Dans les régions côtières, l’été est synonyme de détente et de vacances. Tandis qu’à Kairouan, où le mercure bat souvent tous les records, l’été venu, la vie devient insupportable et la condition humaine infernale. Pourtant, il y a encore une piscine municipale délabrée, désertée et fermée depuis plus de six ans. Dans cette ville du centre du pays où la jeunesse reste en proie à tous les maux, à tous les fléaux, y compris délinquance et consommation de stupéfiants, il n’y a ni activités culturelles (à l’exception de quelques manifestations sporadiques), ni moyens de loisirs.
Dans cette ville pourtant dotée de grands espaces, il n’y a ni parcs urbains, ni parcours de santé. Le seul complexe culturel de la ville, Assad Ibn Fourat, fonctionne cahin-caha et les maisons de jeunes s’adonnent à des activités anachroniques. L’état du musée national d’art islamique de Rakkada rappelle celui du cimetière occupant le cœur de la ville.
Pour revenir à la piscine municipale, ô combien importante par ces temps de canicule insupportable mais qui reste fermée, toutes ces années, il faut dire que la gestion calamiteuse de ce dossier n’a d’égale que l’inertie des responsables locaux. Le ministère de la Jeunesse, le gouvernorat, la commission régionale de la jeunesse et des sports dans tout cela ? Silence radio.
Du côté des habitants, seuls les mieux nantis — ce n’est qu’une minorité — trouvent le moyen d’offrir à leur progéniture de petits moments de détente dans l’unique piscine relevant d’un hôtel de la ville.
Imputant le retard des travaux à un promoteur « peu efficace », le secrétaire général de la mairie de Kairouan, Mohamed Kalaï, avait affirmé dans des déclarations à la presse que les services concernés ont procédé à l’annulation du contrat signé avec ledit promoteur parce qu’il n’a pas respecté les différentes clauses.
Ce responsable local a, néanmoins, démenti toutes les « informations erronées et les rumeurs » circulant sur les réseaux sociaux, selon lesquelles le montant alloué à la restauration de la piscine municipale aurait été détourné.
Les travaux de restauration de la piscine municipale, faut-il le rappeler, devaient démarrer en janvier 2020 avec une enveloppe totale de 1,7 million de dinars pour une durée de 365 jours, en fonction du contrat. Sauf que le temps s’est écoulé et les choses n’ont pas bougé d’un iota, depuis.
Espace inhospitalier et mouvements migratoires croissants
A Kairouan, le ver est donc dans le fruit et tout semble stagner cinq voire six décennies durant. Aux caprices de Dame nature s’ajoutent l’inertie des hommes et l’incompétence d’un pouvoir local qui ne fait que maintenir le chaos. Dans ce sens, l’activiste de la société civile, Samir Fayala, dit avoir vainement organisé plusieurs sit-in et marches de protestation dénonçant la fermeture de la piscine municipale et l’absence de projets de développement à Kairouan.
« Cela fait plus d’une décennie que l’on proteste. Nous l’avons dit et répété : Kairouan s’apparente aujourd’hui à un cimetière et ses habitants seraient, pour bon nombre d’entre eux, des morts sans sépultures comme on dit. Sauf que l’on aurait prêché dans le désert, paraît-il », se désole Fayala.
Abondant dans le même sens, Salem, père de trois enfants et ingénieur de son état, dit avoir trouvé la solution : il a quitté sa ville natale, pour s’installer à Hammamet.
«A Kairouan, on ne vit pas. Plutôt, on survit. L’injustice de Dame nature et la misérable condition humaine n’ont d’égales que l’inertie si ce n’est l’incompétence d’un pouvoir local qui n’est bon qu’à s’égosiller devant les caméras », égrène l’ingénieur.
Du même avis que Salem, Walid, professeur de français, pense que la condition humaine est beaucoup plus tragique dans les villes enclavées, en l’occurrence Kairouan, en raison «d’une mauvaise gouvernance locale qui ne fait qu’accélérer les mouvements migratoires».
«Avec la prolifération des réseaux sociaux et les bouleversements majeurs des modes de vie et de pensée, l’on n’arrive plus à convaincre ses enfants de l’importance du cordon ombilical qui les lie à leurs villes et régions natales. Se rendant compte de l’importance des disparités régionales dans leur pays, ces mêmes enfants grandissent avec une plaie : cette injustice sociale qui perdure malgré tout un soulèvement populaire contre cette même injustice», regrette l’enseignant de la langue de Voltaire.
Tuer l’espoir, c’est tuer une nation
Une chose est sûre aujourd’hui : le développement régional est resté lettre morte à Kairouan. Les habitants, nantis, moins fortunés et déshérités, fuient leur ville natale. Car l’on constate la même géographie des inégalités économiques, éducatives et culturelles, somme toute sociales.
Ce que se refuse cependant d’admettre la raison, c’est que tant de désastres handicapant cette ville puissent être attribués à la seule stupidité d’un pouvoir local qui maintient le statu quo au lieu d’être une force de proposition afin de sauver la barque.