Il fait partie d’une génération de footballeurs qu’on ne fait plus. Des footballeurs au talent fou, mais auxquels la chance n’a pas souri. Notre interlocuteur n’était pas chanceux en Coupe de Tunisie. Il en garde des souvenirs amers. Voici son récit.
Mouiller le maillot : voilà une expression que Moncef Chargui et ses camarades de l’époque connaissaient si bien. Lui fait partie d’une génération où le football était une passion plutôt qu’un métier à part : «Quand nous gagnions un match, on nous donnait 15, 20 ou 30 dinars tout au plus. Je me souviens une fois, nous avions eu droit en sélection nationale à une prime de 1200 dinars en 1985 suite à une victoire contre le Nigeria. C’était énorme pour l’époque. Il faut dire que durant les années 1980, le joueur était encore amateur. », se souvient avec le sourire Moncef Chargui, ancien international et défenseur du Club Africain.
Par ailleurs, l’aventure footballistique de Moncef Chargui a commencé il y a un peu plus de 40 ans de cela : «Mes plus beaux souvenirs, je les ai eus avec le CA. C’est là où tout a commencé. J’ai intégré l’équipe senior du Club Africain à la fin de l’année 1978 juste après la participation de l’équipe nationale au Mondial d’Argentine. André Nagy, alors entraîneur du CA, devait rajeunir l’équipe vu que plusieurs joueurs étaient en fin de carrière à l’image d’Ali Rtima, Mrad Hamza et Mohamed Mensi entres autres. J’étais à l’époque international junior. J’avais participé à la Coupe du monde junior qui avait eu lieu en Tunisie en 1977. Parmi les joueurs qui sont montés avec moi en senior, je me souviens de Hassen Dakhli, Abderrazek Zarrouk et Gorgi, un juge qui avait arrêté le football cette année-là. Sincèrement, nous n’avons pas eu des difficultés à nous intégrer puisque les joueurs-cadres comme Moncef Khouini, Kamel Chebli et Hassen Baayou nous ont bien encadrés. Mon premier match, c’était contre le COT. J’ai fait mon entrée en jeu à la mi-temps en remplacement de Lotfi Khedher. A l’issue de mes deux premières saisons chez les seniors, j’ai remporté deux titres successifs de championnat de Tunisie. Je suis chanceux d’autant que j’ai été formé par André Nagy, paix à son âme. Il m’a appris et à tous les joueurs aussi qu’il a eus sous sa coupe les fondamentaux du football moderne et l’art de vivre pour un footballeur professionnel. Avant d’être entraîné par Nagy, je jouais comme stopper en opérant le marquage individuel. Il nous a appris la défense de zone. Par ailleurs, je vais vous raconter une anecdote. Nous avons appliqué pour la première fois la défense de zone et la couverture mutuelle en match amical contre l’équipe première de Parma à l’occasion d’un stage effectué en Italie. Nous avons encaissé cinq buts et perdu le match. Aux vestiaires, nous étions tous furieux qu’il nous ait changé notre façon de faire, persuadés que le résultat était là pour justifier notre désarroi. Il l’avait pris avec le sourire et sans se soucier de notre réaction, il a continué à nous apprendre les fondamentaux du football moderne tels que nous les connaissons maintenant.
Quand le championnat a démarré, les attaquants des équipes adverses, à l’instar de Kassidi et Sbouii, nous questionnaient pourquoi nous ne les pressions pas. Nous leur avions expliqué que nous jouions la défense de zone. Cette saison-là, nous n’avions encaissé que 7 ou 8 buts à tout casser ».
Coupe de Tunisie, la poisse
Les plus grands et plus talentueux joueurs ne sont pas forcément les plus chanceux. Si Moncef Chargui était chanceux lors de ses deux premières saisons chez les seniors du CA en remportant le Championnat de Tunisie, on ne peut pas dire autant en ce qui concerne la Coupe de Tunisie : «Ah ! Toutes ces finales perdues ! … », se souvient avec amertume Moncef Chargui avant de poursuivre : «S’il y a une chose qui m’est restée en travers de la gorge, ce sont toutes ces finales de Coupe de Tunisie perdues avec le CA. J’ai fini par me persuader que c’est la poisse qui m’a toujours collé à la peau à chaque finale de coupe que j’ai disputée.
D’ailleurs, s’il y a un titre qui manque à mon palmarès, c’est bel et bien la Coupe de Tunisie.», Confie ému notre interlocuteur pour qui : «Ce ne sont pas les bons joueurs qui manquaient à l’époque au CA. Il y avait le grand Hédi Bayari et les autres joueurs étaient disciplinés sur le terrain, appliquant à la lettre les consignes d’André Nagy. J’ai échoué dans toutes les finales de Coupe de Tunisie, notamment celle contre l’EST, perdue par deux buts à zéro. Je pense que Nagy ne misait pas autant sur la Coupe que sur le Championnat. Il estimait que la force de l’équipe résidait dans sa régularité sur le long terme. Il se concentrait donc sur le championnat».
«L’Algérie de Madjar, beaucoup plus forte»
On ne peut pas être en présence de Moncef Chargui sans évoquer la fameuse défaite concédée contre l’Algérie qui nous avait privés de nous qualifier à la Coupe du Monde de 1986 :
«A l’époque, Youssef Zouaoui était un jeune entraîneur. Il venait de débuter dans le métier. Il n’avait même pas tous ses diplômes. De plus, l’Algérie de l’époque était beaucoup plus forte. Dans ses rangs, il y avait, entre autres, Rabeh Madjar, Balloumi, Assad, Manned, Marskane et Kasi Said. Ce fut une équipe imbattable. De notre côté, il y avait également de grands joueurs : Abdelahmid Hergal, Khaled Ben Yahia, Montassar Ben Ammar et Rakbaoui, pour ne citer qu’eux… Nous avons marqué les premiers et le but qu’ils ont encaissé les a complètement transformés. Non seulement ils sont revenus dans le match, mais ils nous ont battus également».
Le football est ainsi fait. Il ne suffit pas d’être un grand joueur ou d’avoir un Dream Team pour aller jusqu’au bout. Moncef Chargui n’a pas remporté une seule Coupe de Tunisie de toute sa carrière.
Il n’a pas disputé non plus une phase finale de Coupe du Monde comme bon nombre de joueurs talentueux de son époque comme Tarek Dhiab ou Khaled Ben Yahia. Le football est ainsi fait.