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Pétrole & Gaz : un déficit énergétique alarmant  

Par  Ali Gaaya- Consultant International en E&P Pétrolières (HEPIC)

L’année 2024 devait constituer une année de célébration de l’anniversaire du champ pétrolier d’Ashtart, qui a été mis en production il y a déjà 50 ans, et qui a contribué pour plus de 320 Millions de barils (Mb) à l’économie et au développement du pays, soit plus de 24 Milliards de Dinars, au prix moyen actuel de 75 $/b !

Malheureusement, ni la Serept*, qui a découvert ce gisement en 1971 et mis en production en 1974 en tant qu’entrepreneur de travaux, ni l’Etap**, créée en 1972 pour représenter les intérêts de l’Etat, titulaire avec Elf (Total) dans ce gisement, à hauteur de 50%, n’ont le cœur à la fête. En effet, non seulement les 2 sociétés connaissent de grandes difficultés sérieuses, y compris financières, mais tout le secteur pétrolier dans son ensemble, est en berne, et connait ses jours les plus sombres, comme on va le voir. Evidemment, ceci ne manque pas d’affecter sérieusement l’économie, le développement du pays, les finances de l’Etat, ainsi que le pouvoir d’achat de nos concitoyens !

  1. Rappel de l’âge d’or du secteur pétrolier

Grâce au développement technologique et à la révolution numérique, à une meilleure connaissance des systèmes pétroliers dans les diverses régions, ainsi qu’aux découvertes encourageantes dans le Sahara algérien et en offshore libyen, la période 1960-1995, peut être considérée comme l’âge d’or de l’exploration et production pétrolière et gazière en Tunisie. La découverte par Agip (filiale de la société italienne ENI) du champ géant d’El Borma au sud du pays en 1964, ainsi que des importants champs offshore de pétrole d’Ashtart en 1971, et du champ à  gaz de Miskar en 1974, par le Groupe Français (SNPA, Elf) et la Serept, la Tunisie était entrée de plain-pied dans l’ère pétrolière. Attirés par ces découvertes importantes, les Majors internationaux, tels que Shell, Marathon, British Gas-Bg ou Total, ont pris des permis d’exploration, et amélioré sensiblement le niveau des activités d’exploration. Le nombre de permis, est passé d’une dizaine avant 1960, à plus de 20, et atteint une trentaine de permis au début des années 80, et un maximum dépassant les 50 permis durant les années 90. Le nombre de forages par an, généralement inférieur à 10, durant les années 60, est passé à une moyenne de 15 durant cette période, avec un pic entre 25 à 28 forages par an, au début des années 80.

La production pétrolière qui a résulté du développement de ces découvertes, ainsi que celles réalisées par les Majors, tels que Douleb, Sidi Litayem, Tazerka, Mahres, Ezzaouia ou Cercina,  a atteint un plateau entre 5 et 6 Millions de Tonnes par an (MT/an) correspondant à un pic voisin de 110 000 barils par jour (b/j), durant l’intervalle 1979 à 1984 (Fig.1).

Fig1.

La manne pétrolière, dégageant un excédent pouvant atteindre 10 Mb/an durant les années 90, a largement contribué au développement du pays, et constituait la première source de devises pour la Tunisie

2.Fin de l’indépendance pétrolière avec l’achèvement du XX siècle  

Malheureusement, toutes ces découvertes étaient de petites tailles, et n’arrivaient pas à compenser l’augmentation sans cesse croissante de la consommation, ni le déclin naturel des principaux champs de pétrole. De plus, le taux de succès s’avérait faible et inférieur à 20% dans la plupart des régions terrestres ou maritimes. Ceci a amené certains Majors tels que Shell, Elf, Total ou Marathon, à quitter le pays. Ils ont été remplacés par l’arrivée des Indépendants de moindre capacité technique et financière, qui ont maintenu quand même une activité relativement élevée, avec quelques succès. 

La mise en production de Miskar, le plus grand champ de gaz en 1996, découvert depuis les années 70, ainsi que le prélèvement fiscal sur le gazoduc transméditerranéen, qui achemine le gaz depuis le Champ de Hassi R’mel en Algérie jusqu’en Sicile en Italie ont amélioré la situation énergétique globale, mais ne pouvaient pas empêcher la perte «d’indépendance pétrolière totale» en 2000 (Fig.2). 

