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Tourisme : A l’œuvre de la résilience


Contrairement à ce que plusieurs observateurs pensent, le tourisme n’est pas un secteur d’extrême vulnérabilité face aux crises quels que soient leurs types. En effet, le secteur a fait preuve de résilience face aux défis sécuritaires comme suite aux catastrophes naturelles.


Selon un récent rapport publié par le WTTC (World Travel and Tourism Council) intitulé « Préparation à la crise : Est-ce que vous êtes prêts pour sauver des peuples et des destinations », le coût économique des catastrophes naturelles dans le monde a augmenté pour atteindre les 335 milliards $ en 2017. Aussi, celui des épidémies a atteint, sur la même année, un nouveau record de 570 milliards$.
La réaction des destinations touristiques face aux crises est certainement différente selon les préparations et la politique d’anticipation qui ont été adoptées, d’une part, mais aussi selon la nature de la crise elle-même et son intensité. Dans la plupart des destinations touristiques, l’Etat est hyper-vigilant quant à la gestion des crises afin d’atténuer tout impact possible. Ceci se traduit généralement par la mise en place d’une cellule de crise permanente qui travaille sur des scénarios de conduite d’activité prêts à employer des outils fiscaux et budgétaires d’appui à réactiver en cas de besoin et d’un dispositif de formation orienté vers la gestion des crises dans les sites touristiques ou aussi dans les établissements hôteliers. Après la grande vague des attaques terroristes qui n’a épargné aucune destination touristique cette dernière décennie, le consommateur a aussi développé une certaine résilience et résistance (psychologique) face au terrorisme. Ainsi, la relance d’une destination ayant souffert d’une attaque terroriste demande en moyenne 11.5 mois. Une telle période peut varier entre 2 et 42 mois selon l’intensité de l’attaque et la réactivité des autorités. Pour la Tunisie, ceci nous interpelle sur la reprise de l’activité touristique à partir de 2017 après une crise surgissant en 2015 et qui s’avère une reprise naturelle qui s’est vu confirmée en 2018 et consolidée cette année à travers une amélioration nette des différents indicateurs.
Comme indiqué ci-dessus, le terrorisme, selon l’étude faite par le WTTC, est de nos jours le type le moins impactant entre différentes crises. A titre d’exemple, les catastrophes naturelles, qui se sont multipliées par 4 de 1970 à 2016, nécessitent 16.2 mois pour assurer la relance de l’activité touristique. De leur côté, les épidémies imposent une période de 19.4 mois avant de reprendre le rythme normal des réservations.
Par contre, la crise la plus menaçante envers l’activité touristique étant l’instabilité politique dont les séquelles peuvent durer 22.2 mois en moyenne (et aller jusqu’à 44.9 mois si l’Etat ne prend aucune disposition de remède).
De tels indicateurs, non calculés auparavant, nous orientent en termes de gouvernance afin de valoriser la place de l’industrie touristique au sein de l’économie, l’importance stratégique du secteur et de corriger une fausse appréhension à l’égard de sa résilience face aux crises.

Jouer la carte de la diversification
Dans ce cadre, l’objectif 11 du développement durable s’intéresse à faire de sorte que les villes et les établissements soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables. En effet, les Nations unies prévoient qu’aux horizons de 2050, les deux tiers de l’humanité- 6,5 milliards d’habitants–vivront dans des cités urbaines qui assurent 80% du PIB mondial. Bien que les villes n’occupent que 03% de la superficie de la planète, elles participent à hauteur de 60% de la consommation d’énergie et à 70% des émissions de CO2. C’est pourquoi l’orientation vers des produits de tourisme dits «alternatifs» et implantés essentiellement dans l’arrière-pays pourra contribuer à atténuer la pression sur les villes. Dès lors, plusieurs notions ont fait leur apparition dans l’univers du tourisme, telles que le tourisme vertueux, le slow tourisme, le tourisme rural, le tourisme inclusif, etc. Tous ces concepts convergents vers le même objectif : créer un tourisme résilient en jouant la carte de la diversification.
D’un point de vue marketing, tous les professionnels confirment l’existence d’une demande grandissante sur ces produits alternatifs en cherchant à fuir «la masse». D’ailleurs, les réseaux de distribution assistent, de nos jours, à de profondes mutations grâce à l’apparition de telles niches, en passant du packaging (forfait tout compris) vers le de packaging (où le choix est laissé au client pour confectionner librement les éléments de son séjour). De même, l’apparition de revendeurs spécialistes, de salons de tourisme spécialisés et des formes d’hébergement insolites.
La résilience n’a pas, ainsi, le seul aspect de faire face aux crises, comme l’appréhende une grande part des acteurs touristiques (institutionnels et professionnels), mais aussi d’innover dans l’offre et de hisser la réactivité des territoires face à l’évolution perpétuelle des modes de consommation touristiques. En Tunisie, un exemple très frappant à citer est celui de la région du sud. Souffrant de restrictions de voyages, enclavement aérien, accumulation de l’endettement et insuffisance d’efforts en marketing, cette région se retrouve aujourd’hui avec les deux tiers de son parc hôtelier hors service aussi qu’une bonne partie du matériel roulant. Le tourisme saharien est un exemple de produit alternatif qui peut être efficace en termes d’allongement de la saison touristique sur le littoral. Cependant, ceci n’a pas été le cas car on n’a pas réussi à séduire le touriste saharien de pur sang, mais on a longtemps commercialisé la région sous forme d’excursions complémentaires au balnéaire. Par conséquent, la vulnérabilité de l’activité touristique ici ne revient pas uniquement aux facteurs sécuritaires mais plutôt à des facteurs de gouvernance également.

La formation, un autre champ de bataille
Dans le même contexte, un autre champ de bataille nous paraît évident c’est «la formation et le développement des compétences». La montée en gamme en offres, l’amélioration de la qualité, la pérennité de l’activité touristique sont toutes tributaires de l’existence de compétences confirmées, ayant dans leur background la maîtrise des principes et techniques de gestion des crises, une parfaite connaissance de la communication sensible, le traitement des clients difficiles et familiarisés à la prise de décision sous pression…
Aujourd’hui, ces compétences font défaut dans nos parcours universitaires ou professionnels en matière de tourisme et d’hôtellerie. D’ailleurs, le référentiel des métiers d’usage actuellement tend vers l’obsolescence puisque plusieurs métiers ont disparu ou en voie de disparition suite à leur substitution par de la technologie ou par d’autres prestations à distance. Ce retard dans l’adoption d’un référentiel des métiers à jour impacte indirectement la résilience et la compétitivité de nos établissements touristiques et même de la destination globalement. Pour conclure, on confirme encore une fois que le secteur touristique se dote d’une capacité considérable en matière de résilience face aux risques. Si nous rencontrons encore des difficultés ce n’est pas nécessairement à cause des attentats enregistrés en 2015, mais c’est aussi suite à des problèmes structurels cumulés sur 20 ans ayant touché de plein fouet la compétitivité des acteurs touristiques.

Par Moez Kacem (Universitaire et spécialiste en tourisme)

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