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Opinion | Lettre ouverte à M. le ministre des Affaires culturelles

lettre de dora bouchoucha à mohamed zine el abidine

Monsieur le ministre, je me permets de communiquer avec vous par voie de presse puisqu’il m’a été impossible d’entrer en contact avec vous malgré mes nombreux appels à votre secrétariat et même à votre numéro privé.

Le tollé général suscité par le limogeage de Chiraz Latiri du Cnci émane de la quasi-totalité des opératrices et opérateurs du secteur du cinéma et l’image animée en Tunisie, mais aussi à l’étranger où elle s’est forgé une réputation qui nous honore tous.

Avant d’être à la tête du Cnci, Chiraz a dirigé de main de maître l’Institut des arts multimédia l’Isaam dont sont issus une grande partie des cinéastes qui brillent dans notre pays et un peu partout dans le monde.

Sa vision, son engagement et sa persévérance ont hissé cette institution au rang des écoles qui comptent.

Les deux années et demie qu’elle a passées au Cnci ont fait de cette Ephna, jusque-là ronronnante, une institution dynamique, connue en Tunisie et à l’étranger.

Outre l’efficacité dans le traitement des dossiers pour tout un chacun, qu’il soit réalisateur ou producteur confirmé ou en herbe, elle a réussi à assainir, professionnaliser et fédérer le secteur connu pour ses ego souvent surdimensionnés. Chose qui pouvait paraître impensable il y a à peine deux ans.

Chiraz Latiri a mis la Tunisie, pays de cinéma, sur un pied d’égalité que l’Italie, la France ou les pays du sud de la Méditerranée, et bien sûr l’Afrique et le Moyen-Orient en créant des accords bilatéraux et des fonds d’aide à la création et la formation cinématographique.

Elle a également créé un incubateur des industries digitales (Creative Digital LaB) qui représentent les métiers de demain.

Suite au décès de Nejib Ayed à trois mois des JCC, Chiraz a dû cimenter avec énergie et abnégation une équipe pléthorique, endeuillée, décapitée, un bateau ivre, un bateau sans maître chahuté par les flots.

Chiraz Latiri a dû faire face à un nombre incalculable de problèmes inhérents à l’organisation de cette manifestation d’envergure avec une équipe soudée autour d’elle.

Elle l’a fait avec responsabilité, patience et élégance pour que la session Nejib Ayed  ait lieu dans les meilleures conditions possibles.

Et voilà que vous avez eu l’idée de nommer comme coordinatrice générale Mme Najet Nabli Ayed, la veuve de Nejib Ayed

Avec tous mes respects M. le ministre, quelle idée saugrenue ! Je ne pensais pas que l’hérédité était de mise !…

Ce n’est pas la personne de Mme Ayed qui est mise en cause, mais c’est l’idée en elle-même qui est pour le moins surprenante.

La petite et la grande famille de Nejib Ayed en sont encore surpris et n’ont toujours pas compris votre geste.

Chiraz Latiri a même dû défendre et sauver l’honneur de l’administration tunisienne, à savoir la vôtre, dans un entretien donné à “La Presse” le lendemain du festival, quand Mme Nabli Ayed, par maladresse, a critiqué cette dernière lors de la cérémonie de clôture des JCC.

M. le ministre, vous avez tout à fait le droit de mettre fin à la mission de l’une de vos collaboratrices, mais dès lors qu’il s’agit d’une femme de cette qualité, permettez-nous de poser des questions auxquelles nous n’avons pas eu de réponses.

Comme il est de notoriété publique, chez nous les couloirs des ministères sont doués de la parole et nous avons appris que vous auriez dit que Mme Latiri vous aurait manqué de respect, ce qui nous laisse pantois car Chiraz Latiri est connue pour son excellente éducation et son respect pour autrui.

Vous avez à maintes reprises parlé de clanisme et de clientélisme, je peux vous assurer que Mme Latiri n’a jamais favorisé quiconque.

Le strict respect de la loi a toujours été son mot d’ordre.

A moins que vous ne considériez le talent, la proposition cinématographique, le traitement original des thématiques, leur diversité et la reconnaissance mondiale comme un cinéma qu’elle ne devrait pas encourager alors qu’’il est célébré dans le monde.

