Après nos randonnées à travers les régions du Sud, du Centre-Est (le Sahel), du Centre-Ouest, du Nord-Ouest, nous voilà aujourd’hui dans le Centre-Est du pays, décrit comme un pôle économique en grande mutation, couvrant sept régions administratives réparties en deux sous-régions, à savoir le Grand Tunis (Tunis, Ariana, Ben Arous et La Manouba) et celle, plus au Nord, de Bizerte, Nabeul et Zaghouan. Il va sans dire que plus on va vers le Nord du pays, plus le taux de pauvreté est en net recul et le taux d’urbanisation augmente avec des indices de développement nettement plus élevés. Dans cette première partie, on mettra la lumière sur ces trois gouvernorats avant de clôturer la semaine prochaine notre série de reportages avec le Grand Tunis, après avoir, l’été durant, sillonné la majorité des régions du pays, en partant du Sud vers le Nord et du Centre-Est vers le Centre-Ouest, pour mettre en lumière leur développement, mais aussi leurs difficultés afin de contribuer à trouver les solutions appropriées, en se référant aux études élaborées par les experts et aux témoignages des citoyens et représentants de la société civile.
L’une des particularités de notre région d’aujourd’hui est sa richesse en eaux thermales, comme en témoignent les stations de thalassothérapie par les eaux naturelles, à l’instar des stations de Korbous (Nabeul) et de Jbel Oust (Zaghouan). L’activité artisanale constitue également un support important au développement touristique de la région. A titre d’exemple, la céramique et la sculpture sur pierre dans le gouvernorat de Nabeul et la poterie de Sejnène à Bizerte.
De par sa position géographique en Méditerranée, la région du Nord-Est est un véritable carrefour de civilisations. Plusieurs monuments et sites archéologiques témoignent de l’importance de ce patrimoine historique. Incontestablement, le Nord-Est est un pôle touristique diversifié marqué, avec des taux de pauvreté inférieurs dans sa partie Est et des poches de pauvreté dans sa partie occidentale, selon l’INS.
Bizerte : une des régions agricoles les plus fertiles, mais le potentiel touristique est mal exploité
Situé à l’extrême nord du pays, le positionnement géographique stratégique de ce gouvernorat découpé en 14 délégations lui confère un avantage considérable pour attirer diverses activités économiques et en faire un pôle multisectoriel, combinant industrie lourde et technologie de pointe. La richesse de son patrimoine naturel et écologique, par les lacs de Bizerte, d’Ichkeul et de Ghar El Melh, l’île de La Galite ainsi que Ras Angela, constitue un atout important pour le développement de l’écotourisme.
Ce potentiel naturel est consolidé par un héritage en savoir-faire artisanal enraciné notamment dans la localité montagneuse de Sejnane dont la poterie fabriquée par les femmes a été récemment inscrite sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. En outre, le gouvernorat est doté de plages splendides qui sont prises d’assaut chaque été par les estivants de tous bords.
La région de Bizerte est considérée comme l’une des régions agricoles les plus fertiles de la Tunisie, grâce notamment à l’existence d’un potentiel hydrique important. Cette vocation agricole fait d’elle un pôle de production agricole très diversifié et susceptible de donner à la région un élan de développement fort appréciable. Toutefois, les agriculteurs font face à de nombreux problèmes et difficultés qui les empêchent de tirer pleinement profit de ces atouts.
Ces difficultés sont liées aux problèmes fonciers, aux aléas des organismes de gestion et de distribution des eaux irriguées, à l’obsolescence de certaines pratiques agricoles ainsi qu’à la faiblesse du tissu industriel agroalimentaire. Ce qui pourrait, à terme, empêcher l’exploitation durable et valorisante des potentialités agricoles de la région, selon l’étude stratégique pour le développement du gouvernorat de Bizerte à l’horizon 2030, élaborée en 2018 par le ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale.
Maintenir les populations rurales dans leurs régions d’appartenance
Dans son diagnostic de la situation économique et sociale du gouvernorat de Bizerte, la même source souligne que le taux d’urbanisme qui pourrait atteindre 73% en 2030, devra pousser les pouvoirs publics à doter les zones urbaines du gouvernorat de suffisamment d’infrastructures pour répondre aux besoins des populations urbaines, mais aussi mettre en œuvre un programme pour maintenir les populations rurales dans leurs régions d’appartenance. Quant au secteur industriel, caractérisé par sa diversification, plusieurs difficultés entravent son développement, dont notamment les difficultés des entreprises industrielles publiques, les insuffisances de certaines zones industrielles de la région, l’accroissement des coûts logistiques et la rareté de la main-d’œuvre spécialisée.
