La campagne électorale se déroule dans de bonnes conditions à quelques jours du scrutin, le 6 octobre prochain. La Presse a contacté des citoyens lambda et des partisans des candidats en lice, afin de recueillir leurs impressions et leurs témoignages concernant le déroulement de la campagne avant la dernière ligne droite.
L’élection présidentielle tunisienne de 2014 a été la première élection présidentielle au suffrage universel, libre et démocratique du pays, après un simulacre d’élection en 2011 applaudi et accueilli favorablement notamment à l’étranger. Les observateurs de tous bords ont fermé les yeux alors sur les flagrants dépassements pour ne pas perturber une «démocratie naissante dans le monde arabe». S’il est vrai que les infractions commises n’avaient rien de comparable avec la fraude électorale qui a marqué l’ère du président déchu Ben Ali, il n’en demeure pas moins vrai que les écarts enregistrés depuis 2011 auraient dû être suivis d’une application stricte de la loi électorale. Le financement douteux des campagnes électorales et le trafic de parrainages en faveur de certains candidats et données personnelles utilisées à l’insu des personnes concernées sont malheureusement passés sous silence, lors de l’élection de 2019. En cause, la mainmise de certains partis politiques influents. Mais, on dit bien que le passé éclaire le présent.
Retour sur un passé électoral entaché d’irrégularités
Pour nous rafraichir la mémoire, il est bien utile de rappeler que dans sa déclaration préliminaire relative à la présidentielle, datant du 17 septembre 2019, la Mission d’observation électorale de l’Union européenne-Tunisie avait pointé « une mobilisation citoyenne en recul», et souligné que «la campagne électorale a été pluraliste, mais n’a pas entièrement assuré l’égalité des chances de tous les candidats». Quant au financement de la campagne présidentielle, elle a fait savoir qu’en dépit d’un cadre juridique approprié et des efforts évidents, «le contrôle reste inefficace et ne permet pas de garantir la transparence du financement». Tout a été dit en quelques observations. En effet, ces élections n’ont pas respecté les critères de l’intégrité, la transparence et l’égalité des chances.
A cette époque, ni l’Isie, ni les missions d’observation électorale déployées par l’Union européenne et d’autres pays étrangers, ni même la Cour des comptes n’étaient en mesure d’intervenir à temps et de mettre un terme aux infractions électorales enregistrées de 2011 à 2019. C’est là une vérité de La Palice que seuls ceux qui ont pu tirer profit du pouvoir ont tendance à nier. Par ailleurs, la Mission d’observation électorale de l’UE a mis en relief une donnée importante et objective selon laquelle la loi électorale à cette époque ne permettait pas d’arbitrer dans les litiges électoraux de manière urgente. «La prise de décision par l’Isie et par la Cour des comptes, chargées du contrôle, ainsi que les recours éventuels suivent les procédures contentieuses ordinaires qui peuvent prendre des mois, voire des années. Le contentieux lié au financement des campagnes de 2014 et 2018 est toujours en cours», lit-on dans sa déclaration préliminaire en date du 17 septembre 2019.
La réforme inéluctable de la loi électorale
Et c’est dans le souci de rendre le cadre juridique électoral plus efficace que d’importants changements ont accompagné la réforme électorale en 2022. Le rapport de la Cour des comptes relatif à la présidentielle anticipée de 2019 et aux élections législatives qui avait dévoilé de graves irrégularités en matière de financement en particulier, a considérablement contribué à accélérer la mise en œuvre de la réforme. D’autant que certains candidats à la présidentielle et des dirigeants de partis politiques en cette période n’avaient pas hésité à recourir à des cabinets de lobbying à l’étranger sans qu’ils soient inquiétés ou poursuivis en justice, du moins avant la dissolution de l’ARP en mars 2022.
La collusion entre le monde des affaires et celui de la politique a considérablement pesé sur les enjeux électoraux sur fond de désolantes velléités d’ingérence étrangère, et a envenimé la sphère politique de manière que le citoyen lambda, dont la situation socioéconomique n’a fait que se détériorer au fil des années, a fini par se détourner des élections. On comprend donc, aujourd’hui, pourquoi l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) fait preuve de grande fermeté dans l’application de la nouvelle loi électorale, quoique d’autres voix qui s’élèvent dans le pays n’y voient pas là un bon signe pour les libertés et la démocratie.
