Par Hanen Khanchel-Lakhoua
L’orientation scolaire et professionnelle en Tunisie constitue un enjeu majeur, au regard des graves conséquences sociales et économiques liées à un taux de chômage de 41 % et à un décrochage scolaire affectant chaque année 100.000 jeunes. Dans ce contexte préoccupant, la formation professionnelle apparaît comme une solution prometteuse pour améliorer l’employabilité et combler le fossé entre l’offre et la demande d’emploi. En développant des compétences pratiques et spécialisées, elle prépare les apprenants à répondre aux besoins des entreprises, notamment dans des secteurs stratégiques tels que le tourisme, où la demande de main-d’œuvre qualifiée ne cesse de croître.
Le secteur touristique : un moteur d’insertion professionnelle contrasté
Le tourisme, véritable moteur de l’économie tunisienne, génère 14,2 % du PIB et emploie près de 389.000 personnes, dont 98.000 en CDI. Ce secteur dynamique offre un large éventail de métiers et de perspectives d’emploi, notamment dans l’hôtellerie, la restauration et l’animation. Cependant, la saisonnalité demeure un défi majeur. Pour y remédier, les formations professionnelles doivent évoluer en s’adaptant aux besoins constants du marché et en développant des compétences polyvalentes. Les politiques publiques, en favorisant l’alternance et en soutenant l’innovation, peuvent contribuer à renforcer l’attractivité de ces formations et à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes. En investissant dans la formation et en misant sur le développement de produits touristiques innovants, la Tunisie pourra consolider sa position sur le marché international et assurer un avenir durable à ce secteur clé de son économie. Dans le cadre d’une recherche académique visant à analyser les enjeux de la formation professionnelle dans le secteur touristique, nous avons pu recueillir des témoignages révélateurs qui illustrent la diversité des parcours rendus possibles grâce à la formation dans le secteur de l’hôtellerie. Ces expériences, partagées par de jeunes professionnels, mettent en lumière les multiples facettes de cette filière en tant que voie d’épanouissement. Certains ont pu développer des compétences linguistiques et relationnelles, tandis que d’autres ont gravi les échelons avec détermination, prouvant que la formation professionnelle peut être un véritable tremplin vers la réussite. Elle offre un environnement stimulant qui permet de concrétiser les aspirations de chacun. Les témoignages recueillis montrent que la formation, en proposant des expériences concrètes et un accompagnement individualisé, permet non seulement de développer des compétences, mais aussi de renforcer la confiance en soi, offrant ainsi un parcours professionnel enrichissant. Ces jeunes, issus d’horizons divers, ont su saisir les opportunités offertes par le secteur pour façonner leur avenir. Leurs trajectoires illustrent la richesse et la variété des métiers de l’hôtellerie, bien au-delà des idées reçues.
Un choix rationnel face à des normes sociales changeantes
Le recours à la formation professionnelle, souvent perçu comme moins valorisé que les études supérieures, est fréquemment considéré comme une voie de repli après un échec ou un décrochage scolaire. Cependant, pour de nombreux jeunes, ce choix peut résulter d’une réflexion approfondie et d’une approche rationnelle. Guidés par une vision prospective, ils s’orientent vers des parcours adaptés à leurs ambitions et compétences. En Tunisie, une prise de conscience croissante se manifeste chez les jeunes quant à l’importance d’acquérir des compétences pratiques et professionnelles dès le début de leur parcours, sans exclure la possibilité d’intégrer ultérieurement des études supérieures. Ce choix ne reflète pas un manque d’ambition, mais plutôt une rationalité spécifique, souvent façonnée par l’environnement social d’origine. Comme l’a souligné le sociologue Pierre Bourdieu, les trajectoires éducatives et professionnelles s’inscrivent souvent dans des logiques de reproduction sociale, influencées par les différents capitaux – qu’ils soient sociaux, culturels, économiques ou symboliques – hérités au sein des familles. Néanmoins, malgré l’influence indéniable de l’héritage social qui exerce une influence sur les trajectoires individuelles, ces jeunes disposent d’une marge de manœuvre pour construire leur propre parcours. Cette autonomie peut être renforcée par un accompagnement adéquat qui les aide à développer leurs compétences, à explorer de nouvelles opportunités et à faire des choix éclairés. En accédant aux ressources et aux outils nécessaires, ils sont en mesure de s’épanouir personnellement tout en contribuant à l’édification d’une société plus équitable et inclusive.
Des enjeux collectifs et des défis à relever
Bien que la formation professionnelle offre des opportunités individuelles attractives, elle soulève des questions collectives qui dépassent les enjeux personnels. Une orientation massive vers cette voie, au détriment des études supérieures, pourrait déséquilibrer le marché du travail en concentrant les compétences dans des domaines techniques spécifiques et en affaiblissant la capacité d’innovation, essentielle pour la croissance économique et le progrès sociétal. Les universités jouent un rôle central dans la production et la diffusion des connaissances, ainsi que dans la formation des élites. Ces dernières ne se contentent pas de reproduire des savoirs techniques, mais façonnent également une réflexion critique nécessaire à l’innovation technologique, sociale et culturelle. Toutefois, l’idée d’une opposition rigide entre formation professionnelle et études supérieures est simpliste et inadaptée aux réalités contemporaines. Il est essentiel de dépasser cette vision binaire et de promouvoir une complémentarité entre les deux. L’enjeu principal réside dans l’établissement d’une culture de l’apprentissage continu, permettant aux individus de se former et de se reconvertir tout au long de leur vie professionnelle. Le monde du travail évolue rapidement sous l’effet de la mondialisation et des avancées technologiques, rendant indispensable la capacité de s’adapter à de nouveaux métiers et de nouvelles compétences. Pour répondre aux enjeux d’une économie en constante évolution, il est impératif de renforcer les liens entre le monde de la formation et celui de l’entreprise. Le développement de réseaux de formations professionnelles de haute qualité, en étroite collaboration avec les secteurs clés de l’économie, est indispensable. Ces partenariats doivent permettre d’adapter les cursus aux besoins réels du marché du travail, en tenant compte des spécificités régionales. Par ailleurs, il est essentiel de favoriser la fluidité des parcours, en offrant des passerelles entre les formations professionnelles et les études supérieures. Cette complémentarité entre les voies professionnelles et académiques est essentielle pour former des individus polyvalents et qualifiés, capables de s’adapter aux mutations constantes du monde du travail. Par conséquent, une politique d’éducation intégrée qui relie les études académiques aux formations professionnelles, tout en valorisant les deux parcours, contribuera à la création d’un capital humain prêt à relever les défis du futur.
H. Kh.L
(Docteur, HDR en sciences de gestion Maître-assistante à l’IHEC Carthage)