En revanche, elle devrait, selon vous, mettre en avant quelques cinéastes qui ne produisent plus beaucoup, mais dont les voix diffamantes sont très audibles et ont toute votre ouïe.

Vous auriez également dit qu’elle n’a pas pris fait et cause pour le parti Tahya Tounès dont vous êtes membre mais il serait bon de rappeler que nous sommes en démocratie et qu’elle n’est en aucun cas obligée d’adopter la ligne politique de son supérieur hiérarchique.

Vous avez décoré Mme Latiri trois semaines avant son limogeage humiliant, vous pouvez comprendre notre surprise.

M. le ministre, je conçois que vous puissiez avoir des réserves envers Mme Latiri qui n’a pas obtempéré aux demandes abusives des personnes que vous avez parachutées au nom de l’empathie humaine.

Mais vous ne pouvez pas, M. le ministre, balayer d’un revers de la main tout ce qu’a fait et construit Mme Latiri pour le bien du secteur et du pays.

M. le ministre, le cinéma tunisien a le vent en poupe et Mme Latiri avec son dynamisme et sa créativité a fait en sorte que notre cinéma national rayonne.

M. le ministre, vous ne pouvez pas mettre dans la balance votre personne, agacée probablement par sa personnalité et tout ce qu’a fait cette personne pour le bien public.

Qu’est-ce qu’une personne devant le bien public ?

M. le ministre, Chiraz Latiri aurait dû sortir avec les honneurs et non pas être limogée d’une manière humiliante.

Aujourd’hui, elle est partie et ne reviendra pas. Ce qui est dommageable c’est qu’il semble qu’elle subit un acharnement et qu’on lui impose une passation non réglementaire.

J’espère que ce limogeage ne sera pas vain et qu’il suscitera un électrochoc pour la nouvelle équipe dirigeante, pour que ces pratiques cessent à jamais, pour que le bien public passe avant les personnes et pour que nos compétences nationales retrouvent la place qui leur est due.

En mon nom personnel et au nom de tous les cinéastes qui se reconnaîtront et ils sont nombreux je présente toutes nos excuses à Mme Chiraz Latiri.

Avec toute ma considération.

 


Dora Bouchoucha, digest

Dora Bouchoucha est productrice et expert international en production et en scénario.
Outre ses productions, elle a contribué aux scénarios de beaucoup de films à succès du monde d’arabe et d’Afrique subsaharienne.
Elle a été présidente du Fonds Sud et de l’Aide aux cinémas du monde.
Elle a fondé l’Atelier de projets et Takmil aux JCC ainsi que le Producers Network (appelé maintenant Chabaka).
Elle a été directrice des JCC en 2008, 2010 et 2014 avant de démissionner en 2015. Elle est directrice du 1er Festival du cinéma méditerranéen « Manarat ».
Elle est membre de jury à l’Académie des Oscars.
Elle organise depuis 1994 les Ateliers Sud Ecriture qui forment des scénaristes africains et arabes.
Elle a siégé dans de nombreux festivals internationaux.
Elle est Commandeur des Arts et des Lettres en France et Grand Officier des Arts des Lettres en Tunisie.
Plusieurs hommages lui ont été rendus, en Italie, 2 fois en Egypte et en France et au Maroc pour l’ensemble de sa carrière.


Par Dora BOUCHOUCHA
Productrice de cinéma

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3 Commentaires

  1. Kaabachi

    27 novembre 2019 à 19:29

    Nous exigeons une réponse à cette lettre ouverte M. le ministre et s’il s’avère que les dires de Mme Biuchacha sont vraies, nous vous invitons à démissionner sans attendre.

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  2. Elyes Sassi

    4 décembre 2019 à 21:26

    بما يعبر عنه باللغة الدارجة بالشلبوق حلايبي، شكرا مدام درّة بوشوشة

    Répondre

  3. Adnene

    17 décembre 2019 à 21:18

    Peine perdue, un ministre qui s’en fout de tout. Imbue de sa personne, il est apparemment arrivé à un portefeuille ministériel qu’il ne voyait que dans ses rêves les plus fous. Maintenant qu’il est partant, les caisses vidées, la médiocrité installée à tous les niveaux, il disparaîtra comme il est venu….et il n’osera plus regarder personne en face.

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