Le PLF 2025 alimente toujours les débats. Si les mesures à caractère social font l’unanimité des spécialistes, les mesures fiscales, quant à elles, font grincer les dents de certains experts et entreprises qui crient à l’injustice fiscale. Skander Sellami, conseiller fiscal, apporte son éclairage.
Le PLF 2025 a introduit de nouvelles mesures fiscales, notamment l’instauration d’un impôt sur le chiffre d’affaires des entreprises. Ce modèle est-il déjà pratiqué dans d’autres pays?
Il ne s’agit pas d’un impôt sur le chiffre d’affaires mais plutôt un impôt sur les sociétés avec des taux qui varient en fonction du chiffre d’affaires. Ce type de dispositif est peu courant à l’échelle internationale, car la plupart des pays appliquent des taux d’imposition fondés sur les bénéfices plutôt que sur le volume d’activité. Le cas le plus proche de ce qui est prévu par le PLF 2025 est celui du Maroc, dont le système fiscal prévoit uniquement trois taux d’impôt sur les sociétés en fonction du chiffre d’affaires. Le premier est égal à 10% pour les entreprises avec un chiffre d’affaires inférieur à 300.000 Dirham. Un deuxième taux à 20 % pour les entreprises dont le chiffre d’affaires se situe entre 300.001 Dirham et 1.000.000 Dirham et un troisième taux de 31% pour les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires au-delà de 1.000.000 Dirham.
Ces barèmes ont pour objectif de réduire la charge fiscale des très petites entreprises (TPE), en leur appliquant des taux réduits, afin de les encourager à se formaliser et à se développer. Ce type de différenciation fiscale vise également à faciliter la transition vers une économie plus structurée en allégeant les contraintes pesant sur les petites structures.
Est-ce que le barème proposé respecte le principe de la progressivité?
Il est à rappeler que l’impôt progressif sur les sociétés est un type de régime fiscal où le taux d’imposition augmente à mesure que les bénéfices de l’entreprise augmentent.
Contrairement à un impôt proportionnel (où le taux est fixe quel que soit le niveau de bénéfice), l’impôt progressif repose sur une série de tranches de bénéfices où chacune est soumise à un taux croissant. Le projet de loi de finances 2025, bien qu’il prétende instaurer un impôt progressif, s’écarte de la définition classique de la progressivité fiscale. En effet, il propose d’augmenter les taux de l’impôt sur les sociétés en fonction du chiffre d’affaires, et non en fonction des bénéfices imposables. Or, dans un cadre fiscal traditionnel, la progressivité repose sur la capacité contributive des entreprises, mesurée par leurs bénéfices nets après déduction des charges.
Quel impact économique et financier aura cette mesure sur les entreprises installées en Tunisie?
En se fondant exclusivement sur le chiffre d’affaires, cette mesure risque de pénaliser les entreprises à forte activité mais à faible rentabilité, sans tenir compte de leur situation financière réelle. Elle engendre ainsi une distorsion par rapport au principe d’équité fiscale, qui exige que l’impôt soit proportionnel à la capacité contributive de l’entreprise, mesurée par ses bénéfices. En alourdissant la charge fiscale d’entreprises aux marges réduites, malgré un chiffre d’affaires élevé, ce dispositif pourrait fragiliser encore davantage celles déjà en difficulté, en ignorant leur capacité effective à générer des profits.
Certains experts pointent du doigt une instabilité fiscale qui risque de faire fuir les entreprises?
En plus de cette mesure, la législation fiscale tunisienne maintient différents taux d’imposition selon la nature des activités exercées. Cette coexistence entre des régimes spécifiques et une imposition fondée sur le chiffre d’affaires risque de générer des confusions et d’accroître la complexité du système fiscal tunisien.
Les entreprises devront composer avec plusieurs critères d’imposition — chiffre d’affaires, secteur d’activité et régimes particuliers — ce qui compliquera la gestion fiscale et augmentera les risques d’erreurs. Cette complexité accrue pourrait également avoir un impact négatif sur les décisions d’investissement. Les investisseurs, confrontés à une fiscalité difficile à anticiper, pourraient être réticents à investir en raison de l’incertitude entourant la charge fiscale future. Les PME, en particulier, risquent d’être davantage exposées aux contrôles et litiges avec l’administration fiscale, ce qui pourrait non seulement augmenter leurs coûts de conformité mais aussi les dissuader de se développer. En conséquence, cette instabilité fiscale pourrait freiner l’attractivité du pays pour les investissements nationaux et étrangers, nuisant ainsi à la croissance économique.
Que pensez-vous des nouvelles mesures, en l’occurrence l’augmentation du taux d’imposition à 40% pour les salaires de plus de 50 mille dinars et la création de deux nouveaux paliers?
Il est important de préciser que l’augmentation du taux de l’impôt sur le revenu ne concerne pas uniquement les salariés, mais toutes les personnes physiques, quelle que soit la nature de leurs revenus. Cette révision affecte également la tranche de revenus située entre 40.000 et 50.000 dinars, désormais soumise à un taux de 36 % au lieu de 32 %. Pour la tranche supérieure à 50.000 dinars, le taux passe de 35 % à 40 %. En conséquence, l’impôt effectif augmentera pour les contribuables dont le revenu imposable atteint ou dépasse 50.000 dinars. En revanche, l’aménagement du barème de l’impôt sur le revenu allégera la charge fiscale pour les personnes dont le revenu imposable est inférieur à 40.000 dinars, entraînant une hausse de leur revenu net.
L’administration fiscale, à l’origine de ce projet, considère toujours qu’un revenu de 50.000 dinars est un revenu élevé, justifiant ainsi une augmentation de 5 % du taux d’imposition applicable à cette tranche. Toutefois, l’inflation et les pressions sur le pouvoir d’achat des citoyens, combinées à la dégradation des services publics comme la santé et l’éducation, accroissent les difficultés financières des ménages. Dans ce contexte, il devient nécessaire de réévaluer la pertinence des seuils d’imposition. La conjoncture économique mondiale et nationale, marquée par une érosion du pouvoir d’achat, devrait amener les autorités à réfléchir à un ajustement des tranches de revenus soumises aux nouveaux taux. Une approche plus équilibrée permettrait de limiter les pressions fiscales sur les classes moyennes et d’améliorer l’équité du système sans compromettre la consommation et la croissance économique.