Les événements survenus jeudi 19 septembre au Palais de Justice à Tunis et opposant les avocats des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi au procureur de la République, qu’ils accusent d’ignorer leurs doléances, ont malheureusement réveillé certains démons que beaucoup croyaient enterrés à jamais
Beaucoup d’observateurs et d’analystes n’ont pas manqué de s’interroger, tout au long de la campagne présidentielle, sur l’absence dans le débat général du dossier de «l’appareil secret» imputé par le collectif de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi à Ennahdha.
Pour être plus clair, personne parmi les candidats à la présidentielle, notamment ceux se réclamant de la gauche, n’a placé ce dossier au centre de sa campagne et n’a fait de promesses pour faire éclater la vérité, à l’exception du candidat indépendant Abdelkrim Zbidi qui y a fait une allusion très discrète parmi les cinq points de son programme présidentiel.
Et le premier tour de l’élection présidentielle de dégager deux candidats qui se disputeront la présidence de la République sans qu’aucun citoyen, y compris parmi les proches de Nabil Karoui ou de Kaïs Saïed, ne sache ce qu’il adviendra du dossier de «l’appareil secret».
Sera-t-il, enfin, soumis à la justice pour que les Tunisiens sachent au moins une information initiale, à savoir existe-t-il réellement comme le soutiennent depuis près d’une année les avocats de Belaïd et Brahmi, les membres qui le composent (au cas où son existence serait prouvée) sont-ils effectivement impliqués dans l’assassinat des deux martyrs ou, enfin, constitue-t-il, en réalité, une fiction ou une invention de la gauche tunisienne dans le but d’accuser gratuitement et injustement Ennahdha, comme ne cessent de le répéter les ténors du parti de Montplaisir ?
Jeudi 19 septembre 2019, la campagne pour les législatives du 6 octobre prochain a décidé de s’installer au Palais de Justice relevant du Tribunal de première instance de Tunis, via les avocats de Belaïd et Brahmi qui ont décidé de réveiller l’affaire de «l’appareil secret» en exigeant du procureur de la République, Béchir El Akremi, de répondre à leur requête à propos de l’affaire de ce même appareil, soit en ouvrant une enquête, soit en déclarant leur plainte irrecevable et, par la suite, décider de la classer.
Sauf que la nouveauté réside cette fois en le fait que les avocats ont décidé d’investir le bureau du procureur de la République pour exiger qu’il leur livre la réponse qu’ils demandent. Au cas où il continuerait d’ignorer leurs revendications, comme ils l’accusent depuis près d’une année, ils organiseront un sit-in au sein même du bureau jusqu’à ce que leurs doléances soient satisfaites.
Et la situation de connaître un tournant qu’on qualifie maintenant de «précédent grave», de «menace pour la sécurité nationale», de «première dans les rapports avocats-juges» quand les avocats sit-inneurs ont été débarqués — «par la violence», accusent-ils — par les forces de l’ordre, sur décision du procureur de la République.
Faire prévaloir la voix de la raison
Entre «le soutien absolu» qu’a apporté l’Ugtt aux avocats, l’appel lancé par le ministère de la Justice «pour maintenir le climat de confiance, de respect et de coopération qui a toujours régné entre les avocats et les magistrats et ceux qui chauffent les tambours pour que les avocats contrevenants soient sanctionnés à la mesure du délit qu’ils ont commis (celui d’avoir — comme l’indique Sofiène Selliti — endommagé le contenu du bureau du procureur de la République, notamment les dossiers), l’heure n’est-elle pas à un dialogue serein et responsable dont l’objectif ultime serait de faire tout dans le but d’annuler la grève générale annoncée à partir d’hier, vendredi 20 septembre, par l’Association des magistrats tunisiens (AMT) qui promet aux Tunisiens des tribunaux sans audiences tout au long d’une semaine ?
Certes, les avocats qui ont fait irruption dans le bureau du procureur de la République ont fauté et leur comportement ne peut être justifié en aucune manière, même si les forces les soutenant, dont en premier lieu l’Ugtt et la Ligue des droits de l’Homme, se sont élevées contre l’intervention des forces de sécurité pour débarquer les avocats sit-inneurs.
Certes, on aurait aimé ne pas voir les rapports avocats-magistrats se détériorer au point de donner l’impression d’une guerre entre les deux professions alors qu’avocats et magistrats sont, en réalité, engagés dans un même combat, celui de l’indépendance de la justice.
Et l’indépendance de la justice, ce sont les avocats, les magistrats, les auxiliaires de justice et aussi les organisations de la société civile réputés pour leur intégrité qui assument la responsabilité de concrétiser dans la vie de tous les jours.
Les joutes oratoires qui occupent les plateaux TV à longueur de soirée et les interminables polémiques opposant les politiciens qui n’ont pas encore compris qu’ils se trompent de bataille en cherchant à mettre sous leur coupe les juges ou certains parmi eux ne sont pas de nature à assainir le climat politique régnant et à faire en sorte que les législatives et aussi le second tour de l’élection présidentielle se déroulent dans les meilleures conditions possibles.