Une réconciliation très problématique : Sauver l’avenir de la République

Une défaite salutaire, un coup de tonnerre dont les retombées pourraient sauver la grande famille centriste, mais à condition que les membres de cette même famille comprennent que l’heure est au rassemblement, à la communion et au dépassement des ambitions personnelles.

A la suite du 1er tour de la présidentielle, Mohsen Marzouk a reconnu sa défaite et celle de ses «demi-frères ennemis» issus de l’ex-Nida Tounès historique. Car pour tout ce monde, il s’est agi d’une défaite solidaire sanctionnant l’absence totale de solidarité au sein de la «famille» des nidaïstes historiques et des centre-gauche. Même si, en fait, sentant la défaite généralisée, Marzouk s’était retiré trois jours avant le vote, suivi de Slim Riahi.

Cette cuisante défaite électorale provient de l’égoïsme indiscutable de ces trop nombreux candidats à la présidentielle qui rêvaient chacun d’une victoire solitaire qui en ferait «le» Bourguiba du vingt-et-unième siècle. Et de leur foi en leur capacité — chacun dans son petit coin — à fédérer, à lui tout seul, tous ceux qu’avait rassemblés feu Béji Caïd Essebsi en quelques semaines, soit un million et demi de Tunisiens.

Le tournant du décès de BCE

C’est vrai que le décès du président, en renversant le calendrier des deux suffrages, exigeait d’accélérer les décisions de candidature et a donc écourté la réflexion et les nécessaires négociations. Notamment entre Hafedh Caïd Essebsi, Youssef Chahed, Saïd Aïdi, Mohsen Marzouk, Salma Elloumi et Slim Riahi. Et, peut-être aussi, Mehdi Jomaâ ou encore Abid Briki. Soit un total supérieur à 50% des votants.

Mais pour cela, il fallait que la conscience de tous ces candidat soit concentrée sur l’impératif de privilégier l’intérêt majeur du pays et de la République. Donc du peuple et de ses mots d’ordre scandés lors de la révolution populaire de 2011.

Maintenant que le déroulement «normal» des élections démocratiques exige de passer au second tour, avec deux candidats désignés par les urnes et bel et bien identifiés, les larmes de crocodile n’y pourront rien.

Mais à la condition d’une suite du processus qui soit vraiment normale, conforme aux exigences d’équité ordonnées par la Constitution de 2014 et les lois du pays. D’où la nécessité de sortir la justice, désormais réputée indépendante, de ce terrible guêpier où l’on a piégé Nabil Karoui, comme étant, ici et maintenant, le plus représentatif des citoyens soupçonnés de fraude fiscale. Alors justement qu’il était numéro 1 dans les sondages électoraux.

Des discutions interminables

Les multiples candidats républicains, centristes, modernistes, progressistes… qui ont été écartés lors du 1er tour sont aujourd’hui dans un désarroi total. Ils affirment tous qu’ils sont dans l’erreur, mais aucun ne reconnaît la sienne. Mais soyons indulgent, puisqu’il s’agit de sauver la République démocratique, celle dépourvue de tout emblème idéologique.

Mohsen Marzouk propose, pour pallier l’éparpillement des voix, de choisir une seule liste de candidats par circonscription, dans le cadre d’un accord qui serait passé entre toutes les parties prenantes, doublé d’un engagement en faveur de Nabil Karoui qui semble désormais acquis. Car la plupart des modernistes et des républicains n’ont pas la preuve de la culpabilité de Karoui et sont même appuyés par l’appel du président de l’Isie à libérer le candidat. En Tunisie, ce qui est pittoresque, c’est que la lutte contre la corruption commence par Nabil Karoui, et à la veille d’élections où il est donné favori.

Entre la République et les comités populaires

Maintenant, il se trouve que le parti Ennahdha appuie le premier arrivé du premier tour, Kaïs Saïed, candidat qui se présente comme «musulman pratiquant» et comme conservateur, déterminé à faire supprimer, «si le peuple y consent», l’Assemblée des représentants du peuple, qui serait remplacée par la fameuse «démocratie directe» à l’utopie de laquelle s’est frotté le système des «soviets» puis celui des «lijen» de la «jamahiria».

Il ne s’agit pas, ici, de déborder sur le terrain des campagnes électorales mais d’éclaircir des notions théoriques désormais bien connues et maîtrisées. Mais que l’électeur ne saisit pas forcément. Sans compter que les introduire chez nous pourrait être interprété comme une renonciation au régime parlementaire adopté par notre Constitution. Un régime rassurant, surtout qu’il est atténué par un président de la République élu au suffrage universel direct. Mais le débat se poursuit avec Ennahdha et même en son sein, pour que le choix du second tour ne soit pas en contradiction avec la stratégie de ce parti islamiste qui semblait se démocratiser. Surtout depuis l’accord de Paris avec Béji Caïd Essebsi.

La «famille» face à un défi majeur

En attendant qu’Ennahdha se décide ou se divise sur un modèle de société, soit la République démocratique, soit l’insurrection qui risque de générer le modèle de la «révolution permanente» qu’appellent de leurs vœux les alliés zélés de Kaïs Saïed, il est question de voir les républicains se réconcilier entre eux.

Or, à ce niveau, il ne s’agit pas seulement d’assurer la pérennité de la République démocratique attachée au suffrage universel, mais de mettre en sourdine ego et prétentions, pour faire prévaloir l’expertise consensuelle d’un collectif de sages, personnalités reconnues qui seront appelées à désigner les meilleures listes de candidats pour les législatives. Puisqu’il s’agit d’un scrutin de liste et qu’il est trop tard pour retenir les unes et retirer les autres.

La «famille» centriste est toutefois contrainte à y consentir, soit selon l’idée exposée par Mohsen Marzouk, soit sous une autre forme à convenir très rapidement. Et il est urgent que tous les candidats du 1er tour se retrouvent.

Ennahdha au carrefour des modèles

Reste le problème de l’alignement d’Ennahdha sur les petits partis maximalistes qui semblaient vouloir lui ravir son radicalisme. 

Ce débordement semblait inquiéter les leaders, d’où la tentation de les réintégrer. Mais cela présente le risque de mettre à zéro la dynamique de l’intégration qui commençait à prendre. Déjà, en analysant la présente crise, le journal Le Monde parle d’Ennahdha en ces termes: le parti islamo-conservateur. On est loin des anciens qualificatifs péjoratifs. 

Si l’intégration souhaitée par Ghannouchi prime, il est à déconseiller de faire le choix de la rupture ou de la fuite en avant. Ennahdha a fait tant d’efforts pour rassurer les modernistes, elle gagnerait à clarifier ses options fondamentales. Il s’agit d’un choix de société.

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