Il est vrai que la région possède de nombreux atouts qui pourraient en faire une destination touristique prisée. Cependant, plusieurs défis entravent son développement. La vétusté des unités hôtelières et la faible attractivité de l’offre touristique sont des obstacles majeurs. De plus, la qualité des prestations doit être améliorée pour attirer les visiteurs. L’absence de zones touristiques aménagées dans certaines parties du gouvernorat et la pollution croissante s’ajoutent à ces difficultés. Pour que la région puisse exploiter pleinement son potentiel touristique, il serait essentiel de travailler sur ces aspects et d’investir dans des infrastructures modernes et durables.
L’artisanat demeure affecté par la faible capacité de financement des artisans locaux, leur non-maîtrise des techniques de promotion commerciale ainsi que par le manque de soutien des structures d’appui de la région.
Sur le plan environnemental, cette région, qui abrite environ 15 sites classés ou en cours de classification, constitue le gouvernorat le plus nanti de la Tunisie en espaces écologiques protégés. Cependant, l’essor économique et urbain qu’elle a connu au cours de ces dernières années s’est accompagné par l’apparition de plusieurs phénomènes de pollution qui ont généré une dégradation de l’environnement.
Le taux de scolarisation fait apparaître, en outre, plusieurs disparités régionales entre les délégations à dominante rurale, telles que Sejnane, et les délégations à dominante urbaine comme Bizerte-Nord. Plusieurs raisons expliquent l’existence de ces disparités comme la dégradation de la qualité de l’enseignement, les insuffisances des infrastructures et de l’accessibilité limitée des prestations de services publics.
Bien que le taux moyen de pauvreté soit assez faible (11,9%), il subsiste quelques poches de pauvreté dans certaines zones rurales du gouvernorat de Bizerte où l’incidence de la pauvreté la plus élevée est observée dans la délégation de Sejnane (39,9 %), suivie de Joumine (36,6 %) et de Ghezala (34 %) qui sont caractérisées par les taux d’abandon scolaire les plus élevés. Par contre, Bizerte-Nord (5,3 %) affiche le taux de pauvreté le plus bas de la région, selon l’INS.
Baisse du niveau des prestations sociales
Les délégations les plus pauvres sont caractérisées par un milieu rural dominant, un taux de chômage relativement haut. Idem pour l’analphabétisme et le décrochage scolaire qui affichent des niveaux très élevés.
Le diagnostic des activités économiques et sociales ainsi que de la situation environnementale et territoriale du gouvernorat de Bizerte a fait apparaître plusieurs problématiques entravant le développement au sein des différentes régions du gouvernorat. Les problématiques spécifiques caractérisant chacune des fonctions de développement du gouvernorat de Bizerte se rapportent en particulier à l’essoufflement des systèmes productifs de richesses, la dégradation des écosystèmes naturels de la région et de la territorialité urbaine et rurale et enfin la baisse du niveau des prestations sociales et l’altération de la qualité de vie.
Quant aux potentialités de développement économique et social, elles ne manquent pas à Bizerte, mais elles sont confrontées à des difficultés en matière d’infrastructure, de logistique, d’environnement, conjuguées à des problèmes d’essoufflement de l’appareil productif existant et de la persistance des disparités régionales, avec plusieurs conséquences sociales, résume l’étude stratégique pour le développement de ce gouvernorat, élaborée sous la tutelle du ministère de Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale en 2018.
Bien évidemment, on ne peut conclure sans évoquer le pont mobile de Bizerte qui a pris de l’âge, puisque son inauguration remonte à 1980. En dépit de ses retombées positives sur la circulation entre les deux rives du canal, il n’arrive plus à répondre au rythme d’une mobilité croissante et tombe souvent en panne. Dieu merci, la construction du nouveau pont contribuera inéluctablement à fluidifier le trafic, sans compter les retombées considérables sur le rythme des échanges commerciaux. Le contrat de concession a été signé avec un groupe chinois.
Zaghouan : des problèmes fonciers bloquent le développement des délégations
Le gouvernorat de Zaghouan, découpé en six délégations, constitue un territoire de prolongement fonctionnel économique pour le Grand Tunis et profite aussi de sa proximité du pôle touristique de Nabeul-Hammamet. Il s’étend sur une superficie totale de 282.000 ha dont 272.000 ha de terres agricoles et seulement 10.000 ha de terres non agricoles. Il se distingue aussi par l’importance des terres domaniales. Ce positionnement par rapport à ces importants pôles économiques et logistiques constitue un atout régional favorisant l’attractivité des investisseurs, notamment étrangers, en générant l’implantation de 251 entreprises dont la majorité opère dans les industries mécanique et électrique avec une prédominance des composants automobiles. De même, la richesse en substances utiles du gouvernorat de Zaghouan a entraîné le développement des industries des matériaux de construction destinés aux projets de BTP dans le Grand Tunis.
