Comme beaucoup de Tunisiens, j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt la sortie médiatique de Youssef Chahed sur le plateau du programme politique « Saken Carthage » (Le locataire du palais de Carthage) sur Attessia TV.
Malheureusement, tout porte à croire que nous étions témoins d’une émission « faite sur mesure » pour le chef du gouvernement sortant à travers des questions trop « soft », des intervenants caressant dans le sens du poil et des portraits trop « cool ».
Sinon, en tant qu’ex-correspondant permanent auprès du siège de l’ONU et journaliste d’expression française en charge du volet de la politique internationale et diplomatique au sein du quotidien La Presse de Tunisie, les questions de notre confrère Néji Zairi en relation avec la diplomatie et la Sécurité nationale m’ont laissé sur ma faim.
Le 18e Sommet de de la Francophonie
Par exemple, alors que la Tunisie s’apprête à accueillir le XVIIIe Sommet de la Francophonie sous le haut patronage du prochain président de la République tunisienne, et bien l’interviewer n’a pas posé aucune question dans ce sens.
Quel positionnement de la Tunisie au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie ? Quel avenir pour la Francophonie sous nos cieux ? À partir de cet évènement, Tunisie va-t-elle jouer un rôle clef ou bien jouer seulement le rôle de l’hôte ? Doit-on rester dans la Francophonie ou faire comme le Rwanda en rejoignant le Commonwealth ?
On a vu que depuis 2009, le Rwanda a rejoint la communauté des pays anglo-saxons tout en restant membre de la Francophonie comme le Canada.
D’ailleurs, l’actuelle présidente de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Louise Mushikiwabo est une Rwandaise et ce malgré le froid qui caractérise les relations diplomatiques entre Paris et Kigali, depuis le génocide rwandais et les critiques ciblant opération Turquoise (une opération militaire organisée par la France et autorisée par la résolution 929 du 22 juin 1994 du Conseil de sécurité de l’ONU pendant le génocide des Tutsi au Rwanda).
Le Rwanda est aujourd’hui considéré comme un modèle de développement économique. Vingt-cinq ans seulement après l’horreur du génocide, le pays avance à pas de géant en affichant une croissance de 7,5 % par an, faisant de ce pays l’un des virtuoses économiques en Afrique.
Affaire Moncef Kartas
J’aurais aimé, également, qu’on pose à Youssef Chahed une question sur l’arrestation, puis, la libération de l’expert onusien Moncef Kartas, membre du panel d’experts du comité du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Libye.
Cet expert germano-tunisien était détenu pour « collecte de renseignements et données relatifs à la lutte contre le terrorisme et à leur divulgation dans des circonstances autres que celles autorisées par la loi ».
Selon Jeune Afrique, il lui est également reproché de « détenir des équipements d’interception et de brouillage de communications, ainsi que du matériel servant au balayage radio ».
Et d’après des sources officieuses, il aurait été accusé d’avoir des relations avec Israël.
Un magistrat a confié à nos confrères de Jeune Afrique, sous le sceau de l’anonymat, que « cette libération est un signe révélateur. Le dossier n’est peut-être pas aussi consistant qu’il semblerait, sinon le magistrat instructeur n’aurait pas accédé à la demande de la défense. »
Alors que Sofiène Sliti, porte-parole du parquet tunisien, toujours selon J.A., balayait cependant les objections en estimant que l’accusé, soupçonné d’espionnage, « ne peut pas bénéficier d’une immunité dans la mesure où l’affaire dont il fait l’objet concerne des intérêts personnels ».
Certes, cette affaire avait fait couler beaucoup d’encre et provoqué une crise avec l’Organisation des Nations unies et la diplomatie allemande, mais demeure une énigme parmi d’autres.
Diplomatie médiatique
En tant que président de la République, le candidat Youssef Chahed s’engage-t-il à mettre en place un pôle médiatique international pour accompagner la diplomatie tunisienne à l’échelle régional et continentale: création d’une plateforme plurimedia (arabophone, francophone et anglophone) style France 24, Deutsche Welle (DW), Russia Today, CNN, Euronews, Press TV, Andolu Agency, I24 News, Voice of America, Al Jazeera, Al Arabia, BBC World, Al Hurra, China Global Television Network (CGTN), etc…?
Sachons que les compétences tunisiennes dans ce domaine font les beaux jours de France 24, Al Jazeera et autres branches médiatiques de la diplomatie internationale.
Par exemple: « l’article 1 de la Charte de France 24, indique ainsi que la chaîne doit traiter « l’actualité internationale avec un regard français » et « véhiculer partout dans le monde les valeurs de la France » OU Deutsche Welle qui se définit ainsi comme « le média audiovisuel de l’Allemagne » et a en particulier comme mission de « communiquer les points de vue allemands et les perspectives globales », de « présenter la culture de l’Allemagne et de l’Europe » et d’« utiliser notre crédibilité pour promouvoir la réputation de l’Allemagne dans le monde entier ». »
Un « Ifriquiya News » ou un « Tounes 24 » serait un excellent outil pour repositionner la diplomatie tunisienne sur l’échiquier régional et continental. Ça lui permettra de peser lourd sur le dossier libyen, prospecter le marché africain et redynamiser l’Union du Maghreb arabe à travers un leadership médiatique.
