Le modèle de développement en Tunisie : Un besoin pressant de renouveau

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Depuis des décennies, le modèle de développement, basé sur des fondements hérités de l’après-indépendance, peine à répondre aux attentes d’une société en pleine mutation. La persistance des inégalités, l’immobilisme administratif et la dépendance à des secteurs économiques traditionnels montrent qu’il est temps pour la Tunisie de tourner la page et de bâtir un modèle plus inclusif, résilient et adapté aux défis contemporains.

La récente déclaration du Président de la République, lors de sa rencontre avec le Chef du gouvernement, souligne un constat qui, bien que largement partagé, reste encore à concrétiser : le modèle de développement tunisien est obsolète et ne répond plus aux exigences actuelles. 

En effet, depuis longtemps, les discours sur la nécessité d’un nouveau modèle se multiplient, mais les actions concrètes pour y parvenir sont rares. Dans ce contexte, un examen approfondi de ce modèle dépassé et la formulation de propositions pour un avenir plus adapté s’imposent. 

Un modèle de développement à bout de souffle

Le modèle de développement tunisien actuel repose sur des bases qui datent de plusieurs décennies. Initialement conçu dans une période postindépendance, il visait à moderniser l’économie, à créer des infrastructures et à améliorer les conditions de vie des citoyens. Cependant, à l’heure actuelle, ce modèle montre des signes évidents de faiblesse.Le premier écueil majeur est l’accroissement des disparités économiques et sociales. Bien que la Tunisie ait connu une croissance notable dans les années passées, celle-ci n’a pas été inclusive. Les zones côtières ont bénéficié de plus d’investissements, tandis que les régions intérieures, comme celles de l’ouest et du sud du pays, demeurent marginalisées. Cette répartition inégale des richesses a alimenté un sentiment d’injustice et d’exclusion parmi une grande partie de la population, accentuant les tensions sociales.

Un autre problème est la dépendance excessive aux secteurs traditionnels, notamment l’agriculture et le tourisme. Alors que ces secteurs demeurent cruciaux, ils ne sont plus suffisants pour soutenir une économie dynamique dans un monde de plus en plus globalisé et technologique. Le secteur agricole souffre des effets du changement climatique, et le tourisme, bien qu’il ait des perspectives prometteuses, reste volatil en raison des crises politiques et sécuritaires.

Finalement et non moins important, la bureaucratie lourde et les lois désuètes, telles que celles relatives aux marchés publics, freinent la mise en œuvre de projets stratégiques. Le président Saïed l’a, lui-même, souligné en déclarant que des «dizaines de milliers de milliards ont été alloués à des projets dont les travaux n’ont jamais vu le jour». Cette inefficacité administrative nuit non seulement à l’économie, mais mine, également, la confiance des citoyens et des investisseurs.

Les lacunes du cadre législatif et institutionnel

Le cadre législatif en vigueur, notamment en ce qui concerne la gestion des marchés publics et la réalisation de grands projets stratégiques, constitue une entrave majeure. Les lourdeurs administratives, les retards dans l’exécution des projets et les pratiques de corruption sont autant de facteurs qui ont non seulement retardé, mais parfois compromis des initiatives d’envergure nationale. En examinant ce contexte, il est évident que la Tunisie a besoin d’un cadre juridique plus flexible et transparent, à l’image des réformes réussies dans d’autres pays en développement.

Ceci est encore vrai à l’heure où la législation actuelle ne permet pas de réagir efficacement aux défis contemporains, comme la transition numérique ou l’économie verte. Par conséquent, les grandes orientations du développement, telles qu’elles sont discutées actuellement, devraient inclure une révision en profondeur du cadre législatif et institutionnel afin de faciliter l’innovation, l’entrepreneuriat et l’investissement.

Les axes d’un nouveau modèle de développement

Le constat est donc clair : la Tunisie doit impérativement repenser son modèle de développement pour répondre aux défis actuels. Face aux profondes inégalités régionales et à une économie en stagnation, un nouveau cap semble inévitable. Ce changement tant attendu, souvent évoqué par les autorités et les experts, devrait reposer sur plusieurs axes stratégiques, visant à moderniser le pays et à assurer une croissance durable et inclusive.