3. Un Déclin de la balance énergétique depuis la Révolution 

La situation de l’exploration s’est nettement dégradée dès le deuxième semestre 2014, suite au crash du prix du baril de pétrole, qui est passé de 110 $ à environ 48 $. A ceci s’ajoute la situation politique et sociale tendue et instable, qui a suivi la révolution du 14 janvier 2011. Le résultat est une chute brutale des activités d’exploration, comme en témoignent la plupart des indicateurs : les permis, au nombre de 52 en 2010, ne sont plus que de 23 en 2017, les forages d’exploration sont passés de 12 en 2012 à 2 seulement en 2017. Quant aux investissements d’exploration, ils sont passés de 374 Millions de dollars (M$) en 2010 à 73 M$ en 2015 et 142 M$ en 2016 (Fig.3). 

Fig.2

    

Cette baisse d’activité n’a pas affecté que l’exploration ; elle a aussi touché les opérations de développement (aucun forage en 2017), et par suite la production, qui est passée de 75 000 b/j en 2010 à une moyenne de 38 700 b/j en 2017. Pour ce qui est du déficit énergétique, il a atteint un record de 4.7 Million de tonnes équivalent pétrole (MTep) en 2017 (sans comptabilisation de la redevance), ce qui correspond à une indépendance énergétique de 60% seulement.

Fig.3

4. Statut actuel de l’Exploration & Production Pétrolières : bientôt la panne sèche ou le blackout ? 

          4.1 L’Exploration et le Développement au plus bas 

La publication par l’Observatoire National de l’Energie et des Mines (ONEM), l’une des Directions du Ministère de l’Industrie, du statut du secteur de l’énergie du mois de Septembre 2024, et sa comparaison avec les mêmes mois de 2023 et de 2022, est bien éloquent quant à la situation désastreuse de ce secteur, et sa dégradation continuelle.

Peut-on vraiment parler d’activités d’exploration et de développement, quand, sur les 16 permis, et la quarantaine de concessions en production, il n’y a eu que 5 forages en 3 ans, entre 2022 et 2024 ? Quant aux puits de développement, en vue d’améliorer la production, il n’y a eu que 2 forages seulement, durant la même période, dont aucun forage jusqu’en septembre 2024 ! (Fig.4). Ceci, non seulement ne permet pas de produire davantage de pétrole ou de gaz, mais compromet sérieusement le futur énergétique du pays, car il faudrait environ 20 forages d’explorations pour espérer renouveler nos maigres réserves. On en est bien loin ! En termes plus simples, on est en train de « manger le peu de pain blanc », et bientôt il ne nous restera que des « miettes », si rien n’est fait pour remédier à cette situation. 

 

     

Fig.4

       4.2 Principaux Indicateurs au rouge

Du fait du peu d’activités d’exploration et de développement, la production pétrolière continue de baisser du fait de la baisse continue de pression dans ces gisements. En effet, la production de 35 500 barils par jour (b/j) en septembre 2022, a baissé à 33 900 b/j en 2023, et à 29 200 b/j en septembre de cette année, ce qui correspond à une baisse sensible de 14%. Le gaz a aussi baissé dans une proportion comparable de 15%. (Fig.5). Si cette baisse se prolonge avec le même rythme durant 10 ans, notre production ne serait plus que de 6 500 b/j seulement et de 1 400 b/j au bout de 20 ans ; autant dire une « miette », et peut être la « panne sèche » en vue !? 

La consommation étant en constante augmentation, ceci se traduit par un déficit en énergie primaire de 4.8 MT. Notre indépendance s’en trouve de plus en plus faible et réduite à 41%, en diminution de 15% par rapport à 2023 à la même date. Autant dire que nous serons complétement dépendants des importations d’ici 20 ans, une perspective qui doit nous interpeller tous !

Il est clair que ceci ne manquera pas, au prix moyen du baril de 82 $, et un taux de change de 3.10 TND/$, d’impacter la balance commerciale, qui accuse un déficit 8.725 Milliards de Dinars, en augmentation de 29% par rapport à 2023 !

Fig.5

    

5. Les solutions possibles, oui elles existent 

Plusieurs solutions existent pour sortir le secteur de l’énergie de son marasme, et en faire un nouveau pilier de notre économie, du développement du pays, de la relance de l’emploi des cadres, et de toutes catégories professsionnelles, et de contribuer à l’amélioration du pouvoir d’achat de nos concitoyens.

