Il porte un nom bizarre, comme ceux qu’on peut porter au tréfonds de l’ancienne Perse. Imprononçable. Il m’a été recommandé par un ami pour lui faire découvrir ce qu’il reste de la très prestigieuse cité de Carthage, car il est épris de l’histoire des cités antiques et … de leur alimentation en eau. Le rapport entre Carthage et l’eau ? Les très fameuses et pourtant peu connues du grand public citernes de la Maâlaga, terminal du grand ouvrage hydraulique de l’antiquité romaine dont le visiteur avait découvert le point de départ lors d’un séjour précédent, au temple des Eaux, à Zaghouan, et le premier tronçon de l’aqueduc qui, des siècles durant, avait acheminé le précieux liquide jusqu’à la métropole antique puis jusqu’à Tunis lorsque cette ville est devenue capitale, sous les Hafsides.
Comment susciter l’intérêt et retenir l’attention
le temps que la perception des choses dépasse leur apparence souvent proche de la parodie ?
J’étais ravi de la mission que m’a confiée mon ami. Car, je vous le confie, à chaque fois que je me retrouve en compagnie d’un ressortissant d’un grand pays au passé glorieux, j’éprouve, je ne le cache pas, un complexe d’infériorité. Que représente la minuscule Tunisie et ses 12 millions d’habitants qu’elle a mis des millénaires à atteindre à côté de titans comme l’Egypte, l’Ethiopie, la Perse, l’Inde, la Chine … et même les très juvéniles Etats-Unis ? Là, toute la question pour moi est de savoir comment susciter l’intérêt de cette personne et retenir son attention le temps que sa perception des choses dépasse leur apparence qui, il faut bien l’avouer, est souvent proche de la parodie. Il faut, ni plus ni moins, braquer sur la chose, ou sur l’événement, l’éclairage historique approprié qui en projettera en arrière-plan une ombre écrasante. Du coup, l’objet devient le simple et lointain reflet d’une chose autrement grandiose. C’est ma méthode.
Retenons l’exemple de l’aqueduc. Il en a été aménagé des dizaines, si ce n’est davantage, dans l’empire romain, passé maître dans la science et l’art du captage et de l’adduction de l’eau jusqu’aux centres urbains. Il en subsiste de sublimes lambeaux tout autour de la Méditerranée qui rivalisent d’ingéniosité et de beauté. Certains ont été érigés sur deux, voire trois niveaux, permettant des usages multiples ; d’autres ont été dotés de dispositifs qui ont permis des exploits sur le plan technique. Tout cela et, assurément, d’autres choses encore que ma pauvre science ignore, est toujours là, visible, visitable et exploité de diverses manières. Voilà donc un legs qui a dépassé sa fonction première et qui continue à meubler le paysage et la mémoire.
(A suivre)