Par ailleurs, le secteur agricole contribue notablement à la croissance économique régionale d’autant qu’il occupe environ 32% des emplois et ce grâce à l’abondance de facteurs de production tels que la superficie agricole utile couvrant les deux tiers du territoire du gouvernorat et les ressources hydriques mobilisées par deux grands barrages et 19 lacs collinaires affectées à l’irrigation d’environ 12 mille hectares.
On souligne aussi que Zaghouan est, doté d’un environnement naturel diversifié et d’un patrimoine historique et culturel visible grâce aux vestiges archéologiques du Temple des eaux, de village de Jradou et les aqueducs romains. Il a ainsi tous les atouts pour la promotion d’un tourisme écologique et culturel durable. Le patrimoine thermal dans le gouvernorat s’étend sur les deux délégations de Djebel Oust et Zriba.
Toutefois, le caractère rural est dominant sur une bonne partie du territoire du gouvernorat. Pour la population rurale qui se regroupe dans des petites localités rurales, le degré d’équipement est souvent sommaire et se limite à des équipements de base comme les écoles primaires et les centres de soins de base. Les noyaux ruraux restent démunis de moyens d’assainissement et de bons moyens de transport.
Mais ce qui pose encore un grand problème, c’est que la plupart des noyaux ruraux connaissent des problèmes fonciers énormes bloquant leur développement. A ce niveau, il est à signaler la persistance des terres d’origine «Hbous», ce qui a incité le lancement de procédures de régularisation de la situation de plusieurs regroupements ruraux implantés sur des terres domaniales.
Les principaux problèmes identifiés expliquant le retard de développement du gouvernorat de Zaghouan sont inhérents à la métropolisation et à une structure territoriale déséquilibrée, la faible qualification du capital humain, un milieu naturel fragile, un faible dynamisme économique, un faible niveau d’équipement et des conditions de vie parfois inappropriées, une faible attractivité du gouvernorat et des problèmes de gouvernance.
Le taux de pauvreté dans le gouvernorat de Zaghouan en 2015 était de 13,7% et le taux de chômage de 10,5%, ce qui est inférieur au taux national de 15,6%. Il est constitué de six délégations. Il prolonge le territoire économique du Grand Tunis, lui permettant de bénéficier d’externalités positives liées aux infrastructures de base aéroportuaires (Tunis-Carthage et Enfidha) et portuaire (Radès). Il bénéficie aussi des externalités du pôle touristique de Nabeul-Hammamet. Cette situation géographique favorise l’attractivité des investisseurs nationaux et étrangers.
Le gouvernorat de Zaghouan reste sous influence du pôle de Tunis subissant à la fois son poids et ses contraintes. A l’intérieur, les deux principales villes, El Fahs et Zaghouan, n’arrivent pas à former un pôle de développement de contrepoids à la forte polarisation de la capitale.
Faibles intégration du gouvernorat dans son environnement
Il ressort de l’analyse réalisée lors de la phase de diagnostic que le gouvernorat de Zaghouan est doté d’un ensemble d’atouts et d’opportunités qui peuvent constituer les éléments de base d’un plan de développement. Parmi ces atouts, les fortes potentialités en eau et en sol, la bonne position géographique, l’importance du marché régional et du pôle d’échanges d’El Fahs, une activité industrielle en plein essor, des richesses naturelles. Ce gouvernorat semble être doté de tous les atouts pour constituer un pôle de développement, il reste toutefois moins développé que d’autres gouvernorats du pays. C’est que sa structure territoriale se caractérise par la faiblesse du système urbain complètement polarisé par Tunis et faiblement par les deux villes de Zaghouan et d’El Fahs. «Malgré son appartenance à la région la plus polarisée et la plus favorisée du pays, Zaghouan se caractérise par une structure territoriale peu homogène et une faiblesse du réseau urbain», souligne l’étude stratégique pour le développement du gouvernorat de Zaghouan à l’horizon 2030, initiée par le Commissariat général au développement régional.
Pour conclure, les experts en développement régional sont unanimes à dire que Zaghouan dispose d’une richesse naturelle qui peut faire de ce gouvernorat une destination importante aussi bien locale qu’internationale. Il s’agit là de tant d’avantages dont la mise en valeur permet de développer en particulier le tourisme alternatif sous différentes formes d’autant que ce gouvernorat est classé loin des zones marginalisées de notre pays.
