Accueil A la une Le député Halim Boussema : « La dépénalisation du chèque sans provision et une amnistie sont imminentes »

Le député Halim Boussema : « La dépénalisation du chèque sans provision et une amnistie sont imminentes »

 

Propos recueillis Par Mohamed Elmoncef Ben Khalifa

Le député indépendant Halim Boussema défend ardemment la dépénalisation du chèque sans provision et critique le projet de loi qui maintient partiellement cette pénalisation. Dans cette interview, il explique pourquoi cette réforme est essentielle pour le tissu économique tunisien et pour la justice sociale.

Le gouvernement a envoyé tout dernièrement au parlement un projet de loi pour l’amendement de la loi sur les chèques sans provision. Tout en parlant de son abrogation dans certaines conditions, d’aucuns pourraient voir une contradiction dans votre position. Qu’avez-vous à leur dire ?

Il n’y a aucune contradiction. S’il y en a une, elle serait entre le projet d’amendement de la loi sur les chèques sans provision et la position du Président Kaïs Saïed envers l’article 411. N’était-il pas le premier à avoir appelé Madame la ministre de la Justice à dépénaliser cette pratique économique ? N’a-t-il pas traité cette loi de tyrannique et d’arbitraire ?

Qu’avez-vous à reprocher au projet gouvernemental de remaniement de la loi sur les chèques sans provision que le parlement est en train d’étudier ?

La première des choses est qu’elle est illégale. Le gouvernement nous demande de maintenir l’emprisonnement pour ceux qui émettent des chèques sans provision dont le montant est supérieur à 5.000 dt et de ne pas emprisonner les autres. Désolé, mais c’est époustouflant. Au-dessous de 5.000 dt, un chèque non payé ne me conduit pas en prison. Pour un chèque impayé de 5.000 et un dinar je suis emprisonné. Et si j’émettais 50 chèques de 4.999 dt, totalisant près de 250 000 dt, je ne serais pas inquiété ! Il y a encore plus époustouflant : le gouvernement propose de plafonner les chèques électroniques barrés à 30.000 dt. Donc si vous êtes importateur de bois, par exemple, et que vous recevez une livraison coûtant 300.000 dt, on consulte votre compte et on trouve que vous disposez de ce montant.

Il vous faudra émettre 10 chèques de 30.000dt pour payer votre fournisseur ?! C’est quoi cette acrobatie dans un pays où l’on est censé sauver l’économie en simplifiant, aussi, les démarches administratives ?

Mais rappelons le plus important : en tant que députés, nous ne devons jamais opter pour des lois contraires à la Constitution et aux pactes internationaux ratifiés par la Tunisie. J’espère que tout le monde est d’accord sur cela, au moins. Or, l’article 11 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies stipule: « Personne ne peut-être emprisonné au seul motif qu’il n’est pas en mesure de remplir une obligation contractuelle. »

C’est ce qui a conduit le syndicat tunisien des magistrats à prendre dernièrement position pour la dépénalisation des chèques sans provision. « L’article 411 est contraire aux pactes et conventions internationaux ratifiés par la Tunisie », nous dit le syndicat des magistrats tunisiens. Donc, il n’est pas étonnant que l’écrasante majorité des pays ait opté pour la dépénalisation du chèque sans provision. Une infime minorité demeure contrevenante. Qui devrait-on suivre selon vous ?

Même s’il n’y avait pas ce pacte des Nations unies interdisant l’emprisonnement des émetteurs de chèques sans provision, le cas tunisien est tellement catastrophique qu’il nous somme de dépénaliser cette pratique. N’oubliez pas que pendant la décennie noire du règne des intégristes, ils ont tout fait pour pousser à la faillite les entreprises productives : encouragement du marché parallèle et de la contrebande, terrorisme, facilités innombrables aux produits légalement importés, dictature autorisée des syndicats… L’un des premiers signes de la faillite est le défaut de paiement. Dans les pays qui respectent leurs entreprises, l’État fait d’abord tout pour les empêcher d’être dans l’incapacité de payer leurs charges et fournisseurs. On protège leur activité contre la concurrence déloyale interne ou étrangère, on promulgue des lois facilitant leur développement, on essaie de les imposer fiscalement le moins possible…