Ainsi, comme le dit si bien Eddy Fougier dans son article »La bataille de l’information internationale » paru dans la Revue internationale et stratégique 2010/2 (n° 78), pages 67 à 74: « Les médias internationaux sont donc à la fois un reflet des rapports de pouvoir internationaux et un enjeu de pouvoir (…). L’État qui, aujourd’hui, veut avoir une influence sur le cours de la mondialisation et sur ceux qui en sont les principaux bénéficiaires doit par conséquent disposer de son propre vecteur d’information internationale et d’« influence audiovisuelle ». »
Le conflit libyen
Sinon concernant le conflit libyen, avec le positionnement de Macron, Trump et de l’Arabie saoudite sans parler de Sissi avec Haftar, la Tunisie doit-elle choisir aussi le camp du maréchal ? La diplomatie tunisienne doit-elle changer son fusil d’épaule et prendre ses distances du Gouvernement d’union nationale (GNA)? Sommes-nous vraiment dans une posture privilégiant le principe de la « neutralité positive » en accueillant les blessés des pro-GNA pour se soigner dans nos hôpitaux ?
Ouverture sur l’Afrique subsaharienne et australe
Récemment, le Maroc a déposé une demande pour intégrer la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)
En tant que président : envisage-t-il d’emboîter le pas du Royaume chérifien ?
Envisage-t-il d’encourager la diplomatie économique dans le Continent africain en encourageant des investisseurs tunisiens en Afrique subsaharienne ?
Le 30 mai 2019 est entrée en vigueur la nouvelle zone de libre-échange continentale (ZLEC), l’une des plus vastes au monde si l’on raisonne en termes de nombre de pays impliqués (27 – soit plus de la moitié du continent), démographique (près de 1,2 milliard de personnes), ou d’étendue géographique.
La diplomatie tunisienne dans tout cela?
Y-a-t-il une volonté pour augmenter le nombre des représentations diplomatiques dans les pays de l’Afrique subsaharienne et australe ?
Diplomatie du « soft power »
En tant que président : quels outils de « soft power » va-t-il utiliser ?
En France on parle de la diplomatie gastronomique (Opération Goût de /Good France) si chère à l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius.
En Allemagne, Berlin mise sur la diplomatie industrielle (Automobiles : Mercedes, BMW, Audi, etc…)
Le Danemark s’appuie sur la diplomatie pharmaceutique (Ex : Novordisk qui produit plus de 50% de l’insuline mondiale) ainsi que son leadership en termes de transport maritime dans le monde avec l’armateur numéro 1 dans le monde, Maersk.
Et qu’en est-il de la Tunisie ?
Le poids de la Tunisie dans le concert des Nations
Lors des funérailles du président de la République feu Mohamed Béji Caïd Essebsi, l’Union européenne (UE) et la Suède étaient absents alors que qu’ils figurent sur la liste de nos alliés.
Washington était représentée par un Vice-commandant de l’Africom, le Canada par son ambassadeur à Berlin et l’Allemagne ainsi que le Royaume-Uni très faiblement représentés.
L’Arabie saoudite a envoyé le gouverneur de la Mecque.
Alors que récemment le prince héritier Mohamed Ben Salman (MbS) avait connu le chemin de la Tunisie en quête de soutien international suite à l’affaire Khashoggi.
Sachons que la Tunisie fait partie des alliés de Riyadh.
La faible représentation diplomatique aux obsèques de BCE reflète la place de la Tunisie à l’échelle internationale.
En revanche, l’Italie avait dépêché son ministre des A.E et l’Allemagne un ancien président de la République.
Alors quel programme pour remédier à ça ?
Bizerte et sa position géostratégique
Comment peut-on redorer le blason de Bizerte et de sa position géostratégique ? Doit-on séduire la Russie, la Chine ?
Désignation des ambassadeurs et des consuls
L’interviewer pouvait également soulever la question des désignations des ambassadeurs et des consuls par copinage.
Au sein du Ministère des Affaires étrangères la colère couve. On en compte plus les lettres ouvertes et le ras-le-bol des professionnels de la diplomatie face aux nominations de personnalités en dehors du cercle diplomatique ou sans formation.
Sécurité nationale
* Quel serait sa politique de Sécurité nationale en termes de reboisement et reforestation ?
Pendant ce temps-là, l’Éthiopie est en train de planter 4,5 milliards d’arbres.
* La fuite des cerveaux fait partie de la sécurité nationale : comment stopper cette hémorragie ? Les médecins et les ingénieurs coûtent à l’État des milliards de nos millimes. Et à la fin un pays comme la France les récupère sans payer ne serait-ce qu’une prime de formation comme c’est le cas pour les footballeurs en herbe.
* A-t-il l’intention d’instaurer une sorte de protectionnisme agricole face aux importations (pommes de terre pourries, etc).
* La Tunisie et les organismes génétiquement modifiés (OGM) ? Quelle est sa vision en tant que spécialiste en agroéconomie ?
Quelles coopérations internationales dans la lutte contre la désertification, la gestion des eaux et le développement des semences locales ?
* A quand une politique favorisant les centrales photovoltaïques (énergie solaire) dans le Sahara tunisien) ?
* Le nucléaire civil est-il une alternative pour la Tunisie ?
Que des questions non posées… Malheureusement !
Crédit photo: Romain LAFABREGUE / © AFP