
Par Brahim LETAIEF*
Une publicité bien dosée est efficace. Trop de pub tue la pub … et le feuilleton avec. L’excès de coupures publicitaires nuit à l’engagement du public, à la fluidité du récit et à la qualité des productions télévisées, particulièrement durant le mois de Ramadan, où les feuilletons connaissent un pic d’audience en Tunisie.
Chaque année, plus de 80 % des investissements publicitaires sont concentrés sur cette période, entraînant une multiplication des interruptions sans véritable stratégie de la part des planificateurs médias et des chaînes de télévision, qu’il s’agisse de la télé, de la radio ou du digital. Cela a un impact direct sur le récit et l’expérience du spectateur et cause une rupture du rythme narratif, car un feuilleton repose sur une continuité émotionnelle. Des coupures trop fréquentes brisent l’immersion du spectateur et rendent les transitions moins fluides.
Perte de tension dramatique
Ces multiples interruptions entraînent aussi une perte de tension dramatique : une publicité placée en plein suspense ou avant une révélation diminue l’impact émotionnel de la scène. Le désengagement du public est aussi une conséquence de ces interruptions répétées qui frustrent les téléspectateurs, et qui finissent par décrocher, zapper ou se détourner du programme. Il s’agit aussi d’altération de la perception du contenu, lorsque l’histoire est sans cesse interrompue par des messages commerciaux, le spectateur peine à s’investir dans l’intrigue et les personnages. Et cela entraîne une modification artificielle de la structure du feuilleton, quand l’excès de coupures force un montage spécifique qui peut nuire à la narration originale.
Et, enfin, la réduction du temps réel de l’épisode, avec une diffusion entrecoupée de trop de publicités qui diminue la durée effective consacrée à l’histoire, rend l’expérience moins satisfaisante.Par ailleurs, quand un acteur devient omniprésent c’est un autre effet secondaire de cette «orgie publicitaire» qui réside dans la surexposition des comédiens. Lorsqu’un acteur est à la fois au cœur d’un feuilleton et d’une campagne publicitaire diffusée dans le même créneau, cela peut perturber le spectateur. Nous parlons ici de rupture de l’illusion narrative. Voir un personnage intense dans une scène dramatique, puis le retrouver immédiatement après dans une publicité humoristique casse l’immersion. Avec cette confusion des rôles, le spectateur vit une association inconsciente entre le personnage du feuilleton et l’image véhiculée par la publicité et cela peut brouiller sa perception. Nous pouvons même parler de saturation visuelle, car trop de visibilité entraîne un effet de lassitude, surtout si l’acteur apparaît dans plusieurs spots publicitaires. Nous pouvons également évoquer une perte de crédibilité quand un comédien trop associé à une marque ou à un spot caricatural peut voir son image fictionnelle affaiblie.
Un bon dosage est essentiel
Trouver l’équilibre entre publicité et contenu est crucial pour garantir une expérience de visionnage agréable. Voici quelques principes pour éviter l’effet « trop de pub, je zappe»:
d’abord, limiter le nombre de coupures. Pour un feuilleton de 45 minutes, 3 à 4 pauses suffisent. Pour un format plus court (25-30 min), 1 à 2 coupures sont recommandées. Ensuite, espacer intelligemment les interruptions avec une pause toutes les 15 minutes permet de préserver le rythme narratif sans frustrer le spectateur. Placer les publicités aux bons moments. Idéalement, elles doivent apparaître à des transitions naturelles (changement de décor ou de scène) et non en plein milieu d’un dialogue crucial. Réduire la durée des coupures avec une pause publicitaire ne devrait pas excéder 2 à 3 minutes pour éviter la lassitude. Et, enfin, tenir compte des nouveaux modes de consommation. À l’ère du streaming et du replay, une diffusion trop envahie de publicités peut pousser les téléspectateurs vers des plateformes sans interruptions. Et pour finir, une publicité bien dosée est efficace. Trop de pub tue la pub… et le feuilleton avec.
B.L.
* Réalisateur et producteur de cinéma