commercial de «L’Insoutenable légèreté de l’être», traduit en une cinquantaine de langues. En abordant les thèmes universels de l’amour et de la liberté, combinés à son expérience personnelle sous le régime communiste, Milan Kundera a fait de ce roman un récit captivant et profondément significatif qui a rapidement gagné en popularité et en reconnaissance internationale. Avec sa profondeur et ses analyses psychanalytiques, il a traité des sujets pesants avec légèreté. Ou le contraire. Entre le sérieux et le frivole, deux plateaux d’une balance existentielle viennent s’ajuster tout au long du récit.

Par cette approche philosophique, ce roman n’attire pas que le grand public avide d’aventures et de récits d’amour. En quelques heures cumulées, il a la capacité de raconter un pan de l’histoire, d’entrouvrir les portes de l’imaginaire et d’analyser des mécanismes psychologiques, des contradictions ambiguës et des destins qui se superposent. C’est un livre à relire à toutes les périodes importantes de sa vie, pour y trouver à chaque fois un éclairage nouveau et l’apprécier différemment.

Ce qui témoigne encore de l’importance de cette œuvre dans le paysage littéraire contemporain, c’est l’adaptation cinématographique avec des acteurs monumentaux en tête d’affiche : Daniel Day Lewis et Juliette Binoche. Sorti en 1988, à peine 4 ans après le roman, le film de Philip Kaufman parvient à bien restituer le fond passionnant du livre. Par des séquences où les images d’archives de Prague et les scènes de la fiction se mélangent parfaitement, la retranscription est touchante et vive. A voir après la lecture de l’œuvre.

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