Tout va revenir au marathon que devra mener le chef de gouvernement désigné sous l’œil attentif de ses mentors. A commencer par des entretiens fondateurs avec les économistes et experts de la finance ainsi que les grandes organisations socioprofessionnelles dont l’Ugtt. Sans jamais oublier que le FMI et la Banque mondiale auront leur mot à dire. D’une manière ou d’une autre.
Le parti Ennahdha a fini par faire le choix d’un chef de gouvernement proche de ses rangs qui promet d’être au diapason des préoccupations des dirigeants majeurs du parti islamiste et notamment de Rached Ghannouchi et Mohamed Ben Salem, deux leaders qui n’ont pas toujours été en phase mais qui semblent déterminés à résorber, la main dans la main, les fourmillements qui sévissent de plus en plus à la base.
Ce bon technicien du secteur agricole, expert en grandes cultures doté d’une petite expérience gouvernementale, présente l’avantage d’être un enfant de l’administration tunisienne qui a également eu à diriger une grande entreprise dans le privé, ce qui lui vaut une connaissance diversifiée de secteurs d’activité économique multiples, soit un statut de manager polyvalent pouvant prendre en charge les divers axes de développement qu’attend le pays.
Mais en choisissant ce profil au détriment de sommités économiques ou financières suggérées, Ennahdha a accepté d’essuyer les critiques de ses partenaires potentiels dans la formation du gouvernement, quitte à mettre à exécution leurs suggestions et propositions lors de l’attribution des portefeuilles techniques et l’élaboration concrète du programme de gouvernement et du contenu des grandes réformes que le pays attend.
Il serait cependant utile d’attendre les premières initiatives et de connaître le profil des partenaires qui vont être associés à l’élaboration des grandes orientations, et la nature des entités politiques qui formeront la majorité parlementaire appuyant le gouvernement. Dans sa première déclaration publique après sa désignation, Habib Jomli a promis que le gouvernement «sera à la hauteur des attentes et des aspirations des Tunisiens», indiquant que le seul critère selon lequel seront choisis les ministres sera la compétence, indépendamment des appartenances politiques. Et d’ajouter qu’il sera ouvert à toutes les forces politiques pour travailler à la mise en place d’un programme gouvernemental répondant aux attentes exprimées lors des dernières élections. Il a enfin affirmé qu’il collaborera avec tous les partis sans exclusion et qu’il comptera sur la coopération des organisations nationales, des différentes instances et de la société civile. Cependant, si l’on excepte l’ébauche de contrat-programme que Ghannouchi a soumis au mouvement Echaâb et à Attayar, il est difficile d’imaginer quelle sera la ligne directrice de Jomli dans l’établissement de son programme et de son équipe.
En fait, depuis la révolution, s’il se trouve que la nouvelle classe politique n’a cessé d’accuser l’ancien régime d’être de droite et de suivre un modèle de développement obsolète, les huit dernières années ont été marquées par des promesses non tenues, sans jamais définir une doctrine ou une stratégie politique effective.
Seuls ont esquissé une timide distribution d’étiquettes les journalistes, experts et commentateurs politiques. C’est ainsi que l’on avait classé Ennahdha et Afek Tounès comme partis libéraux disposés à privatiser les entreprises nationales et à remettre en cause la compensation. Mais la réalité sur le terrain a montré une attitude uniforme de la part de tous les partis à l’égard des grandes options économiques et sociales. De sorte que l’on a fini par reprocher à tous les gouvernements qui se sont succédé, depuis le 14 janvier 2011, d’avoir en tous points maintenu l’ancien système.
Diverses options ont été discutées, plusieurs réformes ont été imaginées, une multitude de correctifs ont été concrètement envisagés…mais le statu quo a, à chaque fois, fini par prévaloir.
Divers observateurs ont imputé cette sorte d’attachement à la tradition, au consensus qui a prévalu, ainsi qu’à la peur du changement. Et c’est là une forme de sagesse. Rappelons-nous les dramatiques «événements du pain» qui ont éclaté le 3 janvier 1984 suite à la levée très partielle de la compensation fin 1983.
Mais il ne faut pas oublier le poids de l’Ugtt qui se présente comme le gardien du temple social. Car la centrale syndicale historique est catégorique sur deux au moins des réformes envisageables : la privatisation et la remise en cause de la compensation. De même est-elle réfractaire à certains investissements étrangers et frileux quant aux termes des contrats et concessions d’exploitation relatifs aux ressources naturelles du pays.
A ce niveau, revenons aux alliances que préconiserait le parti Ennahdha dans la conception du programme et la construction du gouvernement autour de ce programme. Après la volte-face de l’élection du président de l’ARP avec l’appui décisif de Au Cœur de la Tunisie, personne ne sait plus quelle sera la place d’Attayar ou celle du mouvement Echaâb ni à quel niveau Al Karama aura son mot à dire. Et puis, soyons clairs, pas plus que les autres, ces partis n’ont pas de vrai programmes bien concrets.
Tout va donc revenir au marathon que devra mener le chef de gouvernement désigné sous l’œil attentif de ses mentors. A commencer par des entretiens fondateurs avec les économistes et experts de la finance ainsi que les grandes organisations socioprofessionnelles dont l’Ugtt. Sans jamais oublier que le FMI et la Banque mondiale auront leur mot à dire. D’une manière ou d’une autre.