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Opinion : Les challenges (2019-2024) du futur président de la République tunisienne

L’opinion publique faisant le raccourci de Hannibal à Bourguiba, avec les prémices d’espoir qui renaissaient du vivant de BCE, se trouve aujourd’hui désorientée à l’issue du casting en cours. La démocratie balbutiante nous a déçus dans notre amour propre. En effet, elle a dévoilé hélas l’étendue et la profondeur de nos hommes. Un vide effrayant, monstrueux et sidéral de leadership. La liste finale des candidats retenus présentée par l’Isie n’emballe pas vraiment le public. Entre supposé mafieux, apprenti-dictateur, novice, populiste, et démagogue, aucun premier choix naturel ne semble émerger, ce qui nous conduira inéluctablement à l’appui d’un processus de choix par élimination vers le moins pire. Pas simple pour un peuple qui souffre de plusieurs maux mais surtout moraux. La Tunisie a besoin aujourd’hui de talents au plus haut sommet de la pyramide. Quelqu’un en mesure de provoquer des miracles économiques et sécuritaires. L’heureux ou le malheureux candidat devrait s’attendre à cinq années compliquées. Tenant compte de ses prérogatives confinées aux affaires étrangères et militaires, son champ d’action sera limité. Néanmoins, avec le prestige et l’aura que lui confère ce poste, il pourrait jouer sur le moral du pays. Par quoi devrait-il commencer ? Que devrait faire le futur Président ? Quels devraient être ses challenges ?

Rappelons ici que les prérogatives de la Présidence de la République après la révolution sont loin de la suprématie d’avant. Deux champs techniques lui restent dans son portefeuille : l’armée et la diplomatie. Néanmoins, il lui reste un autre champ, un champ politique et qui n’est pas des moindres. Dans la position du « Père de la nation », selon sa personnalité et sur les pas de « Béji Caïd Essebsi » il pourrait avoir un rôle incitateur de débats publics mais aussi de fédérateur. Ce qui ramène l’ensemble à trois gros challenges.

Challenge numéro 1 : Etendre et renouveler notre diplomatie internationale

L’Afrique notre continent, si loin et si proche à la fois nécessiterait de la part du futur Président une attention particulière. Le potentiel que représente l’Afrique pour les 100 années à venir n’est plus à démontrer aujourd’hui. La portée des initiatives de Habib Bourguiba juste après l’indépendance en témoigne grandement. Hélas, l’élite politique tunisienne a toujours vu d’un angle réducteur la concentration de l’activité diplomatique sur ce continent. Même si l’angle pris par la récente réunion du G7 porte essentiellement sur les enjeux climatiques et les inégalités, l’intérêt économique reste prédominant comme en témoignent les différents Sommets en la matière : le 7e sommet Japon-Afrique à Tokyo (28 août 2019), également le Sommet Chine-Afrique, les 3 et 4 septembre 2019 à Pékin et le futur événement organisé en Russie à Sotchi pour le premier sommet Russie-Afrique du 22 au 24 octobre. L’engouement et l’appétence qu’ont ces puissances vis-à-vis de notre continent devraient être amplement suffisants pour faire de l’Afrique une priorité indiscutable. Le futur président de la République devrait, à travers le ministère des Affaires étrangères, établir une feuille de route où l’Afrique est au cœur de ses priorités avec comme axes directeurs :

• La réforme de notre chancellerie

• Le renforcement des échanges commerciaux

• L’amélioration de notre attractivité académique.

• Le développement de la visibilité et de l’accessibilité à nos services de santé

Nous avons une nation amie de longue date et qui a déjà fait ses preuves sur ce territoire et avec laquelle nous pourrions nous appuyer dans une relation gagnant-gagnant. En effet, notre relation avec la France est une relation plurielle. D’abord c’est notre premier partenaire commercial, ensuite c’est un pays « ami » et enfin c’est le pays qui accueille le plus de Tunisiens expatriés au monde. Donc il faudrait maintenir des relations fortes sans pour autant se soumettre. Garder la France proche, sans pour autant lui laisser trop d’espace pour tomber pour l’un dans l’allégeance et pour l’autre dans l’ingérence. En 2020 aura lieu le Sommet de la francophonie et le Président devrait profiter de cet événement pour renforcer nos liens amicaux, culturels et surtout économiques. La France et ses entreprises ont davantage privilégié le Maroc. La Tunisie, à travers son président et sa diplomatie, devrait rendre plus accessibles les marchés français et l’implantation de grandes entreprises françaises sur le continent — sans pour autant exclure les autres partenaires fidèles, discrets et solides à l’image de l’Allemagne. Pour cela il faudrait se placer comme partenaire stratégique sur des sujets clés dans lesquels la France est fortement engagée et où nous pourrions jouer le rôle de pièce maîtresse dans notre région. Parmi les priorités sur le continent africain figure la résolution de la crise libyenne où la France a paru peu convaincante dans son rôle d’initiateur, mais également dans sa gestion de cette crise.

La crise libyenne est par osmose une crise tunisienne. Elle aurait pu être en même temps une priorité et une opportunité. Elle est encore un peu loin de l’opinion publique tunisienne. Très peu débattue sur les plateaux tunisiens et noyée dans le quotidien, la crise représente pourtant une réelle opportunité sécuritaire, économique et politique pour la Tunisie. Ce sujet délicat est par essence un sujet de la présidence de la République dans la mesure où c’est politique, diplomatique et également sécuritaire.

