En enchaînant les rôles remarquables de mères battantes et fortes, Salha Nasraoui effectue son grand retour en 2024 pour son public connaisseur. Elle a été aussi une grande découverte pour d’innombrables spectateurs férus de théâtre et de cinéma, mais qui ne la connaissaient pas. A l’affiche de « La source » de Meryem Joober, en salles à partir du 15 janvier, elle sublime l’écran au cinéma et conquiert par son interprétation, y compris au théâtre. Rencontre.
La Presse — Vous êtes à l’affiche de « Mé Al Ain » ou « La source » de Meryem Joober qui sort le 15 janvier dans toutes les salles de cinéma. Précédemment, en 2019, beaucoup vous ont remarquée dans « Brotherhood », signé par la même réalisatrice et nominé aux oscars. Vous y campez le rôle d’une mère meurtrie mais résiliente face à la destinée de son enfant. Selon vous, comment s’est passée cette transition du film court à sa version longue ?
Les deux films paraissent similaires parce qu’il s’agit de la même famille, qu’il y a aussi le retour du jeune garçon de Syrie. Dans « Brotherhood » — le court — l’histoire était plutôt vue par le mari. La réalisatrice a eu l’idée de faire du film un long métrage, mais raconté du point de vue de la mère. Comment elle vit le déchirement, la séparation d’avec ses enfants, la tourmente ou la déroute. A partir de cette idée, tout le personnage a été développé pour raconter l’histoire autrement. « La source » raconte une histoire autrement, d’un autre point de vue.
Vous jouez le rôle de la figure maternelle, par excellence. Comment s’est passée votre incarnation de ce personnage assez complexe ?
Ce n’était pas facile, comme tout personnage composé. Façonner et s’imprégner d’un rôle comme celui-ci n’est pas facile. Je ne banalise rien. Je ne prends rien à la légère. Il faut de la persévérance, de l’ardeur. Il s’agit d’un travail ficelé. C’est le théâtre qui nous apprend à être minutieux, à bien s’imprégner d’un personnage, bien le connaître, tisser sa vie, tout savoir sur sa personnalité, ses qualités, ses défauts. On a beaucoup écrit, et on a formé les autres acteurs plus jeunes du film. « Aïcha », je l’ai beaucoup adopté et j’ai su comment lui donner vie. Faire de sa résilience, sa force, sa tranquillité un point fort. La direction d’acteurs de Meryem Joober était excellente : on connaissait ce qu’on voulait, nous, acteurs. Sa direction est si douce. Elle nous a fait comprendre qu’on peut arriver à bout d’un très bon travail, sans être dur, forcément sur un plateau de tournage. Elle est d’une bienveillance exemplaire.
Comment s’est passé le travail avec les jeunes acteurs du film et avec Mohamed Grayaâ? Il y a beaucoup d’esthétique dans le film, notamment celle du lieu. Très naturel. Que gardez-vous en souvenir du tournage ?
On a effectué des ateliers classiques et indispensables d’acting : avec exercices de base, de respiration, de mouvement, d’allures. Ce sont des cours de théâtre qu’il a fallu pour eux en premier, pour bien les initier. La réalisatrice a suivi le processus dès le départ et ils ont vite appris. Avec Grayaa, nous formons un très bon tandem à l’écran. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui. Pendant 6 semaines, j’ai été coupé du monde en fermant mon téléphone. (Rire) Le paysage était splendide, avec des plaines arides, naturelles et il ventait beaucoup. C’était un tournage sans doute très physique avec ses petites difficultés mais surmontables et qui reste très plaisant. Ça a duré 6 semaines et c’était magnifique.
« Le Bout de la mer », dernière pièce de théâtre en date de Fadhel Jaibi, vous a fait connaître dans le rôle extrêmement complexe et dur d’Atika, une autre mère à la destinée tragique. Une œuvre dure mais remarquable qui me pousse à vous interroger sur le lien que vous avez à la scène. Quelle est la différence pour un acteur de jouer dans le cinéma et d’être sur scène ?
J’ai fait du théâtre, ensuite, du cinéma, et je suis revenu au théâtre. Ce sont les outils et la formation qu’on a qui comptent le plus. Notre prestation, nos corps, notre présence scénique, visage, gestuel. Notre mental, la voix. Ce sont des outils qui doivent tout le temps être entretenus. C’est ce qui nous forge en tant que comédiens. Ce qui nous forme. Tout cela à la fois doit être dosé sur scène ou à l’écran, et c’est au metteur en scène ou au réalisateur de le faire. Il ne s’agit pas de disciplines différentes. Un acteur reste un acteur avec une bonne direction, un bon encadrement. Nous avons « un témoin » en tête, en tant qu’acteur qui nous permet de sentir quel résultat avoir dans une création. L’acteur s’adapte à un film comme dans une pièce théâtrale avec peut-être un peu plus d’effort physique fourni sur scène, et avec plus de sentiments, d’émotions exprimées.
Après « Jounoun », pièce de Fadhel Jaibi, mise en scène en 2000, vous avez retravaillé avec lui en 2023 sur « Le bout de la mer ». Que gardez-vous en tête des deux expériences ?
Dans « Jounoun », j’ai été étudiante. Je faisais encore du théâtre et j’ai été flattée qu’il m’ait choisie. J’étais jeune, honnêtement. On a fait le tour du monde avec. Elle a été jouée 150 fois partout. J’étais poussée par ma passion et mon envie effrénée de travailler, sans arrêt, sans parvenir sur le moment à cerner exactement ce que j’ai acquis comme savoir. Ce n’est qu’en enchaînant les expériences après « Jounoun » qu’une prise de conscience s’est déclenchée et que j’ai su à quel point j’ai tellement appris de Jaïbi. Renouer avec lui récemment m’a fait comprendre qu’il était bien plus important que je ne l’imaginais.
Dans les trois rôles que vous présentez actuellement, vous jouez le personnage de la mère-totem. Comment s’est faite cette succession de choix de rôles ?
Franchement, ça s’est fait par hasard. Ce sont des figures maternelles très différentes que j’ai eu plaisir à jouer. C’est une question de timing et j’ai fait avec pour « La source », comme pour « Les enfants rouges » de Lotfi Achour (Qui sort prochainement) ou pour « Le bout de la mer » de Jaibi.