Ces solutions ont été abordées dans plusieurs publications dont un livre dédié à tout le secteur de l’énergie, réalisé bénévolement par une dizaine d’experts, et publié en 2018. Il s’agit des « Perspectives du secteur tunisien de l’énergie », qui, non seulement retrace l’histoire des divers volets de l’énergie (exploration, production, raffinage, électricité, gaz, énergies renouvelables, etc), mais il propose des actions en vue d’améliorer chacune de ces industries (voir références). De plus, il est gratuit et a été distribué au parlement et aux principaux ministères concernés.

Les principaux axes peuvent se résumer ainsi :

*Relance de l‘exploration et production pétrolières, tout en révisant rapidement le « Code des Hydrocarbures », qui date de 1999, et qui n’est plus attractif et adapté à la situation nationale ou internationale.

*Alléger la fiscalité et les conditions économiques, en vue de la mise en production des découvertes «marginales» ou complexes, telles que celles de Birsa, Cosmos, Elyssa ou Zarat.

*Accélération du Développement des Energies Renouvelables, tout en allégeant les procédures d’octroi, et diminuer le poids de la bureaucratie. 

*Revoir l’organisation, les procédures de gestion, ainsi que les missions de l’ETAP, tout en créant un organisme indépendant, ou en renforçant la Direction Générale de l’Energie,  pour le contrôle et le suivi des opérations., ainsi que pour la gestion du patrimoine technique, la gestion de l’octroi des autorisations d’exploration ou de production.

*Revoir le rôle de monopole de la STEG, en matière de production d’électricité, et améliorer le réseau électrique national, en vue de faire face à l’augmentation de la production à partir des énergies renouvelables. Renforcer son rôle dans les projets PPP, voire ouvrir partiellement son capital aux sociétés étrangères de renommée.

*Initiation du Développement du Pétrole et Gaz de « Schiste », en ayant introduit dans le Code des Hydrocarbures, les articles appropriés pour cette nouvelle industrie.

*Impliquer activement l’Etap dans ces nouvelles activités, et introduire le système de compétition pour l’octroi des Permis d’exploration des zones prospectives. (Bidding Round) .  

*Réaliser du stockage stratégique des produits pétroliers, du gaz, du pétrole ou d’autres produits chimiques ((N2, CO2) dans des sites géologiques profonds, bien identifiés maintenant. Ceci permettra de faire face aux changements climatiques, et aux variations importantes du prix des hydrocarbures.

 

  • Conclusions et Recommandations

Il y a 3 ans, je publiais un article intitulé « Du Pain sur la planche pour relancer la machine énergétique ». Malheureusement, cet article n’a pas eu d’écho auprès de nos politiques qu’ils soient députés ou ministres des divers Gouvernements précédents. J’espère que les nouvelles équipes attacheront davantage d’intérêt pour ce secteur vital et stratégique. Mes collègues et moi-même, membres de l’Association Tunisienne du Pétrole et du Gaz (ATPG), ou d’autres associations du secteur, y compris celle de l’Ordre des Ingénieurs, nous sommes prêts à discuter de toutes ces recommandations, et bien d’autres, avec nos députés ou tout autre département du ministère de l’industrie et de l’énergie.  

Sir Winston Churchill disait en substance « Les Leaders agissent, les Autres attendent pour voir ». Nous avons beaucoup attendu, alors agissons maintenant !

NB : Les analyses et idées exprimées dans cet article sont celles de leur auteur, et n’engagent aucunement l’Onem qui a publié ces données, ni les associations professionnelles (ex.Atpg) ou sociales (ex.Aas).

*SEREPT: Société de Recherche et d’Exploitation du Pétrole en Tunisie, crée en 1931

** ETAP : Entreprise Tunisienne d’Activités Pétrolières, crée en 1972, active en 1974

Références  

  1. Site «  Open Data » du Ministère de l’Industrie
    http://data.industrie.gov.tn/
  2. Site de l’Association Tunisienne du Pétrole et du Gaz

http://www.atpg.org.tn/Retrospective.html 

  1. Conjoncture énergétique, septembre 2024 _ Version en langue française
    https://www.energiemines.gov.tn/fileadmin/docs-u1/Conjoncture_%C3%A9nerg%C3%A9tique_%C3%A0_fin_septembre_2024.pdf
  2. Publication : Gaz de schiste et HC non conventionnels ; y aller ou ne pas y aller
    https://www.leconomistemaghrebin.com/2020/05/20/gaz-de-schiste-et-hydrocarbures-non-conventionnels-y-aller-ou-ne-pas-y-aller/
  3. Publication : Du pain sur la Planche pour relancer la machine énergétique 

https://lapresse.tn/2021/02/24/tribune-du-pain-sur-la-planche-pour-relancer-la-machine-energetique/ 

 

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