
La Presse— La violence ressurgit, dit-on, sur notre sport, mais au fait, a-t-elle un jour disparu ? Elle n’a pas ressurgi, elle est toujours là. Latente, en veille par moments, mais ses racines sont si profondes et anciennes. Cette violence dans notre sport n’est pas le fruit de quelques années, elle est si ancienne, depuis l’indépendance. Sauf qu’à ce moment, on n’en parlait pas autant. On essayait même de la nier, vivant dans ce déni maladif qui veut que notre sport était propre dans les années 50, 60 et 70, c’est-à-dire lors de son émergence dans le cadre de l’Etat tunisien postindépendance.
Ça c’est archifaux, d’après les témoignages, les incidents dangereux et nombreux survenus. Cette bulle de violence sur nos stades était nourrie d’une culture de régionalisme enracinée et d’un modèle politique pauvre et autocratique où la propagande du régime en place a fait du sport un lieu de conflits. Certes, il y avait de bon dirigeants, pas comme aujourd’hui, mais la violence, la haine dans les stades, c’était aussi très fort et ça dure jusqu’à aujourd’hui.
Le sport, essentiellement le football, incarnait la dualité entre les régions ( la capitale et le Sahel par exemple), entre les clans et aussi entre les composantes du même club. Ce n’est pas aujourd’hui qu’on a créé la violence en sport. C’est une manipulation voulue pour détourner les faits. La forme et l’intensité de la violence ont, en revanche, évolué avec, bien sûr, les changements socio-politiques que l’on a vécus. Et il y a aussi un fait principal, c’est, qu’aujourd’hui, les réseaux sociaux et les technologies de l’information ont accéléré la vitesse de transmission des messages de haine et ont agrandi les enjeux politico-économiques du football. Oui, la forme a changé, mais le fond violent n’a pas beaucoup changé. Cette concurrence dans notre sport a pris une autre dimension, avec une injustice criarde et ce système de compétition biaisé en football et dans d’autres sports. Quand il n’y a pas de règles claires et strictes qui s’appliquent à tout le monde, la haine, les dépassements, le sentiment de l’impunité nourrissent ce terrain miné de violence et cette culture de haine propagée dans le sport. Ce n’est pas une haine « normale » entre clubs, c’est plus que cela : une haine entre régions et classes sociales, entre personnes, entre familles, entre groupes de supporters, devant des textes caducs et des responsables qui ont peur d’appliquer la loi.
Les gourous de cette violence et leurs protecteurs sont laissés libres. Certains dirigeants, chroniqueurs et plateaux diffusent l’intox, créent des polémiques et heurtent la sensibilité pour servir certains clubs et certains dirigeants qui « payent » pour cela. Voilà le fond du problème, cette violence n’est pas nouvelle, elle n’est pas fortuite, elle s’est enracinée au gré des échecs. Au gré de l’impunité et d’une caricaturale justice sportive. Aujourd’hui, de jeunes joueurs sont agressés dans des compétitions des jeunes, des divisions inférieures où l’on se permet tout et où on frôle chaque semaine la catastrophe. Des dirigeants-magouilleurs et versés dans la corruption sont aujourd’hui adulés et présentés comme des sommités. Et la suite est inévitable : une prédisposition fatale à la violence verbale et physique qui ravage ce qui reste du sport tunisien. Et tant que l’Etat ne bronche pas et n’applique pas la loi et ne comprend pas que ce phénomène a pris des dimensions dangereuses, l’on restera toujours en retard et dépassés par l’ampleur des formes de violence exacerbée qui envahissent notre sport. C’est ancien, c’est hérité, c’est évolutif, et c’est orchestré par des parties que l’on connaît pour gagner à tout prix ou pour camoufler des dépassements ou même pour cacher les gains énormes que génère le football par exemple. Et tout ça est « parrainé » par la plupart des médias sportifs des producteurs, animateurs et journalistes (oui malheureusement) complices.