
En exportant une diversité de biens et de services vers plusieurs marchés africains, la Tunisie confirme son potentiel à s’imposer comme un acteur clé sur le continent. Portés par un savoir-faire reconnu et une industrie diversifiée, ses produits séduisent de plus en plus. Mais pour tirer pleinement parti de ce potentiel encore sous-exploité, il reste à lever les freins persistants liés à la logistique, au financement et à la réglementation de change.
Bien que les exportations tunisiennes à destination du marché africain, et particulièrement subsaharien, demeurent faibles en volume — en raison d’une orientation structurelle vers l’Union européenne — le “Made in Tunisia” commence néanmoins à se faire une place dans plusieurs pays du continent. En 2024, quelque deux mille entreprises tunisiennes ont exporté vers l’Afrique, pour une valeur de 6,4 milliards de dinars, soit près de 11 % du total des exportations tunisiennes.
Ce chiffre révèle à la fois un potentiel sous-exploité en matière d’échanges commerciaux avec le reste du continent et une ferme volonté des opérateurs économiques tunisiens d’être présents dans l’un des marchés les plus prometteurs au monde. Car il convient de le rappeler: dans un monde ébranlé par une guerre commerciale sans précédent, le continent africain demeure un pivot essentiel des échanges internationaux. C’est ce qui explique d’ailleurs, la convoitise dont il fait l’objet, tant de la part des grandes puissances économiques que de pays voisins.
Non seulement l’Afrique regorge de ressources rares mais aussi elle est en train de subir des transformations majeures notamment sur le plan démographique avec un nombre d’habitants qui a atteint 1,52 milliard dont 60% de jeunes de moins de 25 ans et également, sur le plan économique avec un taux de croissance dynamique et une intégration croissante dans les chaînes de valeur mondiales.
Le “Made in Tunisia” s’installe lentement mais sûrement sur les marchés africains
Traditionnellement, la part des exportations tunisiennes vers le marché subsaharien oscille autour de 2 %, les pays d’Afrique du Nord demeurant les principales destinations africaines. Cette faible présence sur les marchés subsahariens — qui représente un manque à gagner estimé à plus de 1 milliard de dinars selon plusieurs études — s’explique par trois freins majeurs, souvent dénoncés par les entreprises tunisiennes.
D’abord, l’insuffisance de liaisons aériennes et maritimes directes freine la mobilité des entrepreneurs et le développement des échanges. Ensuite, le désengagement des banques, souvent frileuses à financer l’expansion africaine des entreprises tunisiennes. Enfin, la rigidité de la réglementation des changes dissuade bon nombre d’entre elles d’envisager une internationalisation vers des marchés jugés risqués.
Même si la structure des exportations tunisiennes vers l’Afrique a peu évolué ces dernières années, la présence des entreprises tunisiennes dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou la Guinée est bien réelle d’autant plus que les produits exportés sont exclusivement fabriqués en Tunisie et non sous le régime offshore. Avec plus de 41 marchés destinataires, la Tunisie est aujourd’hui le pays africain qui possède le plus grand nombre de partenaires commerciaux sur le continent.
Ce dynamisme, régulièrement mis en avant dans diverses études, a permis au “Made in Tunisia” de gagner en visibilité, notamment dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest où les entreprises tunisiennes sont particulièrement actives. Selon Anis Jaziri, président de la Tabc, le nombre d’entreprises tunisiennes implantées en Côte d’Ivoire est passé d’une dizaine en 2014 à plus d’une centaine en 2024. Cet intérêt grandissant pour un marché qui, tout de même, demeure traditionnellement prisé par les investisseurs et entreprises tunisiens, le dispute à un autre marché qui est aujourd’hui en train d’attirer les regards des opérateurs économiques tunisiens, en l’occurrence le marché sénégalais. C’est ce qui a, d’ailleurs, poussé le Cepex qui dispose de 6 représentations commerciales en Afrique subsaharienne, d’ouvrir en 2023 une nouvelle représentation à Dakar.
Adhésion aux zones de libre-échange en Afrique: un pas important …
Malgré les obstacles logistiques persistants — véritable talon d’Achille du commerce tunisien — l’État affiche une volonté claire de diversifier ses débouchés à l’export, avec une orientation stratégique vers les marchés subsahariens. L’adhésion à la zone de libre-échange Comesa en 2018, puis à la Zlecaf, s’inscrit dans cette dynamique. Certes, les retombées restent modestes pour l’instant, mais grâce à l’adhésion au Comesa les signes d’un basculement vers l’Afrique de l’Est, encore peu explorée par les opérateurs tunisiens, se précisent.
Le Kenya, longtemps en dehors des radars tunisiens, émerge aujourd’hui comme un partenaire pivot, servant de hub logistique vers des pays non membres du Comesa. Les produits tunisiens, en particulier les denrées alimentaires, y trouvent une demande croissante. Au-delà des biens, la Tunisie souhaite aussi exporter son savoir-faire. Formation, ingénierie, santé : autant de secteurs où l’expertise tunisienne est reconnue.
Là encore, la faiblesse de la connectivité reste un obstacle. Quant à la Zlecaf, plusieurs études soulignent que la Tunisie figure parmi les pays les mieux placés pour en tirer profit, grâce à la diversification de son tissu industriel. Mais ce mégaprojet, de par son ampleur et la complexité du processus d’intégration à l’échelle continentale, en est encore à ses débuts. En attendant, de nouveaux secteurs se frayent un chemin vers les marchés africains. C’est le cas du secteur oléicole dont les exportations vers les pays subsahariens ont connu, en 2024, une forte augmentation de plus de 50 % ou encore du secteur des fintechs et plus généralement des startups dont 6% opèrent déjà sur le marché subsaharien.