Ecrivaine et nouvelliste, Nefla Dhab publie pendant presque une cinquantaine d’années. Ses livres ont été traduits en onze langues. Son œuvre littéraire et sa biographie sont mentionnées dans « Le dictionnaire universel des créatrices». Le ministère des Affaires culturelles lui a rendu, récemment un hommage pendant deux jours à la Maison de la culture Ibn-Khaldoun .
Pendant deux jours on vous rend hommage pour une cinquantaine d’années d’écriture…
J’ai commencé à publier en 1967. A l’époque je ne publiais pas de livres mais des nouvelles dans la revue «Kissas» des clubs des nouvellistes à El Ouardia . En 1979 j’ai publié mon premier recueil « Volutes de fumée». On était une douzaine d’écrivains et on a essayé de créer une coopérative pour la publication de nos livres. Le livre a été publié justement dans cette coopérative qu’on a appelé « Safa Edition Distribution et Presse». Après mes études en droit, j’ai rejoint le ministère de la Culture et je me suis occupée du service juridique . Plus tard, j’ai travaillé au cabinet du ministre en m’occupant toujours de la question juridique. En 1983 j’ai publié « Soleil et ciment». Un recueil beaucoup plus proche de la société que le premier qui était plutôt des réflexions sur l’existence et les relations humaines, alors que «Soleil et ciment» raconte des histoires du vécu. En 1993, j’ai publié le recueil de nouvelles « Le silence» qui a eu beaucoup de succès. Plusieurs nouvelles de ce recueil ont été traduites en plusieurs langues. Actuellement mes livres sont traduits en 11 langues : le roumain, le russe, le tchèque, le français, l’italien, l’espagnol, l’allemand, le suédois, le chinois, l’anglais et l’iranien… Cet hommage me va donc droit au cœur. Devant sa feuille blanche l’écrivain est tout seul. C’est quand les gens le lisent et le citent qu’il devient vraiment présent. C’est le plus grand hommage qu’on puisse rendre à un écrivain.
Qui vous a mise sur le chemin de l’écriture ?
Mon père ! Hédi Dhab, l’auteur de « Kif Dar kess El Hob» interprétée par Saliha. Mon père était un intellectuel zeitounien. Il a fait ses études avec Tahar Haddad et Abou Kacem Chebbi. Il était donc dans cette mouvance et il aimait beaucoup la littérature. Il m’achetait des livres … j’ai grandi dans cet univers. Lorsque j’ai pris la plume j’étais dans mon élément … et lorsque j’ai commencée à écrire il y avait une émission radiophonique « Les amateurs de Lettres», animée par Ahmed Laghmani. Un jour je leur ai envoyé une nouvelle qui a été lue par Adel Youssef et elle a eu du succès. Ahmed Laghmani m’a proposé d’intégrer le club de la nouvelle à El Ouardia. Là j’ai rencontré Aroussi Metoui, Mustapha Fersi et Azzedine Madani, entre autres. J’ai publié alors ma nouvelle « L’heure» ( Essaâ) dans leur revue.
Dans « Hikayet elleyl» publié en 2003, vous avez innové dans vos nouvelles…
Effectivement j’ai essayé de donner un aspect populaire à des contes qui sont vraiment virulents. C’était un regard assez sévère que je porte sur la société. L’époque était à la censure et nous, en tant qu’écrivains on cherchait le symbolisme pour nous exprimer ….
Vous estimez que dans vos livres vous avez dit ce que vous aviez à dire à cette époque.
Tout à fait ! Les gens comprenaient parfaitement de quoi il s’agissait mais sans le dire et ils restaient dans la symbolique, mais ce que j’ai remarqué c’est que ceux qui ont traduit ces contes à l’étranger ont bien mis le doigt sur le « Pourquoi» de ce symbolisme.
Votre nouvelle « Paroles autour du silence «dans le recueil « Le silence» contenait une forte teneur politique et symbolique…
Effectivement ! C’est l’histoire d’un père qui imposait à ses enfants de ne pas parler à haute voix parce qu’il travaillait dans une usine où il y avait beaucoup de bruit. Il avait deux filles et un garçon. Lorsque le père meurt, le fils imposera à ses sœurs de ne pas parler à haute voix sans justification aucune. J’ai eu cette idée juste à l’arrivée de Ben Ali au pouvoir. Je me suis dit il y avait de quoi justifier l’autorité de Bourguiba parce qu’il a milité pour avoir l’indépendance mais lui il a fait un coup d’Etat et il a commencé à exercer une dictature. Pour moi c’était cela… Certains critiques étrangers ont compris le message.
Dans vos publications quel est le livre qui vous a le plus marqué.
« Le silence» m’a le plus marqué parce que je me suis aguerrie à l’écriture avec ce livre. J’ai mis beaucoup de temps à le faire et c’est aussi un livre où j’ai essayé plusieurs formes d’écriture dans la nouvelle. C’est un livre créatif et ludique pour moi.
Vous avez essentiellement publié des nouvelles. Pensez-vous que ce genre littéraire court peut dire beaucoup de choses ?
Je crois que oui ! Parce que le texte court est très condensé et possède l’avantage de la précision. C’est un exercice de style et j’aime bien écrire de cette manière.
Entre «Volutes de fumée» publié en 1979 et « Balcon sur mer» 2017 quel regard portez-vous sur l’écrivaine Nefla Dhab ?
J’essaie tout le temps d’apprendre. J’essaie aussi de produire tout en restant collée à l’actualité et à la réalité tunisienne. Je suis convaincue de ce que j’ai fait depuis le début. J’estime que mon dernier livre est une évolution et pas une rupture par rapports aux autres.
Que vous a apporté cette liberté d’expression de l’après-14 Janvier ?
Personnellement elle m’a fourni beaucoup de nouvelles expériences mais en même temps j’ai l’impression que les gens n’ont pas l’habitude de cette liberté. Il faut prendre en considération aussi qu’il s’agit d’une dizaine d’années de brimades. Mais ce que les gens ne comprennent pas aussi c’est que cette liberté reste encore fragile. Je pense que s’il y a une éducation à faire ça sera une éducation à la liberté mais aussi à la démocratie. L’une ne va pas sans l’autre.
Aujourd’hui, beaucoup d’écrivains sont déçus et portent un regard pessimiste sur notre société …
Le pessimisme peut s’ouvrir su l’optimisme. Moi j’y crois ! On passe par des moments durs et on va en avoir encore mais cela ne fait rien, il faut avancer et on va y arriver. Je ne perds pas espoir.