Alors que le monde semble entrer dans une phase d’incertitude au sujet de la mondialisation avec une remise en cause des principes du libre-échange par les Etats-Unis, l’Union européenne continue de promouvoir le libre-échange sans limites avec ses partenaires, notamment la Tunisie. C’est une remarque fort pertinente formulée dans une étude récente élaborée par l’Observatoire tunisien de l’Economie.
La population tunisienne s’est révoltée en 2011 contre le système instauré par Ben Ali mais également contre les conditions sociales et économiques qui résultent des choix effectués au début du mandat de Ben Ali : Plan d’Ajustement Structurel entre 1986 et 1994, accord de libre-échange avec l’Union européenne en 1995. Ces choix ont eu pour conséquence de concentrer d’autant plus l’activité économique sur le littoral de la Tunisie délaissant ainsi les zones intérieures d’où sont parties les révoltes fin 2010.
Ils ont également eu pour conséquence la disparition lente de l’Etat social sur une grande partie du territoire rompant ainsi le contrat social qui liait l’Etat à la population. L’insertionde la Tunisie dans la mondialisation s’est reposée sur une stratégie de compétitivité par les bas salaires obligeant ainsi l’Etat à mettre en place une politique agricole qui fragilise les paysans via des prix de vente bas afin de maîtriser les salaires dans l’industrie de sous-traitance.
Les céréales, principales importations
Malgré toutes ces conséquences, la réponse de l’Union européenne à la révolution tunisienne fut de proposer à la Tunisie un approfondissement de ces politiques en élargissant le libre-échange aux secteurs de l’agriculture et des services, et ce, à travers la proposition d’un Accord de libre échange complet et approfondi (Aleca). Pour ce qui concerne le chapitre sur l’agriculture, l’Union européenne n’indique dans sa proposition du 24 avril 2016 que «la libéralisation des droits de douane». C’est dans le cadre de cette proposition de libéralisation des droits de douanes dans le secteur agricole que s’inscrit cette étude.
Du côté des importations de produits agricoles, de pêche et de produits agricoles transformés, on constate que les principales importations de la Tunisie en provenance de l’UE en 2017 concernent les céréales. L’UE bénéficie déjà d’un tarif préférentiel généreux pour les cigarettes (qui est réciproque) et les préparations alimentaires, ainsi que dans une moindre mesure pour le blé tendre.
Néanmoins pour les autres importations telles que le blé dur, l’orge, l’alimentation du bétail ou les poissons, l’UE ne bénéficie pas de tarif préférentiel particulier. Les tarifs douaniers pour les céréales (hors contingents) et les poissons sont particulièrement élevés et ces produits seront donc particulièrement touchés en cas de démantèlement tarifaire.
Ainsi, l’offre européenne basée sur le principe d’asymétrie dans le démantèlement tarifaire est en réalité basée sur le principe du traitement spécial et différencié octroyé aux pays en voie de développement dont fait partie la Tunisie et ne constitue pas en soi une concession faite à la Tunisie. Par contre, du fait des avantages que la structure a déjà octroyés à la Tunisie, il apparaît à la lumière de ces données que c’est la Tunisie qui va en réalité fournir le plus gros effort de démantèlement tarifaire au profit de l’UE.
Démantèlement tarifaire
Ainsi, le principe d’asymétrie est bien respecté, mais pas forcément dans le sens entendu dans l’offre européenne. L’effort de démantèlement tarifaire sera donc moins lourd pour l’Union européenne et aura des conséquences plus faibles sur son marché interne car elle protège son secteur agricole avec d’autres outils. En effet, grâce à la générosité de son système de subvention agricole, l’UE adopte ainsi une arme doublement efficace. A la fin de l’étude, une conclusion et des recommandations ont été formulées. Les experts notent que les normes SPS constituent l’une des principales barrières non tarifaires au commerce utilisées par les pays développés pour protéger leurs producteurs et notamment par l’Union européenne. Ces dernières sont justifiées par un objectif de politique publique en l’occurrence la santé humaine et animale mais elles représentent également un enjeu commercial et peuvent être utilisées à des fins de protectionnisme. L’accord de l’OMC sur les normes SPS vise à encadrer la mise en place de ces normes par les Etats afin de prévenir leur utilisation à des fins protectionnistes et promeut la coordination des Etats afin d’établir des normes SPS internationales fondées sur des arguments scientifiques au sein des organismes internationaux.
Harmonisation de la législation tunisienne
La proposition du chapitre sur les normes SPS dans l’Aleca en cours de négociation avec la Tunisie s’inscrit dans le cadre de la politique européenne de voisinage (PEV-pays de l’Europe de l’Est et du Sud de la Méditerranée) dont l’un des objectifs est d’intégrer l’acquis communautaire sans perspective d’adhésion, ce qui explique les articles exigeant un rapprochement de la législation tunisienne avec l’acquis communautaire dans le chapitre sur les normes SPS de l’Aleca.
Ainsi, il n’y a pas lieu de négocier cette concession au sein de l’Aleca dans la mesure où la Tunisie n’est pas concernée par le processus d’adhésion. Etant donné le coût prohibitif de l’harmonisation avec l’acquis communautaire, la Tunisie devrait s’en tenir aux normes internationales, pour permettre une meilleure facilité de diversification des marchés et privilégier une approche “équivalence” plus appropriée aux conditions et à la réalité du secteur agricole.
Les normes européennes SPS sont différentes des normes internationales et elles constituent l’un des systèmes SPS les plus complexes et stricts. Les experts ont constaté qu’en parallèle des négociations de l’Aleca, l’Union européenne fait pression via les conditionnalités de prêts afin de faire adopter les dispositions du chapitre de l’Aleca sur les normes SPS au travers d’une loi, la loi sur la sécurité sanitaire et ce par le biais d’un projet de jumelage avec le ministère de la Santé. La loi sur la sécurité sanitaire a été adoptée en février 2019 et engage le processus d’harmonisation avec l’acquis communautaire pour les normes SPS européennes puisqu’elle reprend en grande partie le règlement de l’UE 78-2002 ce qui risque d’affaiblir la partie négociatrice tunisienne.