
Cela s’est passé le 27 mars dernier au siège du district du Kram de la Société tunisienne d’électricité et de gaz, plus populairement connue par l’appellation «Steg». On était un jeudi, l’avant-dernier jour précédant le long week-end de la fin du mois de Ramadan et des fêtes de l’Aïd. Les clients venus s’acquitter du montant de leurs factures n’étaient pas très nombreux mais l’ambiance était à la nonchalance.
Sur trois guichets censés accueillir la clientèle pour des consultations diverses, deux seulement étaient de service, les numéros un et trois. Ce dernier était réservé aux clients désirant obtenir une «facture duplicata», mais l’agent chargé de cette tâche ne s’y trouvait pas au moment où je retirais le ticket portant le numéro d’ordre 737 dûment daté à la minute près et portant la mention : «20 personnes en attente». Ces 20 clients étaient là, sagement assis sur la quintuple rangée de sièges impeccablement alignés face aux guichets.
Un bon moment après, l’agent vient reprendre possession de sa place derrière le guichet. En d’autres temps, on aurait présumé qu’il s’était accordé quelque repos pour fumer une cigarette ou pour boire un café avec des collègues. Mais, en plein mois de Ramadan, on chasse tout de suite ce soupçon impie pour supposer que c’était pour quelque autre nécessité de service. D’où la patience de l’assistance.
L’assistance a deviné à travers le mot « bloc »
qui revenait sans cesse
qu’il s’agissait de mécanique auto
L’agent était un jeune homme bien de sa personne. Souriant, poli, patient, même avec cette jeune, jolie et néanmoins exaspérante personne qui ne cessait de répéter les mêmes questions sous des formulations diverses. Il était si disponible qu’il a même trouvé le temps au cours des tergiversations de la cliente d’accueillir un collègue venu de derrière les guichets pour parler d’une question dont l’assistance, involontairement associée à l’entretien, a deviné à travers le mot «bloc», qui revenait sans cesse qu’il s’agissait de mécanique auto. Puis on parle d’argent et d’autres détails relatifs à une transaction.
Le travail reprend pour servir deux ou trois autres clients et puis l’agent disparaît à nouveau. On s’imagine quelque autre nécessité de service. Et, à nouveau, on fait preuve de compréhension et de patience. Les minutes passent. Par dizaines. Combien a duré l’absence ? Assurément, plus d’une demi-heure. Là, ça commence à murmurer dans les rangs. Puis l’exaspération se fait sentir à travers diverses apostrophes. Je me rends dans le «saint des saints» pour protester et demander des explications. Lorsque je pousse la porte donnant sur le vestibule de l’administration, je surprends le planton qui, d’ordinaire, est en charge de la défense de ce territoire interdit au public poussant un agent en direction du guichet déserté par l’absent.
Le Monsieur était donc allé régler une affaire personnelle, laissant là, en plan, des dizaines de personnes qui n’avaient qu’un seul tort : être patientes au lieu de protester véhémentement à chaque manquement au devoir. Il n’avait pour elles que mépris. Le méritaient-elles, elles qui assurent le règlement non seulement de leur consommation mais également ses émoluments à lui et même sa facture d’électricité et de gaz dont on devine qu’elle pourrait être élevée au regard de la totale gratuité dont bénéficient lui et ses collègues ?