Nabeul : région touristique de renommée internationale, mais gare aux inondations!
Le gouvernorat de Nabeul est constitué de 16 délégations. Il dispose d’un littoral de 180 km sur la Méditerranée, ce qui a permis de développer l’artisanat et le tourisme balnéaire. En outre, le gouvernorat contribue à hauteur de 15% à la production agricole nationale malgré sa superficie agricole utile limitée et ce grâce au savoir-faire des agriculteurs. Neapolis (nom antique de Nabeul) constitue la première destination touristique en Tunisie. Par conséquent, ces activités font du gouvernorat un des plus riches du pays avec un taux de pauvreté de 8,1 %, parmi les plus faibles de Tunisie.
L’activité agricole au Cap Bon est le secteur le plus productif et constitue la première activité d’une population encore attachée à la terre même si elle dispose d’un tissu industriel diversifié. La quasi-totalité des agrumes et plus de la moitié de la production de tomates et de pommes de terre sont produites dans ce gouvernorat. Parmi ses atouts, des terres fertiles et une pluviométrie régulière, des potentialités fourragères pour l’élevage bovin, 300 km de côtes favorables à l’aquaculture, une main d’œuvre qualifiée et un savoir-faire local.
De même, le gouvernorat dispose de plus de 700 entreprises industrielles, soit 13% du dispositif productif industriel du pays, opérant principalement dans le textile et l’habillement, les matériaux de construction, la céramique, les industries électriques et mécaniques ainsi que l’ameublement.
Région touristique de renommée internationale et station balnéaire prisée, le gouvernorat de Nabeul est également une terre agricole fertile connue pour la production d’agrumes et de raisins. Elle est aussi riche d’autres ressources comme ses carrières de sable, d’argile, de calcaire et de gravier ou encore en eaux minérales à l’instar de la station thermale de Ain Oktor à Korbous. Toutefois, les délégations de Beni Khalled et Bouargoub à Nabeul ont connu durant le premier semestre de l’année en cours une vingtaine de mouvement de protestations en raison du manque de ressources en eau destinées à l’irrigation des agrumes et des bas prix de certaines cultures saisonnières comme les pommes de terre, d’après le rapport du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux publié le 10 juillet 2024. Nabeul se classe ainsi en deuxième position sur le plan national en termes de mouvements de contestation enregistrés selon la même source.
Notons que les délégations de Takelsa (19,1%), Hammam Ghezaz (16%) et El Mida (11,7%), qui affichent des taux de pauvreté relativement élevés, se caractérisent par les taux d’abandon scolaire des plus importants. Les délégations les plus pauvres sont éloignées géographiquement du chef-lieu du gouvernorat et sont caractérisées par un taux d’analphabétisme élevé. Quant à celles les plus nanties du gouvernorat de Nabeul, il s’agit des délégations de Nabeul (4,7), Dar Chaabane (4,9) et Beni Khiar (5,8).
Il est important de rappeler que certaines délégations de ce gouvernorat demeurent toujours exposées au risque de pluies torrentielles pouvant provoquer des inondations. On se rappelle tous le 22 septembre 2018, les pluies diluviennes qui ont été à l’origine de graves dégâts. Une étude rapportée par notre journal a montré que ce qui s’est passé dans la région de Nabeul était prévisible au vu des remparts naturels qui n’ont pas joué leur rôle et du réseau de conduites non adapté à la collecte des eaux pluviales. Conséquemment, la plupart des locaux et des habitations ont été inondés par des quantités de pluies exceptionnelles qui ont atteint presque 200 millimètres en quelques heures.
«Les risques climatiques rencontrés à Nabeul sont les suivants : chaleur extrême, froid extrême, précipitations extrêmes, inondations et élévation du niveau de la mer, périodes de sécheresse, tempêtes, glissements de terrain, feux de forêt», souligne le rapport issu du projet Clima-Med qui soutient la transition de huit pays partenaires du pays du voisinage sud vers un développement durable, à faible émission de carbone et résilient au climat, dont la Tunisie. «Les risques climatiques identifiés de niveau élevé sont en rapport avec les précipitations extrêmes, les inondations et l’élévation du niveau de la mer. Il est prévu une augmentation des épisodes de précipitations extrêmes, ce qui augmentera le risque d’inondations et de crues et réduira les espaces de temps entre ces épisodes».
A prendre en considération et avec beaucoup de sérieux d’autant que le gouvernorat ne disposait ni d’une étude de préfaisabilité ni d’un avant-projet sommaire établi par un bureau d’études privé désigné par le ministère de l’Équipement dans le cadre du projet national pour la protection des villes contre les inondations, selon la même source.