Or, c’est tout à fait le contraire que les gouvernants « post-révolution » ont fait. Ils étaient les complices des importateurs privilégiés, des contrebandiers, des terroristes… Pire encore, à cause de la criminalisation du chèque sans provision, une fois que vous êtes en défaut de paiement, on vous alourdit de charges et de pénalités insupportables : amendes diverses, frais bancaires supplémentaires, huissiers, avocats… Tout est fait pour vous achever et non vous sauver. Dans cette situation, la priorité pour le chef d’entreprise est d’éviter la prison parce que c’est le pire qui puisse arriver. Alors le peu de recettes qu’il a, il le dépense prioritairement pour payer ses chèques, leurs amendes, les banques, les avocats, les huissiers… Souvent, il reste peu pour les impôts et la Cnss, pour l’État. Et c’est le défaut de paiement, à ce niveau aussi. C’est alors que démarre la spirale des pénalités de retard de paiement au niveau de la Cnss et des impôts. Étant classés insolvables auprès de la Banque Centrale, ces chefs d’entreprise n’ont plus le droit de contracter des prêts bancaires pour payer leurs impôts en attendant des jours meilleurs. Mais sous le règne des intégristes et leurs complices, les jours n’ont fait que s’assombrir. Alors, à un certain moment, l’entreprise est harcelée de tous côtés et ne peut plus continuer. Mais il faut bien vivre, il reste quelques clients, une petite activité pour nourrir la famille. Alors prennent la relève le conjoint ou la fille ou le fils. Ils ne sont pas encore « grillés » côté banques et instances de l’État. On concocte une petite stratégie de sauvetage pour développer l’entreprise en plein marasme avec la ferme intention de payer ses chèques et ses dettes envers l’État et les privés. Là, survient le Covid, puis la guerre en Ukraine ! Les chèques retournent par millions et voilà qu’on retrouve un autre membre de la famille condamné pour chèque sans provision. Or, ces entreprises familiales, ces PME représentent plus de 93 % du tissu économique. Qu’arrive-t-il si ce nombre énorme d’entreprises est tellement mal qu’elles n’arrivent plus, pour la plupart, à s’acquitter de leur devoir fiscal ? Les deniers de l’État se porteront mal pour tomber dans le piège de l’endettement extérieur et subir ainsi les risques de perdre notre souveraineté.

J’ai l’intime conviction que les intégristes ont joui de toutes les facilités extérieures pour accéder au pouvoir afin, justement, de conduire le pays à ce piège tout en se remplissant les poches. La pénalisation du chèque est l’une des armes fatales qui a aggravé ce processus criminel.

Malgré tout ce que vous dites, nombreux sont ceux qui pensent encore que le gouvernement a raison de criminaliser les chèques impayés dont la valeur dépasse les 5.000 dt afin que ce document garde sa crédibilité et que l’économie ne s’effondre pas.

Je crois que l’histoire de la Tunisie « post-révolution », telle que je l’ai rapportée précédemment, montre le contraire. La pénalisation du chèque est un facteur d’effondrement des économies et tous les pays qui l’ont dépénalisé n’ont fait que mieux se porter.

Quelle est la solution à ce tableau bien noir ?

La solution est multiple. L’étude faite par le syndicat des magistrats traitant du chèque sans provision a débouché, entre autres, sur deux recommandations :

• Instaurer le chèque électronique : une plateforme mise en place par la Banque Centrale permettra au bénéficiaire du chèque de vérifier en ligne si le montant objet de la transaction existe. Si le solde est insuffisant, alors le bénéficiaire peut refuser la transaction et rend le chèque à son émetteur, évitant ainsi le crime du chèque sans provision. Si malgré l’absence de provision nécessaire le bénéficiaire du chèque accepte la transaction, cela sera alors à ses risques et périls.

• Cela dit, le syndicat des magistrats tunisiens a par ailleurs proposé de renforcer le pouvoir exécutoire du chèque. En cas d’absence de provision, le bénéficiaire pourrait utiliser ce document pour réaliser directement des saisies conservatoires sur les biens de l’émetteur du chèque sans passer par un long processus judiciaire.

Mais la véritable solution à tous ces problèmes, c’est que l’Etat crée une atmosphère des affaires où les entreprises peuvent s’épanouir afin de s’acquitter de tous leurs devoirs financiers envers l’Etat et les particuliers tout en créant de la richesse et de l’emploi. Pour cela, le premier pas sera de libérer, physiquement, les femmes et les hommes gérant ces entreprises en instaurant une amnistie générale. Cette amnistie devrait permettre la sortie immédiate de prison des condamnés pour chèque sans provision ainsi que l’arrêt des poursuites contre les condamnés et recherchés pour ce crime qui n’en sera plus un.

Vous êtes combien à penser de la sorte au parlement ? Êtes-vous optimiste quant à la possibilité que le parlement décrète cette amnistie dans les prochains jours ?

Oui, je suis optimiste puisque nous sommes 90 députés à avoir demandé, il y a plusieurs semaines, de décréter au plus vite cette amnistie.

M.E.B.K.

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