
Abandonné pendant des décennies, l’habitat social revient au cœur des priorités de l’Etat. Entre crise foncière, flambée des prix et exclusion des classes moyennes, le gouvernement cherche à reprendre la main sur un secteur en pleine dérive.
Durant des années, voire des décennies, le droit au logement a été bafoué en Tunisie, ouvrant un boulevard à la prolifération des quartiers anarchiques et de l’habitat informel. Pourtant, le secteur de l’habitat social figurait en tête des priorités de l’Etat postindépendance, qui y a investi massivement, guidé par l’objectif de garantir un accès à un logement décent pour tous.
C’est donc par le biais d’une politique fortement interventionniste que l’Etat a pu mettre sur les bons rails de grands projets urbains. Sortant la grande artillerie, il a instauré des instruments de régulation foncière, des opérateurs immobiliers publics et des mécanismes de financement adaptés à une large couche de la population.
Un retour historique
C’est dans cette logique que la Société nationale immobilière de Tunisie (Snit), la Société de promotion des logements sociaux (Sprols) et l’Agence foncière d’habitation (AFH) ont été créées.
De la décennie 1970 au début des années 1990, le secteur immobilier public tournait à plein régime : la Snit produisait 20.000 logements par an, contribuant ainsi à plus des deux tiers de la production de logements à l’époque ; la Sprols offrait des logements locatifs, et l’AFH assurait plus du tiers de la production foncière dans les années 80.
Bon an mal an, la politique de l’habitat social menée à l’aube de l’indépendance a permis au pays de disposer d’un parc de logements relativement important en comparaison avec d’autres pays de la région.
A partir des années 90, cette politique de l’habitat social s’est essoufflée. A vrai dire, elle a été abandonnée sous la contrainte des politiques d’ajustement structurel, qui exigeaient la libéralisation du secteur de la promotion immobilière. Résultat : la production immobilière s’est progressivement concentrée sur les segments moyen et supérieur, une tendance qui s’est accentuée avec le déclin des opérateurs publics.
Encore une fois, « la main invisible » n’a pas fonctionné, et le désengagement de l’Etat n’était pas sans conséquences pour le secteur de l’habitat, d’autant plus que les opérateurs privés ont échoué à répondre aux besoins du marché en matière de logement social ou même de logement tout court.
Ce n’est pas que le secteur privé soit dépassé par la demande ; au contraire, son offre ne prend pas en compte les besoins des diverses couches sociales. Ce déséquilibre entre l’offre et la demande sur le marché immobilier s’est traduit par une augmentation du nombre de logements vacants en Tunisie.
Selon les statistiques, la part du parc de logements vacants est passée à 17 % en 2014, et la production a atteint 1,53 logement par ménage additionnel au cours de cette même année. En attendant la publication des résultats du recensement général, ces chiffres auraient encore augmenté au cours de la dernière décennie.
Des décisions qui annoncent la couleur
Aujourd’hui, la pénurie qui étouffe le marché foncier, la hausse soutenue des prix du logement et l’absence de financements bancaires diversifiés ont pratiquement exclu les classes moyennes et les ménages à bas revenus du marché du logement formel, surtout dans les grandes villes, où se concentrent plus de 60 % de la demande.
C’est pourquoi l’Etat œuvre aujourd’hui à réhabiliter son rôle social dans ce secteur, qui revêt une importance cruciale, non seulement pour son aspect social, mais aussi pour son poids économique, puisqu’il possède un effet d’entraînement sur les autres activités économiques.
Ainsi, l’appel du président de la République, Kaïs Saïd, adressé aux opérateurs immobiliers et fonciers publics afin qu’ils rétablissent leur rôle et assument pleinement les missions pour lesquelles ils ont été créés, annonce la couleur et traduit clairement la nouvelle politique sociale de l’Etat dans le secteur de l’habitat.
En effet, la décision du chef de l’Etat de céder des terres domaniales, au dinar symbolique, à la Snit et à l’AFH, afin de lever ce goulot d’étranglement qu’est la crise foncière, aura un impact très positif, de surcroît régulateur, sur le marché du foncier. Cette décision contribuera à réduire le coût de la production immobilière pour les opérateurs publics et, à moyen terme, à atténuer la tension sur le marché du logement.
La réinstauration du mécanisme de location-vente permettra, quant à elle, de pallier le manque d’offres de financement adaptées aux couches sociales moyennes et aux revenus modestes. Ainsi, en redonnant un rôle central aux opérateurs publics et en facilitant l’accès au foncier, l’Etat pose les bases d’un avenir où le logement social redevient un pilier du développement urbain. Si cette dynamique est maintenue, elle pourrait non seulement réduire la précarité résidentielle, mais aussi relancer tout un écosystème économique au service d’un habitat plus inclusif et accessible.