Bilan des festivals d’été 2024 : Entre sold out et difficultés

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Après la clôture des différents festivals d’été, on peut dire que cette année s’annonce celle des records en sold out. Bien que les chiffres officiels des fréquentations n’aient pas été communiqués par les organisateurs, la couverture médiatique de l’été s’est réjouie des longues files à l’entrée et des théâtres archicombles. Cependant, une lecture plus nuancée est nécessaire, surtout que le fossé entre les quelques grands festivals et les autres s’agrandit. Le contexte général et l’avenir s’annoncent plus complexes.

Le secteur culturel est aujourd’hui confronté, d’une manière générale, à une inflation extrêmement forte. Cet été, nous soulignons un record de fréquentations d’après les photos des milliers de spectateurs enthousiasmés qui suscitent l’espoir et les spéculations. Beaucoup de concerts affichent complet. Pourtant, les organisateurs tirent tous la sonnette d’alarme face aux augmentations des coûts de production difficilement surmontables. Les charges ont explosé en raison des salaires, des cachets artistiques des têtes d’affiche, des frais de déplacements, hôtellerie et restauration… D’ailleurs, les organisateurs du Festival international de musique symphonique d’El Jem nous ont confié toute la difficulté qu’ils ont à gérer les frais d’accueil des orchestres symphoniques dont les musiciens dépassent parfois la centaine.

Le maintien de l’équilibre entre l’accessibilité de ces événements et leur rentabilité financière s’avère complexe. Le Festival international de Carthage a dû opter pour la réduction du nombre de soirées, passant de  33 spectacles en 2022 et 31 en 2023 à 18 seulement en 2024.

Avec les cachets artistiques en pleine explosion, les prix des billets ont connu une hausse sans précédent, notamment pour les stars n’étant plus venues depuis plusieurs années. Ces retrouvailles sont payées au Festival international de Carthage à 90 D pour les gradins et 150 D aux chaises.

Même si les mécènes et les sponsors ont été très présents cette année, comme d’habitude, et ont notamment permis d’éviter une hausse encore plus substantielle du prix du billet, les événements déplorent des financements publics en berne, qui ne leur permettent pas d’être soutenus pour leur fonctionnement, avec toutefois une très grande diversité selon les événements.

Une orientation semble se dessiner

Pour supporter ces coûts, la marge de manœuvre principale est la réduction du budget artistique, ce qui détermine la qualité de programmation. Concernant les concerts de musique actuelle, il y a eu un grand attrait pour les «mélodies orientales» comme genre musical. Les pages officielles des festivals de Carthage et de Hammamet ont affiché complet dès les premiers jours d’ouverture de la billetterie.

L’achat de places en dernière minute au marché noir, à des sommes très élevées, est devenu une pratique plus fréquente. Il s’est avéré très clair que les chaleurs extrêmes n’ont pas démobilisé le public qui a fait la queue plus de quatre heures avant le début du concert. Concernant nos stars nationales, elles sont bien ancrées et les mêmes noms qui ont déjà passé par les grands événements s’emparent cette année des festivals des régions. Pas certain que la carte du festival dans une ville soit différente de  chez ses voisins. Mortadha Ftiti, Raouf Maher ou encore Noordoo multiplient les soirées, au grand bonheur de leurs adorateurs. Les vidéos pullulent sur la Toile, reprenant les meilleures séquences tournées durant les concerts pour montrer les plus beaux moments et l’ambiance, de quoi susciter la nostalgie auprès des festivaliers et faire grandir leur impatience pour la prochaine rencontre. Une orientation semble également se dessiner d’année en année pour le Rap tunisien. Les rappeurs qui sont raillés pour les paroles obscènes de leurs chansons, pour leurs tenues et parfois leur comportement sur scène  ont fait salles pleines, au grand dam des défenseurs du bon goût. En contrepartie, les spectacles de théâtre et de musique symphonique sont accusés de cibler une minorité élitiste, malgré l’effort des organisateurs pour fidéliser leurs visiteurs et recruter de nouveaux festivaliers pour les prochaines éditions. De nombreux festivals dans les régions ont affirmé, cette année encore, une volonté de renouveau et de mise en avant de nouveaux talents. Ils se sont tournés  davantage vers la découverte musicale en proposant des artistes locaux en première partie de grands noms nationaux. Une véritable valeur ajoutée dans leur expérience et qui semble plus que jamais fonctionner.

Des incidents et des anomalies d’organisation

Même s’il reste difficile de comparer des événements par essence incomparables, faute de moyens et d’expérience, on constate d’ores et déjà que des festivals s’en sortent plutôt bien avec des taux de remplissage élevés, une offre très abondante et des recettes conséquentes alors que d’autres ont du mal à trouver une stabilité de fréquentation et ne semblent pas générer un grand enthousiasme auprès de leur public.

Le théâtre antique Cillium de Kasserine a abrité cette année la 43e édition du Festival international de Kasserine, avec le violoniste international Zied Zouari et la Palestinienne Rola Azar pour l’ouverture.

Quelques centaines de spectateurs ont été présents et les deux artistes au talent indéniable ont joué devant un théâtre presque vide. Les journalistes locaux ont dénoncé des problèmes d’organisation, de médiatisation et surtout de mise en vente des billets, comme le programme du festival n’a été annoncé que la veille du spectacle. Face à la désertion du théâtre, pour se rattraper, les organisateurs sont allés jusqu’à mettre des numéros privés de livraison des billets qui sont proposés à cinq dinars seulement. Sans confronter les grands habitués à de nouveaux prétendants, le Festival des jeunes, dans la même ville, qui est à sa 6e édition cette année, est apparu dans un contexte où ceux qui ont de l’expérience sont déjà dans la peine, côté budget et organisation, et a réussi à s’imposer avec un grand succès.

A Dogga, des aléas extérieurs ont joué sur la présence des publics, notamment l’éloignement géographique et la météo capricieuse. En contrepartie, la réussite du festival a attiré de nouveaux enjeux et des difficultés.

Pour le concert de Cairokee,  qui a accueilli le plus grand nombre de festivaliers, on a refusé des gens qui ont payé leur laisser-passer. Une réflexion sur la capacité d’accueil est à faire parce que cette situation pourrait se reproduire.

D’autres incidents sont retenus cet été en rapport avec des événements de violence au Festival international de Bizerte où des jets de bouteilles d’eau et des  paroles haineuses ont obligé le public à quitter et le rappeur à interrompre son concert. En somme, pour les festivals, qui sont  des acteurs majeurs du développement, les difficultés sont  hétérogènes d’une manifestation à une autre et d’une édition à une autre. Loin de baisser les bras, les festivals des régions tentent, en fonction de leur territoire, de leur projet et de leur histoire, d’explorer de nouvelles voies. Malgré l’offre «surabondante», nombreux sont les événements qui doivent être  mieux préparés et mieux formés par rapport à leur budget prévisionnel. C’est aussi ça la force de notre pays : une offre riche, diversifiée, qui laisse le choix aux spectateurs même si une bonne fréquentation ne signifie pas un modèle à l’équilibre.

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