Challenge n°2 : Renforcer et protéger l’intégrité de l’armée

L’armée a joué un rôle déterminant en gardant ses distances de toute force civile. Le peuple, dans ses moments de désespoir, implore sa supposée force à réguler la situation. La tentation est forte entre l’envie de sauver le pays et l’envie de laisser la démocratie s’autoréguler. Laisser l’armée s’immiscer pour reprendre le guidon du pouvoir avant tout chavirage est délicat mais tentant. Si la situation critique perdure, le rôle du futur Président de la République sera déterminant dans la mesure où il est l’unique point de jonction entre le civil et le militaire, garant de l’ordre suprême, de la protection de l’Etat, de sa Constitution et des acquis de la révolution tunisienne.

D’ici là, la Tunisie a une mission, qui n’est pas des moindres, à assurer. Cette responsabilité coïncidera avec le calendrier de prise de pouvoir du futur Président de la République et qui impliquera ses deux prérogatives (militaire et diplomatique), à savoir l’intégration de la Tunisie dans le Conseil de sécurité.

Quel profit pourrait la Tunisie en tirer ? Peu ou pas grand-chose dans le concret. Cependant, selon le courage et l’imagination du futur président de la République, une belle carte serait à jouer en s’appuyant sur l’armée tunisienne. Revenons sur un point discuté plus haut : le dossier libyen. Grâce au Conseil de sécurité, la Tunisie aurait durant ces deux prochaines années (qui me semblent au stade actuel cruciales dans la résolution de la crise libyenne) un rôle déterminant. Notre chef des forces armées devrait à travers cette participation veiller scrupuleusement aux intérêts du peuple libyen, en l’occurrence travailler sur le retour de la sécurité, l’éradication des factions, la reconstruction de la légitimité de l’Etat, et garantir l’union nationale et l’intégrité territoriale.

Challenge n°3 : Moralisation de la vie politique et respect de la Constitution

La majorité des candidats sont sans parti politique. Or, gouverner sans avoir avec soi l’Assemblée nationale n’est autre qu’une forme de cohabitation. Sera-t-elle entre islamistes et gauchistes, islamistes et libéraux ? Dans tous les cas une gouvernance partagée sera imposée. Bien des slogans aujourd’hui sont dans l’exclusion de toute collaboration avec ce parti taxé de sulfureux.

Le positionnement du candidat, au lendemain de son élection sera déterminant. En effet, quelle distance prendra-t-il vis-à-vis des campagnes législatives ? Soutiendra-t-il un parti au détriment de l’autre ? Ce n’est pas aussi évident à exprimer. Se positionnera-t-il comme fédérateur, rassembleur ? Aura-t-il un rôle non constitutionalisé que jouait le Président défunt, à savoir celui du père rassembleur, batailleur et stimulateur ? Ou, surfera-t-il sur les vagues des divisions et renforcera-t-il le clivage dans la quête aux soutiens à tout prix ?

La rapacité des politiciens de l’ancien monde et de leurs nouveau-nés n’est plus à démontrer. Vous avez des partis mortifiants sans avenir et désossés qui se réveillent du jour au lendemain pour soutenir un candidat avec l’unique motivation idéologique « l’opportunisme ». Vous rencontrez également la volatilité des députés qui gambadent d’un parti à l’autre, d’un lobby à un autre avec pour seule doctrine « le plus offrant ». Toutes ces pratiques au su et au vu des citoyens, ont pour effet non seulement de les dégoûter, mais aussi de donner du crédit à tout politicien avec un effet néfaste d’exemplarité. C’est précisément maintenant ou jamais que le rôle moralisateur du chef de l’Etat est essentiel pour installer solidement la noblesse des actes et transformer la pratique politicienne de l’archaïsme vers l’utilitarisme. Néanmoins, pourrait-il s’attaquer à l’archaïsme sans ouvrir le chapitre de la corruption qui gangrène le pays, sans résister à la pression de la complaisance et sans s’opposer aux compromis compromettants ?

La faiblesse actuelle du leadership à conduire les réformes et à gouverner pousse certains partis à pencher pour la fuite en avant en cherchant à réformer la Constitution, passant d’une constitution garante du partage et de la séparation des pouvoirs à une constitution qui concentre les pouvoirs. A vrai dire, je pense que tous les modèles se valent. Il n’y a pas et il n’y aura pas de modèle parfait. Cependant, le coût en temps, en sang et en argent de la Constitution actuelle devrait nous dissuader de prendre le luxe d’en refaire une nouvelle, sachant que la nouvelle forme envisagée est quasi celle d’avant la révolution. Donc pour quoi faire ? Encore une fois, c’est là où le Président est appelé à veiller et à surveiller la dérive parlementaire.

Le peu de prérogatives du futur président de la République peut être perçu comme réducteur dans une société orientale habituée par un calife à la place d’un calife doté de pouvoirs absolus à la limite du divin. Certains démagogues sont allés très loin dans leurs discours se positionnant comme omnipotents parlant d’économie, d’éducation, de santé publics… et beaucoup d’autres sujets qui ne sont pas du tout dans leurs prérogatives. Les trois challenges présentés ici sont avant tout complexes. Complexes dans le sens latin du terme. Conduits simultanément et de manière cohérente, ces défis pourraient impacter indirectement plusieurs sujets plus larges et rehausser ainsi le bien-être économique et social.

Kaïs MABROUK (Universitaire)

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