Les natifs de Sidi Bouzid ne veulent pas se voir voler «leur» révolution et attendent de pied ferme les dividendes en termes d’emplois et de prospérité. Pour eux, « point de 14 janvier ! Nous fêtons le 9e anniversaire de la Révolution du 17 décembre 2010 pour la liberté et la dignité et les revendications de la population de Sidi Bouzid sont toujours à l’ordre du jour ».
Chaque année à pareille date, Sidi Bouzid se souvient et réclame son dû, sa part de la révolution populaire enclenchée à son initiative, lorsque «le fils du pays», Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant, aux prises avec une vexation policière de trop, décide de s’immoler par le feu, donnant le signal d’une vaste insurrection populaire contre l’injustice, la dictature et la xénophobie régionale.
Et les rues des villes et villages avoisinants de s’enflammer aux cris de « Pain, liberté, dignité nationale ! » ou encore «L’emploi est une obligation, ô bande de voleurs !».
Et la révolution d’envahir le pays telle une traînée de poudre, en cercles concentriques, à mesure que la colère grondait et que les jeunes tombaient comme des mouches, victimes désarmées d’hommes en uniforme.
Puis, le décès de Bouazizi annoncé, la jeunesse relançait son mouvement et attisait son ardeur vengeresse, réclamant liberté, emploi, dignité et développement. Jusqu’à ce que tout le pays fût acquis, que les grandes villes tombassent l’une après l’autre, que Sfax rejoignît la fronde en une gigantesque mobilisation syndicale, le 13 janvier 2011, annonçant le rendez-vous solennel du lendemain à Tunis, place M’hamed Ali Hammi, d’où l’estocade finale vers l’avenue Bourguiba, puis le départ précipité de Ben Ali.
Neuf années d’affilée, cet anniversaire sera fêté et son historique conté et romancé, mais Sidi Bouzid n’a pas vraiment eu droit au réveil qu’elle réclamait.
Les autorités instaurèrent, certes, une « discrimination positive » chiffrée destinée à un développement accéléré, mais les 791 millions de dinars qui l’ont accompagnée sous la forme des 1.352 projets publics destinés à toutes ses délégations, se font discrets, lorsqu’ils ne tardent pas à se manifester au vu et au su de citoyens qui n’y croient qu’à moitié.
Ces « citoyens du bled » jugent que dans cette région, berceau de la « révolution du 17 décembre 2010 », pratiquement « rien n’a changé ».
Sur les 24 gouvernorats du pays, les indicateurs de développement placent Sidi Bouzid au 21e rang, ce alors qu’elle serait montée au 18e en matière de climat des affaires.
Pourtant, sa position géographique au carrefour des gouvernorats du nord et ceux du sud, son climat propice à la production des primeurs et ses ressources en eau et minières, dont le phosphate, le gypse, le calcaire, le marbre et le sable, lui prodiguent de sérieux avantages comparatifs.
L’inconséquence du développement attendu est ressenti comme un sort. Certains responsables y voient la conséquence d’une insuffisance de zones industrielles, d’autres évoquent une trop faible incidence des investissements, enfin l’on estime l’infrastructure en deçà du minimum requis.
Le fait est que les entreprises à forte pénétration technologique et à grande employabilité manquent à l’appel, alors que le chômage des diplômés marque des records.
En fait, dans ces régions délaissées, la faiblesse des infrastructures et des équipements collectifs, ainsi que du confort de la vie moderne n’encouragent pas grand monde à s’y installer. Et le manque de contribution du secteur privé local au développement de la région n’a pu être compensé par les diverses vagues d’encouragements et d’incitations prodiguées tout le long du règne de Ben Ali, aux investisseurs étrangers et aux partenariats. Car même les projets initiés dans lesdites « zones prioritaires » bien délimitées finissaient par migrer illégalement vers les côtes, faute de techniciens spécialisés, de cités d’habitation confortables et de voies de transport adéquates à l’écoulement de la marchandise.
Au micro de l’agence TAP, le gouverneur de Sidi Bouzid, Mohamed Sedki Bououn, reconnaît volontiers l’existence de difficultés freinant le développement de la région. Il cite le manque d’engouement des investisseurs privés à s’installer dans la région du fait des mouvements récurrents de protestation, ainsi que le manque d’eau potable malgré l’injection de 17 millions de dinars à cet effet, de même que la pénurie de médecins spécialistes.
Mais le déblocage de plusieurs grands projets, comme la mine de phosphate de Meknassi ou la cimenterie de Mezzouna, ou encore le raccordement de la zone au gaz naturel dès ce janvier, l’aménagement de l’autoroute Tunis-Jelma et le projet d’hôpital universitaire représentent des atouts importants.
Seul le secteur agricole se prévaut d’avancées notoires, à l’image du succès fulgurant de la tomate destinée aux conserveries et qui poursuit son épopée malgré des incohérences sur le marché.
Plusieurs grands projets sont à évoquer en la matière : le projet de développement agricole intégré dont l’enveloppe atteint 51 millions de dinars, au profit de 42 imadats, le programme d’adaptation aux changements climatiques dans les zones vulnérables au profit des imadats de Layoun et Rihana (30 MD), la réalisation de 156 puits dans la région, la mise en valeur de 23 périmètres irrigués publics et l’approvisionnement en eau potable de 75.542 bénéficiaires.
« Des promesses, encore des promesses ! », craignent les habitants de la région, qui voient bien que l’intendance ne suit pas. On leur promet que les autorités sont plus fermes et que la réalisation suivra. Mais le retard pris par la formation du futur gouvernement n’est pas rassurant.
Et puis les crises du lait, de la viande de volaille et des olives, à cause de l’absence de stratégie conséquente de l’Etat en matière de marché, ne sont pas de nature à rassurer les citoyens.
Les natifs de Sidi Bouzid ne veulent pas se voir voler «leur» révolution et attendent de pied ferme les dividendes en termes d’emplois et de prospérité. Pour eux, « point de 14 janvier ! Nous fêtons le 9e anniversaire de la Révolution du 17 décembre 2010 pour la liberté et la dignité », et les revendications de la population de Sidi Bouzid sont toujours à l’ordre du jour ».
Il est encore question de créer une faculté de médecine, un conseil supérieur des collectivités locales et une ville sportive.
De même s’agit-il de régulariser la situation foncière de nombreuses terres agricoles domaniales, de distribuer des lots aux diplômés sans emploi et d’accélérer la réalisation des grands projets. Tout un programme révolutionnaire ! Mais qui attend.