Entre la nécessité de mettre fin aux foyers d’épidémie de la rage par l’abattage de chiens et chats errants et le devoir de ne pas poursuivre indéfiniment cette stratégie jugée comme limitée et sans finalité réelle par certains vétérinaires, sensibles à la cause animale, le choix devient difficile et sujet à une certaine ambiguïté au point qu’on se trompe parfois d’objectifs et d’orientations…
Après la pandémie du Covid-19 qui a fait 30.000 victimes en Tunisie, la santé publique prend un nouveau coup. La réapparition suspectée des maladies transmissibles entre animaux ou de l’animal à l’homme comme la dermatose nodulaire contagieuse chez la vache et la variole du singe a suscité l’effroi de la population, si bien que le collectif des vétérinaires a tôt fait « d’éteindre le feu attisé » pour confirmer que la première n’est pas transmissible à l’homme et infirmer la seconde qui n’existe tout bonnement pas sous nos cieux.
Faut-il abattre ou vacciner ?
Mais celle qui prend de l’ampleur sans qu’on en mesure réellement les conséquences, c’est la maladie de la rage qu’on croyait totalement éradiquée. La menace persistante des chiens et chats errants, qui rodent dans les villes, s’amplifie en période de contamination. Dès lors, une nouvelle polémique sur le sort réservé aux bêtes qui prolifèrent dans les rues enfle et reprend de plus belle, suite à une griffure de chat et de nombreux cas de décès révélés. Et les neuf récents décès dus à la rage ont aggravé la situation.
Ces trois dernières années, la Tunisie connaît une résurgence des cas de décès par cette maladie contagieuse et source d’épidémie, enregistrant 5 cas en 2023 et 9 en 2024, alors que l’année n’est pas terminée et ce, selon Dr Kawther Hrabesh, coordinatrice du Programme de lutte contre la rage. «Le Programme national de lutte contre la rage (Pnlar) a pour principaux objectifs d’assurer un taux annuel maximal de couverture vaccinale dans la population canine, de réduire l’incidence de la rage animale et d’éliminer les cas de rage humaine, afin d’aboutir à long terme à l’éradication de la maladie», peut-on lire sur le site dédié : www.rage.tn. Elle dénonce les campagnes qui empêchent l’abattage des chiens errants porteurs du virus, ce qui ne fait que compliquer davantage la situation puisque la stérilisation des chiens errants coûte à l’Etat et au contribuable.
En Tunisie, la rage reste une préoccupation de santé publique, si bien que le gouvernement a décidé de renforcer les mesures de prévention y compris la vaccination des animaux domestiques et la sensibilisation de la communauté. On se demande alors ce qu’en pensent d’autres vétérinaires comme Dr Raoudha Mansour ou Dr Soumaya Chouk, retraitée de la municipalité de l’Ariana. Faut-il abattre les bêtes errantes et éradiquer les foyers de contamination suspects pour sauver les citoyens du danger qui pèse sur eux ou au contraire les laisser se démultiplier, en prônant d’autres alternatives même au risque d’en perdre le contrôle ?
Depuis des années, des associations luttent contre les abattages de chiens et appellent le gouvernement tunisien “à mettre un terme à ces tueries”, rappelle Dr Soumaya Chouk sur son compte facebook. Ceci sous le slogan « Stop Killing Dogs ». Dr Mansour, active dans la société civile pour la cause animale, a rappelé la nécessité de mener une stratégie nationale de stérilisation des chiens et chats errants, pour garder une image de pays protecteur des animaux. Cependant, beaucoup d’atermoiements ont animé les discussions entre les vétérinaires et les médias au point qu’on est dans une situation pénible où on aurait laissé les choses se faire, « sans prendre le taureau par les cornes » et agir avec des moyens plus conséquents comme l’existence d’un centre de stérilisation dans chaque gouvernorat et plus de campagne de vaccination des chiens et chats errants.
Un sujet qui divise
Les associations proposent d’autres alternatives comme les identifications ou encore la méthode TNR qui a permis d’octroyer un prix international au Docteur Soumaya Chouk. Dans la droite lignée de l’idéal associatif envers les animaux et ceux de Dr Chouk, les conclusions et les instructions de Dr Raoudha Mansour, sensible à la cause animale, suite aux derniers cas de décès de la rage, sont les suivantes : « Les citoyens sont responsables de leur sécurité en vaccinant leurs animaux et en ne les laissant pas dans la rue, sans vaccination. L’Etat est chargé d’intensifier le recrutement de vétérinaires et la vaccination, de mettre en œuvre des campagnes de sensibilisation et de fournir des refuges aux animaux. Tuer des animaux est une solution inutile, inhumaine et non environnementale».
Pendant ce temps, l’Etat tunisien paie le prix fort et doit trouver des parades pour mettre fin à ce fléau ou le neutraliser, bien au-delà de la sensibilisation à travers des médias superposés. Le doyen des vétérinaires, Ahmed Rejeb, a déclaré, tout récemment, dans une émission radio, que les chiens errants doivent être vaccinés contre la rage, pas seulement les chiens domestiques, soulignant que « l’abattage n’est pas la seule solution efficace à ce problème, mais elle peut être appliquée lorsqu’elle est absolument nécessaire», en particulier dans les zones endémiques. Rejeb a expliqué que « la rage se transmet d’un animal infecté à un humain par la morsure, le grattage et le léchage », notant que la personne qui a été exposée à l’infection doit se rendre au centre le plus proche pour recevoir les vaccins nécessaires. Il a appelé à «maintenir la propreté de l’environnement, afin de limiter la propagation de l’épidémie, en plus de surveiller les chiens errants », soulignant que «chacun doit en assumer la responsabilité».
De toute évidence, des actions doivent être entreprises. Dr Raoudha Mansour recommande de créer une loi pour la réglementation du commerce des animaux au souk Moncef Bey. Il faut penser également à amender celle pour les animaleries qui sont des commerces réglementés.
Un arsenal juridique dans la gestion des animaux en Tunisie par leurs propriétaires devient indispensable pour les responsabiliser davantage. Parce qu’entretemps, on voit même des caniches et d’autres races de chiens et chats domestiques se balader dans la nature et en pleine rue, perdus ou abandonnés par leurs propriétaires. Il est grand temps d’agir et de sévir. Entre la protection de ces bêtes errantes et la prévention des humains, l’on se trouve face à un dilemme cornélien.