Les avis divergent
«Plus la loi est ferme, moins les candidats sont nombreux et plus la campagne électorale est fade d’autant que le plafond global des dépenses de la campagne électorale pour la présidentielle 2024, ainsi que le plafond du financement privé sont soumis à des conditions draconiennes», nous ont fait savoir certains observateurs. «En dépit de tout cela, aller voter reste un devoir. Certes, ce n’est pas une obligation, mais il est toujours important d’aller voter et d’exprimer sa voix. Ceci pourtant n’apportera rien et ne changera pas la situation», nous fait part Samir.O, haut cadre d’une banque privée.
Selon d’autres citoyens, la campagne en cours est «spéciale» à plus d’un titre, notamment en raison de la participation de trois candidats. Sans oublier le fait que l’un de ces candidats est toujours derrière les barreaux. Elle est aussi spéciale en raison d’un manque de visibilité des candidats, ce qui risquerait d’impacter considérablement le taux de participation. Il n’en est pas de même pour d’autres citoyens qui sont fermement décidés à exercer leur droit de vote, le 06 octobre prochain. Ces derniers refusent le retour des campagnes électorales à leur ancienne version. «Le tapage publicitaire est révolu et ne sert pratiquement plus à rien. Pour gagner, il faut avoir une assise populaire», rétorque Abdelwahed, professeur de français à la retraite.
Les partisans des candidats s’expriment
Le plafond global des dépenses de la campagne électorale présidentielle pour chaque tour et au profit de chaque candidat dont la candidature est définitivement retenue pour l’élection présidentielle, a été fixé à 150 mille dinars pour le premier tour, et 100 mille dinars pour le second tour. «C’est très peu pour mener une campagne présidentielle dans les meilleures conditions», souligne à La Presse Moncef Bouazizi, membre du bureau politique du mouvement Echaâb et de la campagne électorale du candidat Zouhaïr Maghzaoui.
«Comme la loi électorale nous interdit aussi de mener notre campagne sur les réseaux sociaux, il est bien difficile de faire parvenir notre voix aux citoyens». Bouazizi ajoute que malgré les conditions difficiles, la campagne de leur candidat progresse, comme en témoignent les visites effectuées dans plusieurs régions».
L’avocat Mahmoud Mabrouk, partisan du candidat Kaïes Saïed, nous déclare, pour sa part, que la campagne électorale a été faible à ses débuts, puisqu’elle a coïncidé avec la rentrée scolaire et la fête du Mouled, mais son rythme s’est accéléré ces derniers jours, avec les activités organisées dans les régions au profit de leur candidat.
Mettre fin au financement occulte
En ce qui concerne le plafond global des dépenses de la campagne électorale présidentielle jugé insuffisant par certains observateurs, l’avocat en question explique que cette décision vise essentiellement à assurer l’égalité des chances pour tous les candidats et à mettre fin au financement occulte.
On rappelle que le troisième candidat Ayachi Zemmal est toujours en état de détention pour soupçons de falsifications de parrainages. L’Isie considère toutefois que les condamnations prononcées à son encontre, n’affectent pas sa participation au processus électoral. «La présence physique du candidat dans ces cas est nécessaire» a expliqué le vice-président de l’Isie, Mohamed Naoufel Frikha.
Pour rappel, le taux de participation générale du corps électoral pour la Constituante avait atteint 51,97 %, alors qu’en 2014 la présidentielle a atteint un taux de participation de 60,09% et les législatives 68,36%. Lors des élections municipales en 2018, le taux de participation a été relativement faible avec 35,65%, alors qu’en 2019, il a atteint 41,70% pour les législatives et 56,80% pour la présidentielle anticipée.
Le nombre d’électeurs inscrits sur le registre électoral en Tunisie a atteint environ 9,7 millions jusqu’à samedi dernier, selon l’Isie. Ce sont les électeurs âgés de 36 à 60 ans qui se positionnent en tête avec 47,2%, suivis des électeurs de moins de 35 ans alors que les électeurs de plus de 60 ans viennent en dernière position avec 20,6%.