Accueil Economie Tribune – Impôt sur la fortune immobilière : Quand l’incertitude fiscale fragilise la confiance

Tribune – Impôt sur la fortune immobilière : Quand l’incertitude fiscale fragilise la confiance

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Depuis quelques mois, de nombreux contribuables tunisiens reçoivent des avis émis par l’administration fiscale les informant qu’ils sont en défaut de dépôt de la déclaration relative à l’impôt sur la fortune immobilière. Cet impôt, instauré par l’article 23 de la loi de finances 2023, vise les patrimoines immobiliers d’une valeur égale ou supérieure à trois millions de dinars. Les personnes concernées disposent de 30 jours pour régulariser leur situation, sous peine d’une taxation d’office.

Or, plusieurs cas montrent que même des contribuables ayant estimé leur patrimoine en dessous du seuil légal ont reçu des arrêtés de taxation. Cette situation soulève une série de questions fondamentales : l’administration fiscale est-elle en droit — et en capacité — d’évaluer un bien immobilier ? Et les contribuables disposent-ils réellement des moyens nécessaires pour remplir cette nouvelle obligation dans des conditions juridiquement sécurisées ?

Une estimation opaque, une obligation risquée

La législation impose aux contribuables la déclaration de la valeur de leurs biens immobiliers dès lors qu’ils atteignent ou dépassent trois millions de dinars. Mais comment répondre à cette obligation sans accès à des référentiels fiables ni méthode d’évaluation reconnue ? Les contribuables ne sont ni des notaires ni des experts immobiliers. Ils ne disposent ni des compétences ni de l’autorité pour évaluer la « valeur commerciale » de leur propre patrimoine.

De son côté, l’administration fiscale adresse des mises en demeure en s’appuyant sur une estimation qu’elle ne communique pas. Le contribuable découvre la valorisation retenue uniquement au moment de la réception de l’arrêté de taxation. Et encore, il ne peut en discuter les bases, car l’administration lui notifie directement un arrêté de taxation, conformément au paragraphe 2 de l’article 47 du Code des droits et procédures fiscaux, ce qui le contraint à saisir directement le tribunal.

Devant le tribunal, seul l’article 62 du code des droits et des procédures fiscaux permet une véritable évaluation, via la désignation obligatoire d’un expert judiciaire. Mais ce processus long, coûteux et incertain est loin de garantir l’égalité des chances entre l’administration et le contribuable. Il constitue même, à certains égards, une entrave au droit fondamental de se défendre – d’autant plus préoccupante que cet impôt a été adopté sans un débat parlementaire.

Une méthode d’évaluation, sans fondement légal

Autre point problématique : la méthode d’évaluation appliquée par l’administration. De nombreux arrêtés de taxation reposent sur une revalorisation automatique de 10 % par an de la valeur des biens. Ce taux, repris sans justification, semble inspiré des règles d’actualisation utilisées pour le calcul des plus-values immobilières. Or, il est inadapté à la détermination de la valeur de marché actuelle, laquelle dépend d’une multitude de paramètres : emplacement, offre et demande, contexte économique, typologie du bien.

Le plus étonnant reste l’absence d’utilisation des indices des prix de l’immobilier publiés par l’Institut national de la statistique, classés par catégorie de biens et par région. Ces données, pourtant précieuses, sont ignorées alors qu’elles pourraient constituer une base objective et partagée entre contribuables et administration.

Des évaluateurs sans habilitation

Dans la phase judiciaire, l’évaluation immobilière est confiée à des experts agréés, dûment qualifiés et indépendants. A l’inverse, les agents de l’administration fiscale ne disposent ni d’une spécialisation adéquate, ni d’une reconnaissance légale pour estimer des valeurs immobilières. Aucun texte n’encadre ni ne légitime une telle compétence, ce qui remet en cause la validité juridique des décisions de taxation fondées sur leurs estimations.

Des garanties minimales pour des enjeux majeurs

Le principe de légalité fiscale exige transparence, prévisibilité et sécurité juridique. Ces exigences ne sont pas remplies dans la mise en œuvre actuelle de l’impôt sur la fortune immobilière.

Le contribuable est placé dans une position d’incertitude permanente : il doit déclarer sans savoir comment, et contester sans pouvoir discuter le fond de l’évaluation.

Il est donc urgent d’instaurer un cadre clair, fondé sur des indicateurs de marché reconnus, une méthodologie accessible et un véritable droit au recours sur les éléments substantiels, notamment la valeur du patrimoine estimé.

Au final, l’exception ne doit pas devenir la règle

L’impôt sur la fortune immobilière pourrait constituer un instrument de justice fiscale et de contribution équitable. Mais dans sa configuration actuelle, il devient un terrain propice à la contestation et à la rupture de confiance entre l’administration et les citoyens. Sans réforme, il risque d’aggraver le sentiment d’insécurité juridique dans un contexte où la relation entre l’Etat et le contribuable est déjà marquée par la défiance.

N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.
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