L’un des premiers piliers de cette transformation repose sur l’inclusion régionale et sociale. Il est essentiel que le développement profite à toutes les régions, sans exception. Les zones rurales et marginalisées, longtemps négligées, doivent être intégrées dans les grandes dynamiques économiques nationales. La mise en place de politiques incitatives, favorisant les investissements dans ces régions, est indispensable pour créer de nouvelles opportunités et réduire les disparités qui menacent la cohésion sociale. Le renforcement des infrastructures, notamment les routes, les réseaux de télécommunications et les services publics, constituerait une étape clé pour faciliter leur développement et attirer des projets économiques viables.

Par ailleurs, la transition numérique est un autre axe fondamental pour propulser la Tunisie vers un avenir plus compétitif. Dans un contexte mondial, de plus en plus tourné vers la digitalisation, il devient impératif pour le pays de saisir cette opportunité et de l’adapter à ses besoins. Cela passe par le développement des compétences technologiques de la jeunesse tunisienne, qui doit être équipée pour répondre aux exigences d’un marché du travail en pleine mutation. En outre, la création d’écosystèmes propices aux startup et aux entreprises innovantes est cruciale pour stimuler la créativité et l’innovation, des moteurs essentiels de la croissance économique moderne. L’administration publique, quant à elle, se doit d’adopter des politiques favorisant la digitalisation, tant au niveau des services publics que des entreprises privées, afin de gagner en efficacité et en transparence.

Dans le même ordre d’idées, l’économie verte représente une priorité incontournable pour un développement durable. La Tunisie, vulnérable aux effets du changement climatique, doit urgemment repenser sa gestion des ressources naturelles. La transition vers les énergies renouvelables et l’adoption de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement offrent non seulement des solutions à long terme pour la préservation des ressources, mais créent également des opportunités économiques innovantes. En investissant dans l’économie verte, le pays pourrait non seulement réduire son empreinte écologique, mais aussi se positionner comme un acteur régional pionnier dans la lutte contre le réchauffement climatique.

La réforme de l’éducation et de la formation s’impose, également, comme un chantier prioritaire pour garantir la réussite de cette transition. Le système éducatif actuel, bien qu’ayant formé des générations compétentes, ne parvient plus à suivre les besoins d’un marché du travail en rapide évolution. Les compétences du XXIe siècle, telles que la maîtrise des outils technologiques et les soft skills, doivent être au cœur des programmes de formation. En outre, il est indispensable de promouvoir l’apprentissage tout au long de la vie, afin que les citoyens puissent constamment s’adapter aux nouvelles exigences professionnelles et aux innovations du marché.

L’autre paire de manches est la modernisation de l’administration publique qui constitue une étape cruciale pour soutenir cette transformation économique et sociale. La numérisation des services publics, associée à une simplification des procédures administratives, permettrait non seulement de faciliter l’accès aux services pour les citoyens et les entreprises, mais aussi de créer un environnement plus favorable à l’investissement. Un tel changement réduirait les lourdeurs bureaucratiques qui freinent le développement, tout en renforçant la transparence et en luttant plus efficacement contre la corruption, un fléau qui mine la confiance des citoyens et des investisseurs.

Une transition nécessaire, mais complexe

Il faut dire que le passage à un nouveau modèle de développement en Tunisie ne se fera pas sans difficulté. La résistance au changement, notamment au sein de certaines élites politiques et économiques, est un obstacle majeur. De plus, la situation économique actuelle du pays, marquée par des déficits budgétaires importants et une dette extérieure croissante, complique la mise en œuvre des réformes nécessaires.

Cependant, il est crucial que les dirigeants actuels prennent des mesures audacieuses et visionnaires pour initier cette transition. Le Document des grandes orientations du développement, évoqué par le président Kaïs Saïed, représente une opportunité pour poser les bases de ce renouveau. Il ne suffit plus de parler d’un nouveau modèle, il est temps de le construire et de le mettre en œuvre. Et donc, la Tunisie se trouve à un carrefour décisif. D’un côté, le modèle de développement actuel, qui a montré ses limites, doit être repensé pour répondre aux défis du XXIe siècle. De l’autre côté, les grands axes d’un nouveau modèle devraient inclure une inclusion sociale et régionale, la transition numérique, l’économie verte, la réforme de l’éducation et la modernisation de l’administration. Ces orientations, bien que complexes à mettre en œuvre, sont essentielles pour construire une Tunisie plus juste, prospère et tournée vers l’avenir. Le moment est venu d’agir.

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